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39564, H

LE NEVEU

DE RAMEAU.

Vertumnis, quotquot sunt, natus iniquis.
HOR. Serm. lib. 11, sat. vII, v. 14.

OEUVRES INÉDITES.

a

AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.

EXTRAIT D'UN OUVRAGE DE GOETHE, CHAPITRE INTITULÉ: DIDEROT, ET SON OUVRAGE: LE NEVEU DE RAMEAU*.

L'ouvrage curieux qui porte ce titre, et dont j'ai soumis récemment (en 1805) la traduction au public allemand, est, à mon avis, une des productions les plus remarquables de son auteur.

Les aristarques français, en reconnaissant que Diderot possédait au plus haut point l'énergie de la pensée, l'éclat de l'expression, et que ses œuvres étincelaient de détails et de pages admirables, ont prétendu qu'il n'était pas doué au même degré du talent de la composition, et qu'il était incapable d'ordonner toutes les parties d'un ouvrage bien conçu, bien exécuté, et parfait dans son ensemble.

Il y a dans ce monde si peu de voix et tant d'échos, que, sans cesse reproduites, les accusations banales finissent par prendre de la consistance. Ceux qui plus éclairés, devraient le moins être dupes, s'en laissent imposer par le préjugé général; ils répètent à

* Ce morceau est traduit d'un ouvrage de Goëthe, publié à Leipsick en 1805, sous ce titre (en allemand) : Des Hommes célèbres de la France au XVIIIe. siècle, et de l'État de la Littérature et des Arts à la méme époque. Nous avions eu le projet de faire précéder le roman de Diderot d'un avertissement; mais le fragment de Goëthe est l'avertissement le plus naturel que nous puissions donner ici. ÉDIT".

a.

force d'entendre répéter; les propos des sots passent dans la bouche des gens d'esprit. Par complaisance pour l'erreur accréditée, on croit découvrir dans des écrits les fautes qui n'y sont point; on avoue les torts imaginaires d'un auteur à qui, s'il était né dans un autre temps et dans un autre pays, le monde littéraire eût décerné pendant sa vie tous les triomphes du talent, et eût élevé après sa mort des statues et des autels.

Je ne parlerai point de l'Encyclopédie, de cet édifice intellectuel dont la savante ordonnance prouve à quel point toutes les connaissances humaines étaient liées et ordonnées dans le vaste entendement de Diderot; je ne m'occupe ici que de ses productions littéraires. Ceux qui ont méconnu en lui le talent de la composition, et qui ont porté sur ce grand homme un jugement aussi superficiel, n'avaient donc pas lu son Jacques le Fataliste, ou ne l'avaient lu que des yeux? Son Neveu de Rameau leur donne un démenti non moins formel. Quel autre écrivain eût marqué cet ouvrage du sceau d'un génie original et inimitable? mais surtout quel autre, sur un fonds si léger, et qui ne semble d'abord qu'un caprice de l'imagination, eût tracé l'ensemble imaginaire d'une composition si savamment ordonnée, et l'ensemble réel d'un tableau si complet, si ressemblant de la société humaine toute entière ?

Une vérité généralement reconnue, et sur laquelle ses amis comme ses ennemis sont d'accord, c'est que Diderot était, dans sa conversation, l'homme le plus étonnant de son siècle. Les discours étudiés, tra

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