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Charles (1) à ta valeur offre un modèle heureux.
Tu l'as vu, ce héros aimable et généreux,
Redouté, mais chéri de ses rivaux de gloire,
Comme dans un tournoi disputer la victoire,

sang

inondé,

Et couvert de poussière, et de
Applaudir, dans l'arène, aux exploits de Condé.

Hélas! c'était à lui qu'eût ressemblé son frère.
Fier et doux, simple et grand, son brillant caractère,
Sur des bords étrangers, dans des camps ennemis,
Eût trouvé des rivaux, et laissé des amis.

Né pour fixer la gloire et désarmer l'envie,
Que de liens puissants l'attachaient à la vie !

Jeune, heureux, cher au monde !.. et ces nœuds sont brisés!
Et tant de biens si chers, il les a méprisés !
Pourquoi? Lorsque César, sur les mers de l'Épire,
S'expose à la tempête, il y va d'un empire,
De l'empire du monde; et toi, plus généreux,
Où vas-tu, Léopold? Sauver deux malheureux!

Non, ce n'est point ici cette illustre carrière,
Où, tenant dans ses mains la trompette guerrière,
L'attend la Renommée, avec ses yeux ouverts,
Et ses voix, dont le bruit va remplir l'univers :
Il est seul. Mais l'Oder a franchi ses rivages,
Et, chargé de débris, il poursuit ses ravages.
Sur les flots mugissants ces débris dispersés,
Dans les plaines au loin les hameaux renversés,
Les troupeaux submergés dans l'étable écroulée,
La moisson sur le fleuve encore amoncelée,
Et le lit où le pauvre, oubliant son labeur,
Du ciel, au moins en songe, espérait la faveur,

(1) Le prince de Brunswick régnant, frère de Léopold. On sait avec quelle noblesse et quelle loyauté il a fait la guerre.

Et le berceau flottant, où la faible innocence
Voit sans effroi la mort si près de la naissance,
Où dort peut-être encore, au bruit sourd du torrent,
Cet enfant suspendu sur son sein dévorant....
O Dieu !... Tout s'épouvante; et loin du bord funeste
La fuite a des hameaux dispersé ce qui reste.

Deux hommes seuls encor, de tant d'infortunés,
Luttent contre les flots, par les flots entraînés;
Et le triste habitant de la rive opposée
Au plus grand des périls voit leur vie exposée.
Frémissant, consterné, prêt à les voir périr,
Chacun cherche des yeux qui les va secourir;
Mais qui peut du torrent dompter la violence?
Des plus hardis rameurs le courage balance;
Lorsqu'un jeune homme arrive, et les mains pleines d'or
Enfants, qui veut me suivre ? Il en est temps encor.
Une barque, et volons au secours de nos frères.
La barque se présente à ses vœux téméraires :
Il y monte; et, rompant le nœud qui la retient,
Il crie aux malheureux que cet espoir soutient :
Amis, je viens à vous; redoublez de courage.
Alors, fendant le fleuve, et défiant sa rage,
Sur le dos de la vague on le voit suspendu;
Dans le fond de l'abyme on le croit descendu;
Il remonte; et le flot que la rame sillonne,
Étonné d'obéir, autour de lui bouillonne.

A l'audace, à l'ardeur, à l'intrépidité,
Qu'inspire à ce mortel la simple humanité,
On s'écrie, en tremblant d'espérance et de joie.
Est-ce un ange, un sauveur que le ciel leur envoie ?
C'est Léopold, c'est lui, c'est ce jeune héros.
Et la barque à l'instant disparaît sous les flots.

Un lamentable cri frappe le ciel et l'onde.

Tous les yeux,
attachés sur la
vague profonde,
Redemandent Brunswick au terrible élément.
Dans des sillons d'écume il paraît un moment;
Il nage, il se débat, il s'épuise, il succombe.

Ah! que
du moins les flots le rendent à la tombe.
Avec un saint respect sur le bord recueillis,
Que ses restes sacrés y soient ensevelis.

Et vous, que des vertus la mémoire intéresse,
Accourez, éloquente et sensible jeunesse,

Venez tous rendre grâce, au nom des malheureux,
A celui qui daigna vivre et mourir pour eux;
Venez tous révérer au nom de la nature,
Celui qui de l'orgueil abjurant l'imposture,
Et de ses devoirs d'homme occupé constamment,
S'exerça dès l'enfance à ce grand dévoûment.
Dites par quelle aimable et tendre inquiétude,
Fuyant de son palais la froide solitude,

Il venait dans la foule, ami sage et discret,
A l'indigent timide arracher son secret;
Dites, à son aspect, quel rayon de lumière
Semblait du laboureur éclairer la chaumière;
Dites, à son aspect, quelle noble chaleur
Du soldat, sous la tente, animait la valeur;
Et, de l'humanité religieux organes,

Puissiez-vous, au tombeau, faire entendre à ses mânes
Les regrets dont pour lui tous les cœurs sont émus!
Léopold est pleuré comme Germanicus.

Voyez ce deuil profond, ce silence, ces larmes,
Ces soldats, d'un air morne, appuyés sur leurs armes,
Ces héros recueillis dans leur sombre douleur;
Frédéric méditant ce qu'eût fait sa valeur,
Frédéric attendri, fixant un œil de père

Sur ce tombeau, qu'un peuple en gémissant révère;

Quel spectacle! Et jamais un plus illustre prix
A-t-il, enfants du Pinde, enflammé vos esprits?

Pour chanter Léopold, Philippe (1) vous rassemble.
Ah! qui l'honore ainsi, sans doute lui ressemble;
Et celui qui de fleurs veut couvrir son tombeau,
Ne voit pas sans envie un dévoûment si beau.
Loin de nous désormais, loin des temps où nous sommes
Ce dur mépris des grands pour le reste des hommes.
L'humanité sacrée a recouvré ses droits.
Les peuples ne sont plus étrangers à leurs rois;
Et je crois ne plus voir, dans cet âge prospère,
Que d'heureuses tribus, dont le chef est le père.

(1) Monseigneur comte d'Artois, aujourd'hui Monsieur,

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LA

BOUCLE DE CHEVEUX

ENLEVÉE,

POËME DE POPE,

TRADUIT DE L'ANGLAIS.

CHANT PREMIER.

D'UNE jeune beauté je chante la colère,
Et les graves effets d'une offense légère.

Muse, adresse à Caril ces vers que je lui doi :
Bélinde les lira, c'en est assez pour moi;

Et la plus haute gloire où mon espoir s'étende,
C'est que l'une m'inspire et que l'autre m'entende.

O déesse, dis-moi, quel démon pétulant
Arma contre une belle un lord tendre et galant.
Dis-moi par quelle force, encor plus inconnue,
Contre un lord amoureux elle fut soutenue.

Dans un simple mortel que de témérité!
Dans un cœur faible et doux que de sévérité!

Des rideaux le soleil colorant la surface,

Ouvre, en tremblant, des yeux dont la clarté l'efface;

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