Page images
PDF
EPUB

en esquissant seulement les situations; mais cela est-il possible? Ces longs discours pleins d'esprit et d'imagination, que tiennent tour à tour les différents personnages, personnages, dans quellenature sont-ils pris? Qui parle ainsi de soi-même et de tout? Qui épuise à ce point ce qu'on peut dire sans qu'il soit question de rien faire? Quand il arrive un peu de mouvement dans cette pièce, on se sent soulagé de l'attention continuelle qu'exigent les idées. La scène du duel entre le poëte et le courtisan intéresse vivement; la colère de l'un et l'habileté de l'autre développent la situation d'une manière piquante. C'est trop exiger des lecteurs ou des spectateurs, que de leur demander de renoncer à l'intérêt des circonstances pour s'attacher uniquement aux images et aux pensées. Alors il ne faut pas prononcer des noms propres, ni supposer des scènes, des actes, un commencement, une fin, tout ce qui rend l'action nécessaire. La contemplation plaît dans le repos; mais lorsqu'on marche, la lenteur est toujours fatigante.

Par une singulière vicissitude dans les goûts, les Allemands ont d'abord attaqué nos écrivains dramatiques, comme trans

formant en français tous leurs héros. Ils ont réclamé avec raison la vérité historique pour animer les couleurs et vivifier la poésie; puis, tout à coup, ils se sont lassés de leurs propres succès en ce genre, et ils ont fait des pièces abstraites, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans lesquelles les rapports des hommes entre eux sont indiqués d'une manière générale, sans que le temps, le lieu, ni les individus y soient pour rien. C'est ainsi, par exemple, que dans la Fille naturelle, une autre pièce de Goethe, l'auteur appelle ses personnages le duc, le roi, le père, la fille, etc., sans aucune autre désignation; considérant l'époque pendant laquelle l'évènement se passe, le pays et les noms propres presque comme des intérêts de ménage, dont la poésie ne doit pas s'occuper.

Une telle tragédie est véritablement faite pour être jouée dans le palais d'Odin, où les morts ont coutume de continuer les occupations qu'ils avoient pendant leur vie; là le chasseur, ombre lui-même, poursuit l'ombre d'un cerf avec ardeur, et les fantômes des guerriers se battent sur le terrain des nuages. Il paroît que pendant quelque temps Goethe s'est tout-à-fait dégoûté de l'intérêt dans les

pièces de théâtre. L'on en trouvoit dans de mauvais ouvrages; il a pensé qu'il falloit le bannir des bons. Néanmoins un homme supérieur a tort de dédaigner ce qui plaît universellement; il ne faut pas qu'il abjure sa ressemblance avec la nature de tous, s'il veut faire valoir ce qui le distingue. Le point qu'Archimède cherchoit pour soulever le monde est celui par lequel un génie extraordinaire se rapproche du commun des hommes. Ce point de contact lui sert à s'élever audessus des autres; il doit partir de ce que nous éprouvons tous, pour arriver à faire sentir ce que lui seul aperçoit. D'ailleurs, s'il est vrai que le despotisme des convenances mêle souvent quelque chose de factice aux plus belles tragédies françaises, il n'y a pas non plus de vérité dans les théories bizarres de l'esprit systématique. Si l'exagération est maniérée, un certain genre de calme est aussi une affectation. C'est une supériorité qu'on s'arroge sur les émotions de l'ame, et qui peut convenir dans la philosophie, mais point du tout dans l'art dramatique.

On peut sans crainte adresser ces critiques à Goethe; car presque tous ses ouvrages sont

à

composés dans des systèmes différents; tantôt il s'abandonne à la passion, comme dans Werther et le comte d'Egmont. Une autrefois il ébranle toutes les cordes de l'imagination par ses poésies fugitives. Une autrefois il peintl'histoire avec une vérité scrupuleuse, comme dans Goetz de Berlichingen. Une autrefois il est naïf comme les anciens, dans Hermann et Dorothée. Enfin il se plonge avec Faust dans le tourbillon de la vie; puis, tout coup, dans Le Tasse, la Fille naturelle, et même dans Iphigénie, il conçoit l'art dramatique comme un monument élevé près des tombeaux. Ses ouvrages ont alors les belles formes, la splendeur et l'éclat du marbre; mais ils en ont aussi la froide immobilité. On ne sauroit critiquer Goethe comme un auteur bon dans tel genre et mauvais dans tel autre. Il ressemble plutôt à la nature qui produit tout et de tout; et l'on peut aimer mieux son climat du midi que son climat du nord, sans méconnoître en lui les talens qui s'accordent avec ces diverses régions de l'ame.

CHAPITRE XXIII.

Faust.

PARMI les pièces des marionnettes, il y en a une intitulée Le Docteur Faust, ou La Science malheureuse, qui a fait de tout temps une grande fortune en Allemagne. Lessing s'en est occupé avant Goethe. Cette histoire merveilleuse est une tradition généralement répandue. Plusieurs auteurs anglais ont écrit sur la vie de ce même docteur Faust: et quelques uns même lui attribuent l'invention de l'imprimerie. Son savoir très profond ne le préserva pas de l'ennui de la vie; il essaya pour y échapper de faire un pacte avec le diable, et le diable finit par l'emporter. Voilà le premier mot qui a fourni à Goethe l'étonnant ouvrage dont je vais essayer de donner l'idée.

« PreviousContinue »