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Il faut louer Georges III d'avoir donné le plus bel exemple de la fidélité conjugale; il faut aussi le louer d'avoir généreusement secouru les émigrés français. Mais il faut le blâmer d'avoir maintes fois violé le droit des gens, de n'avoir point puni ceux qui lançaient des chiens contre les esclaves des colonies insurgées, et de s'être obstiné à repousser tout bill favorable à l'émancipation des catholiques. Il faut aussi le blâmer de n'avoir payé ni les dettes de son père, ni celles du prince de Galles, ni les siennes; en 1769 il devait cinq cent mille livres sterling; en 1777 il devait aussi six cent mille livres sterling; dans ces deux circonstances, il s'adressa aux chambres et obtint de leur générosité tous les fonds nécessaires pour satisfaire ses créanciers. Il finit par faire augmenter sa liste civile de cent mille livres sterling. Il est difficile de concilier ces dettes et ces demandes avec les éloges donnés à ses vertus privées. On est naturellement amené à conclure qu'il n'eut besoin de tant d'argent que pour corrompre ses chambres, et acheter des consciences vénales. Il est digne de remarque que presque tous ceux qui parvinrent au faite des grandeurs, affichèrent la plus grande immoralité. Les comtes de Rochford et de Sandwich, lord Weymouth, lord Barrington, lord Thurlow étaient loin d'être des modèles de vertu dans les premiers postes de l'État qui leur furent confiés. Sir François Dashwood fut nommé premier baron d'Angleterre, sous le titre de lord Le Despenser, et chancelier de l'échiquier, quoiqu'il eût fondé une société dont le but était de travestir toutes les cérémonies de la religion au milieu des plus sales orgies. Le général Burgoyne tirait du jeu une subsistance régulière et brillante, et demeura, pour le reste de sa vie, infâme et satisfait de l'argent qu'il avait reçu du duc de Grafton pour la vente d'un emploi supérieur dans les douanes. Les Lettres de Junius, des 29 novembre et 12 décembre 1769, portent à trois mille cinq cent livres sterling la somme exigée du duc de Grafton pour ce marché (1).

Déjà Bute ne s'était signalé que par sa corruption. Il l'introduisit dans la chambre des communes. Pour y régner il épuisa les fonds de la liste civile, et ne négligea aucun moyen pour s'assurer la majorité des voix, remarque Frédéric II dans ses OEuvres Posthumes.

(1) Georges III, sa cour et sa famille, traduit de l'anglais, 1823, pag. LXX, LXXXVII, ICHI, 160, 223, 267 et 315. Annales du règne de Georges III, traduites de John

Le duc de Newcastle avait eu un patrimoine de trente mille livres sterling de rente. Sa santé, son incapacité semblaient l'avoir condamné à l'obscurité. L'ambition s'empara de sa tête. Il voulut gouverner et occuper les premiers postes. Pendant cinquante ans, on le vit à la tête des affaires. Comment put-il s'y soutenir? en dissipant cinq cent mille livres sterling, suivant une lettre du marquis d'Argens à Frédéric, du mois de juin 1762, à corrompre les électeurs et les chambres (1).

Lord Chatam dut à des testaments une fortune qui le mit dans la plus grande indépendance. Cela ne l'empêcha point de mourir accablé de dettes. Les chambres en payèrent pour vingt mille livres sterling (2).

William Pitt, le second de ses fils, avait cinq mille livres sterling de rente. Il afficha la plus grande intégrité, et poussa le désintéressement jusqu'à refuser les pensions et les sinécures qu'on le pressa d'accepter. Mais avide de pouvoir, il voulut le conserver à tout prix. Il distribua aux hommes dont il voulait stimuler le zèle ou acheter le concours, les emplois, les commissions et la pairie. Il gouvernait le monde, et il ne savait pas régir sa maison. Il songeait à tout, excepté à ses affaires. Sa sœur tint sa maison. Tant qu'elle en conserva la direction, on y remarqua de l'ordre et de l'économie. Elle se maria et quitta son frère. Dès lors, tout resta en souffrance dans l'hôtel de Pitt. « Ce grand financier, raconte Chateaubriand, dans le tome III de ses Mémoires d'Outre-Tombe, n'avait aucun ordre chez lui; point d'heures réglées pour ses repas ou son sommeil. Criblé de dettes, il ne payait rien, et ne se pouvait résoudre à faire l'addition d'un mémoire. » Il se fit un besoin de l'usage immodéré du vin et des plaisirs de la table. Quand il était attablé avec Thurlow, Dundas, Jenkinson, lord Rutland et lord Gower, c'était à qui boirait le plus de bouteilles. Il se présenta une fois dans un tel état d'ivresse à la tribune, qu'il lui fut impossible de suivre les débats. Cette intempérance acheva de ruiner sa constitution. Il avait vécu criblé de dettes; il mourut

Aikin, par Eyriès, 1820, tom. 1, pag. 102 et 238. Wraxall, toin. I, pag. 124, tom. II, pag. 52, 135 et 164.

(1) Walpole, tom. II, pag. 125.

Waldegrave, pag. 17.

et

(2) Essai historique sur les deux Pitt, par le baron Louis de Viel-Castel, 1846, tom. I, pag. 40 et 177.

criblé de dettes. Les chambres en payèrent pour quarante mille livres sterling (4).

Malgré tout son esprit, Shéridan ne sut jamais régler ses dépenses sur ses revenus. Il retirait d'immenses profits de son théâtre. Ils ne suffirent pas à sa dissipation. Il avait trois maisons montées, où il vivait en prince. Il consacrait des sommes considérables aux paris; une seule année, il s'exposa ainsi à perdre onze cents guinées. Souvent sans argent, il prenait des équipages, et donnait des festins splendides sans songer à la nécessité de les payer. Il se mettait de même en voyage et se trouvait forcé de s'arrêter dans des auberges pour attendre des secours. Il ne vivait que d'emprunts. Quand il eut épuisé toutes ses ressources, il lui fallut vendre son théâtre, se défaire de ses meubles les plus précieux, du portrait même de sa femme, et mettre en gage jusqu'aux livres qui lui avaient été donnés. Vivement poursuivi par ses créanciers, il ne vit d'autre moyen d'échapper à leurs contraintes que de s'expatrier. Revenu en Angleterre, il ne fut pas plus économe. En vain le prince de Galles lui donna-t-il quatre mille livres sterling pour le mettre à l'aise. Shéridan fut arrêté dans la maison d'un huissier. Quand la débauche avança l'heure de son trépas, il était assiégé d'exploits. Des huissiers l'auraient emmené rendre le dernier soupir dans une prison, si son médecin ne les eût attendris sur son sort. C'est au milieu de ces disputes qu'il termina sa vie. Il passait pour l'un des plus mauvais payeurs. On fut étonné qu'il ne laissât que cinq mille cinq cents livres sterling de dettes. Rien n'était plus connu que les singuliers expédients auxquels il recourait pour tromper ses fournisseurs, et extorquer des guinées à ses amis (2).

Lord Holland avait été payeur des troupes. Il fut destitué à cause de ses exactions; il fut poursuivi pour des millions par l'échiquier; on réclama deux cent mille livres sterling à sa succession. Quoique rognée, elle s'éleva à des millions. Le troisième des fils de lord Holland, Charles-James Fox, ne pardonna pas cette action au gouvernement. Il ne fut pas moins indigné d'être privé d'un emploi

(1) Viel-Castel, tom. II, pag. 68, 282, 368 et 379. Wraxal, tom. II, pag. 338. – Mémoires de la margrave d'Anspach, traduits par Parisot, 1826, tom. II, pag. 231 et 232.

(2) Mémoires sur la vie privée, politique et littéraire de Shéridan, par Thomas Moore, traduits par Parisot, 1826, 2 vol. in-8°.

lucratif qui lui avait été donné de bonne heure à la trésorerie. Cependant il ne paraissait presque jamais dans les bureaux; quand on avait quelques papiers à lui faire signer, il fallait les lui porter dans des maisons de jeu ou dans les courses. Il avait un manége de trente coursiers et suivait avec avidité toutes les courses. Il ne fut pas moins passionné pour tous les genres de jeux. Il pariait jusqu'à mille guinées à croix ou à pile. Avant sa majorité, dans un de ses voyages à Naples, il avait dissipé 384,000 francs. Héritier d'un bénéfice honnête, d'un superbe château, de vastes propriétés, et jouissant d'un revenu de quatre mille livres sterling, il contracta des dettes immenses et se mit en relations habituelles avec des juifs, de sorte qu'il avait une chambre de Jérusalem exclusivement consacrée à les recevoir. Ils y affluaient. Quand Fox n'eut plus de garanties à leur offrir, il fut obligé de leur abandonner tout ce qu'il possédait. A trente ans, il était ruiné. Il recouvra sa fortune au jeu et aux courses. Bientôt il fut dépouillé de nouveau de tout ce qu'il avait gagné, et resta absolument sans argent. Ses amis se cotisèrent et lui assurèrent une rente viagère de trois mille livres sterling, constituée de manière à le mettre dans l'impossibilité de la dissiper au jeu. Sans cette attention, il serait mort de misère, probablement (1).

Le jeu et la débauche firent connaître leurs suites funestes à Rodney. Pour échapper à ses créanciers, il se vit forcé de s'expatrier. Il passa même pour avoir été détenu à Paris pour dettes. Le duc de Biron lui prêta soixante mille francs; ce qui lui permit de revenir occuper sa place dans les chambres, car il n'avait pu obtenir aucun secours de ses amis, quoiqu'il les eût mis au courant de ses affaires, par l'intermédiaire de sa femme (2).

Le général John Irwin éprouva le même sort. Il avait occupé des emplois très-lucratifs. Mais ses dépenses furent presque fabuleuses. Dans un festin, il servit une pièce montée qui avait coûté quinze cents livres sterling. Ses folies le réduisirent à s'expatrier pour échapper aux tracasseries de ses créanciers. Le roi lui envoya mille livres sterling pour le secourir. Cela ne l'empêcha pas de mourir

·(1) Vie politique, littéraire et privée de Charles-James Fox, par Ralph Fell, traduite par Martinet, 1807, 1 vol. in-8°. (2) Wraxall, tom. I, pag. 310. Mémoires secrets, par le comte d'Allonville, 1828, tom. I, pag. 103. Souvenirs et Portraits, par de Levis, 1813, pag. 193,

banqueroutier en Italie, après avoir joui cependant de toutes les faveurs de la cour (1).

Nelson ambitionnait une place à côté de ces illustres personnages. Il serait parvenu au terme de ses désirs, si une mort glorieuse n'eût point sitôt terminé sa carrière. Ses victoires lui avaient valu des aigrettes, des épées, de riches effets garnis de diamants, des pensions, et un beau duché de trois mille livres sterling de revenu. Il touchait un fort traitement. Tout cela ne lui suffit pas. Il avait une femme qu'il aimait et estimait; il la délaissa pour vivre avec une ancienne grisette qui le subjugua et lui fit contracter des dettes. Il n'eut pas le courage de la renvoyer, et lui sacrifia son bonheur, son honneur et son repos. Il devint triste et attendit presque avec impatience l'occasion de finir une vie dont il était honteux (2).

Gibbon aurait eu le temps de jouer un rôle pendant les huit sessions auxquelles il assista. Il jugea à propos de garder le silence, et justifia sa conduite par sa timidité. L'opposition espérait l'attirer sous ses drapeaux. Il avait déclaré publiquement que l'Angleterre ne pou vait espérer de salut qu'en faisant déposer les têtes de six des meneurs du conseil privé sur les bureaux des deux chambres du parlement pour servir d'exemple. Le roi, craignant qu'il n'écrivit l'histoire de la honte de la Grande-Bretagne, crut qu'il n'y avait pas de moyen plus sûr, pour paralyser sa plume, que de donner une place à cet historien. Gibbon se trouva heureux de devenir lord du conseil du commerce et de jouir pendant trois ans d'un traitement de sept cent cinquante livres sterling. Telle est peut-être la véritable cause de son mutisme (3).

Que dirai-je du champion de l'opposition, du héros de la démagogie, du plus véhément, du plus insolent, du plus redoutable des li bellistes? Il ne fut donné à aucun Anglais d'exciter plus de tumulte, d'inquiéter plus vivement le gouvernement, de fixer davantage l'attention publique, de recueillir plus de sympathies et d'applaudissements, de jouir d'une plus grande popularité. Pitt ne craignit pas de traiter Wilkes de blasphémateur de son Dieu, de calomniateur de son prince, d'être indigne d'appartenir à l'espèce humaine. Était-ce

(1) Wraxall, tom. II, pag. 314 à 318.

(2) Vie d'Horace Nelson, traduite de Robert Southey, 1820, 1 vol. in-8o.

(3) Mémoires de Gibbon, traduits par Marinié, tom. I, pag. 204 à 207, 221, 239, et tom. II, pag 212, 278, 355. Fell, pag. 97. Wraxall, tom. II, pag. 143.

B

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