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AVERTISSEMENT

La première édition des Euvres complètes de Beaumarchais fut donnée en 1809 par son ami Gudin de la Brunellerie. Cette édition était faite avec soin et suffisamment complète. Aussi s'est-on contenté, depuis cette époque, de la reproduire purement et simplement.

Cependant l'érudition s'est beaucoup occupée de l'auteur du Figaro. On a précisé ou rectifié quelques dates importantes; on est revenu plus fidèlement aux textes originaux de ses œuvres. Un certain nombre de documents inédits ont été découverts. Dans une nouvelle édition, il fallait tenir compte de ce travail et de ces recherches. C'est ce que nous avons fait. C'est ainsi, par exemple, que, pour l'opéra de Tarare, nous avons du abandonner le texte abrégé de Gudin et rétablir dans son intégrité celui de 1787, en le faisant suivre de la curieuse variante de 1790.

La remarquable étude de M. Louis de Loménie, à qui les papiers de la famille furent confiés, a mis au jour toute une correspondance de Beaumarchais, jusque-là inconnue, et plus caractéristique, plus intéressante que celle publiée par Gudin. Il fallait sans doute reproduire cette dernière, mais il était indispensable de puiser en même temps dans celle qui vient d'être récemment rendue à la lumière. Nous avons dù constituer un tout nouveau, un nouvel ensemble. Le nombre des lettres qui forment la dernière section de notre recueil est double, en effet, de celui que présentent les précédentes éditions, et l'on trouvera peut-être que ce n'en est pas la partie la moins piquante et la moins originale.

O

NOTICE

SUR

BEAUMARCHAIS

Pierre-Augustin Caron, qui devait prendre à vingt-cinq ans le nom de Beaumarchais, naquit le 24 janvier 1752, dans une boutique d'horloger, située rue Saint-Denis, presque en face de la rue de la Féronnerie.

La famille Caron venait de la Brie. Elle avait ėtė longtemps protestante. Le père, l'horloger Caron, transporta son domicile à Paris et se convertit au catholicisme. C'était à en juger par ce qu'on sait de lui, par quelques lettres qui nous restent, par ce qu'en dit son fils, un homme bon, honnête, vertueux et religieux. Il eut dix enfants dont six filles. Pierre-Augustin était le septième ⚫ enfant et le seul des garçons qui ne périt pas en bas age; il avait trois sœurs plus jeunes que lui. Cet intérieur de petite bourgeoisie, tel qu'il se révèle à nous dans les documents récemment publies, fait honneur à ce temps-là. L'esprit de tous, des filles comme des garçons, y est très-cultivé : tout le monde y écrit d'une manière très-agréable; tout le monde s'y occupe beaucoup de littérature, de poésie et de musique. On aurait la main heureuse si, en prenant aujourd'hui une famille dans le même milieu parisien, on y trouvait une éducation aussi libérale, autant de goût et d'agré

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Pierre-Augustin n'était pas de ceux qui se laissent aisément dépouiller. Il réclama avec énergie, et gagna cette première cause, le 4 mars 1754, devant l'Académie des sciences.

Il devient horloger du roi, il fait des montres pour madame de Pompadour, pour madame Victoire, etc., et, dès lors, parait à Versailles. « Dès qu'il y parut, dit Gudin, les femmes furent frappées de sa taille svelte et bien prise, de la régularité de ses traits, de son teint vif et animé, de son regard assuré, de cet air dominant qui semblait l'élever au-dessus de tout ce qui l'environnait, et enfin de cette ardeur involontaire qui s'animait en lui à leur aspect. »>

Le jeune et séduisant horloger gagna le cœur de Marie-Madeleine Aubertin, épouse de M. Francquet, contrôleur clerc d'office de la maison du roi. Cette dame persuada à son mari, qui n'était pas vieux pourtant (il était âgé de 49 ans), mais qui était maladif, de céder son emploi à Pierre-Augustin Caron, moyennant une rente viagère garantie par le père de ce dernier. C'est ce qui s'accomplit le 9 novembre 1755. Cet emploi de contrôleur clerc d'office n'était pas tout à fait une sinecure et exigeait un service à la cour.

M. Francquet mourut le 3 janvier 1756, et onze mois plus tard, le 22 novembre, le jeune Caron, âgé de 23 ans, épousait la veuve qui avait 34 ans. C'est au commencement de 1757 qu'il ajouta pour la première fois à son nom celui de de Beaumarchais, emprunté, dit Gudin, à un très-petit fief appartenant à sa femme. Marie-Madeleine mourut le 30 septembre de la même année.

Beaumarchais était musicien, il jouait de la flûte et de la harpe. Ce dernier instrument avait été nouvellement mis à la mode. Mesdames de

France, filles de Louis XV, eurent la fantaisie de | Clavijo, le fait destituer de sa place de garde des

l'apprendre et choisirent pour professeur ce jeune amateur. Celui-ci ne tarda pas à s'insinuer auprès d'elles; il organisa des concerts de famille dont il était le principal virtuose. Il se trouva ainsi introduit dans l'intimité de la famille royale. Cette fortune lui attirait beaucoup de jalousie et d'envie. Gravement insulté et provoqué par un homme de cour, désigné sous le nom de chevalier des C..., il le tua en duel.

Beaumarchais ménageait habilement sa position. Il évitait de solliciter quoi que ce fût, et attendait l'occasion d'utiliser son crédit. Elle se présenta bientôt. Paris-Duverney, célébre financier de l'époque, avait, dans sa vieillesse, fondé l'École Militaire. Il souhaitait vivement d'obtenir du roi une visite aux bâtiments construits à l'extrémité du champ de Mars. Il désespérait presque de voir ce vœu exaucé, lorsque Beaumarchais se chargea de déterminer Mesdames à visiter les constructions et l'établissement. Il y réussit. Quelques jours après, Louis XV, stimulé par ses filles, vint à son tour visiter l'Ecole Militaire, y assista aux exercices de la jeune noblesse et accepta une somptueuse collation. Paris-Duverney pleurait de joie.

Il en eut une reconnaissance extrême à son jeune ami, et promit de faire sa fortune. Il lui donna d'abord un intérêt dans quelques-unes de ses opérations et l'initia aux affaires de finances. Beaumarchais acheta alors ce qu'on appelait une « savonnette à vilain, » un brevet de secrétaire du roi, et se trouva gentilhomme. Duverney consentit à lui prêter cinq cent mille francs pour acquérir une des grandes maitrises des Eaux-et-Forêts devenue vacante. Mais les futurs collègues de Beaumarchais s'opposèrent à son admission, et il dut renoncer à cette charge. Il se rabattit sur celle de lieutenant général des chasses aux bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre, dont le duc de la Vallière était capitaine. C'était un office de judicature, en ce qui concernait les droits et les délits de chasse, qu'il remplit pendant vingt-deux ans, de 1765 à 1785.

En 1764, se place son aventure avec Clavijo. Deux de ses sœurs, dont l'une mariée avec un architecte, étaient allées s'établir à Madrid. Un littérateur espagnol, Joseph Clavijo, s'éprit de la seconde et promit de l'épouser, puis refusa de ten'r sa promesse.

Beaumarchais accourt à Madrid, ménage d'abord une réconciliation entre les deux fiancés, se convaine de la mauvaise foi et de l'indignité de

Archives et chasser de la cour. Ce fut l'affaire d'un mois.

Beaumarchais prolongea pendant près d'une année son séjour en Espagne. Spéculations et galanteries y partageaient son temps. Il y forma de nombreux et bizarres projets, voulut se faire fournisseur des vivres de toute l'armée espagnole, entreprit d'approvisionner d'esclaves noirs différentes provinces d'Amérique, etc. Ces vastes projets échouérent.

A son retour en France, Beaumarchais, âgé alors de 35 ans, travaille pour le théâtre. Le 29 janvier 1767, sa première pièce, le drame d'Eugénie, est représentée à la Comédie-Française. D'abord assez mal accueilli du public, ce drame se releva ensuite, grâce à des coupures et à des corrections, et obtint en définitive un succès assez flatteur et durable. La pièce, précédée d'un Essai sur le drame sérieux, où Beaumarchais développe ses théories littéraires, fut imprimée et publiée en cette même année 1767.

Eugénie fut suivie, à trois ans d'intervalle, par les Deux Amis, ou le Négociant de Lyon, autre drame représenté à la Comédie-Française, le 13 janvier 1770. L'accueil fait à ce deuxième ouvrage fut froid; il n'eut que onze représentations. Beaumarchais se trompait sur sa vocation; il se croyait appelé à faire verser des larmes, et paraissait ignorer sa véritable veine comique et satirique.

Entre Eugénie et les Deux Amis, Beaumarchais s'était remarié à Geneviève-Madeleine Wattebled, jeune, belle et riche veuve d'un garde-général des Menus Plaisirs, nommé Lévesque. En société avec Pâris-Duverney, il avait acheté de l'État, et il exploitait une grande partie de la forêt de Chinon. Il perdit sa deuxième femme le 20 novembre 1770; elle lui laissait un fils, qui mourut lui-même deux ans après sa mère, le 17 octobre 1772.

En 1770, le 17 juillet, mourut Paris-Duverney, le protecteur et l'associé de Beaumarchais. Le premier avril de cette année, Beaumarchais avait obtenu de lui un règlement de comptes fait double sous seing privé, par lequel Beaumarchais restitue à Duverney cent soixante mille francs de ses billets au porteur et consent à la résiliation de leur société pour l'exploitation de la forêt de Chinon; Duverney, de son côté, déclare Beaumarchais quitte envers lui, reconnait lui devoir quinze mille franes et s'oblige à lui prêter soixante-quinze mille francs pendant huit ans, sans intérêts.

Duverney laissait pour légataire universel un petit-neveu, le comte de la Blache, maréchal de camp, qui, après la mort de son grand-oncle, attaqua le règlement de comptes et en demanda l'annulation aux tribunaux. Engagé en octobre 1771, le procès fut gagné en première instance, aux requêtes de l'llôtel, par Beaumarchais. Le comte de la Blache fit appel devant la Grand'chambre du parlement.

Surces entrefaites, éclata la querelle de Beaumarchais avec le duc de Chaulnes, à propos d'une demoiselle Mesnard, que ce duc entretenait. Le duc avait introduit chez elle Beaumarchais, qu'elle trouva plus aimable que son « protecteur. » Un beau matin, le 11 février 1775, le duc de Chaulnes se mit en tête de tuer son rival, et vint faire chez lui un esclandre dont on trouvera, dans la correspondance, le récit adressé par Beaumarchais au lieutenant de police.

Le tribunal des maréchaux de France fut saisi de l'affaire et envoya un garde à chacun des deux adversaires. Dans l'intervalle le duc de la Vrilliere, ministre de la maison du roi, ordonna à Beaumarchais de garder les arrêts dans sa maison. jusqu'à ce qu'il eût rendu compte de l'affaire au roi. Le tribunal des maréchaux appela successivement les deux parties devant lui. Le duc de Chaulnes fut envoyé par lettre de cachet au donjon de Vincennes. Le tribunal déclara à Beaumarchais qu'il était libre. « Pour jouir de cette douce liberté, il crut devoir en faire hommage au duc de la rillière. Ne le trouvant pas, il lui écrivit, dans la loge de son suisse, que, les maréchaux ayant levé ses arrêts, il venait lui demander s'il ne devait plus les garder. Il alla ensuite trouver M. de Sartines, préfet de police, qui l'assura qu'il était bre. Et Beaumarchais pensa dès lors pouvoir s'aventurer sur le pavé de Paris.

Le duc de la Vrillière, trouvant la conduite de Baumarchais trop cavalière ou plutôt voulant faire la part plus égale entre les adversaires, envya à Beaumarchais une belle lettre sans cachet, appelée de cachet, » par laquelle celui-ci fut emprisonné au For-l'Évêque. Cette détention, survenant au milieu de son procès contre le comte de la Blache, fit le plus grand tort à Beaumarchus. Le comte de la Blache en profita pour le discréditer partout. Beaumarchais obtint à grand'pie du ministre la permission de sortir de prison pendant la journée, sous la conduite d'un zent de police, pour aller solliciter son procès. En vain il y déploya son activité accoutumée. Le

6 avril 1773, le parlement, sur le rapport du conseiller Goëzman, rendit un arrêt qui réformait celui de première instance et déclarait nul le règlement de comptes attaqué.

Le 8 mai, le duc de la Vrillière rend enfin la li berté complète au prisonnier. Beaumarchais a peint dans ses Mémoires la situation critique où il se trouvait en ce moment : « Précipité, dit-il, du plus agréable état dont peut jouir un particulier, dans l'abjection et le malheur, je me faisais honte et pitié à moi-même. »

Un incident de son procès allait lui permettre de reprendre tous ses avantages. Pour obtenir audience du juge rapporteur, Beaumarchais avait fait un présent à la femme de ce juge; il lui avait donné cent louis et une montre enrichie de diamants d'une valeur égale, plus quinze louis en argent blanc, censés destinés à un secrétaire. Il était convenu que si Beaumarchais perdait son procès, la dame restituerait ces présents. Le procès étant perdu, la dame Goëzman renvoya les cent louis et la montre, mais garda les quinze louis.

Beaumarchais les lui réclama. La dame nia les avoir reçus, et le juge Goëzman dénonça Beaumarchais au parlement comme coupable d'avoir calomnié la femme d'un juge après avoir vainement essayé de la corrompre et de corrompre par elle son mari. Beaumarchais en appela à l'opinion publique dans ces brillants factums qui lui valurent une soudaine popularité. Il faut remarquer que le parlement dont Goëzman faisait partie était celui que le chancelier Maupeou avait substitué à l'ancien parlement aboli et exilé, et que ce parlement était fort mal vu de la nation, qui saisit avidement toutes les plaisanteries qui l'atteignaient. Beaumarchais ne vengeait pas seulement sa propre injure, mais indirectement il vengeait aussi l'injure de tous. C'est ce qui, outre leur vivacité, leur gaieté, leur éloquence, explique l'émotion que ses Mémoires excitèrent. Ce fut un enthousiasme général : « Quel homme! s'écriait Voltaire après les avoir lus; il réunit tout, la plaisanterie, le sérieux, la raison, la gaietė, la force, le touchant, tous les genres d'éloquence, et il n'en recherche aucun, et il confond tous ses adversaires, et il donne des leçons à ses juges. Sa naïveté m'enchante; je lui pardonne ses imprudences et ses pètulances. » Voltaire entend sans doute le mot naïveté dans le sens de verve naturelle et d'esprit abondant et spontané, car la naïvetė, au sens où nous l'entendons de nos jours,

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