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nommés le pas de l'Echelle, la Porte des Ecouges, se dressent devant vous. Enfin, vous arrivez. Quel contraste soudain Vous vous trouvez environné de monts boisés, de sommets dentelés et capricieux, dans un vallon caché mais pittoresque. Là, dites-vous aussitôt, ont dû habiter des âmes dégoûtées des vains bruits du monde et éprises de la vie contemplative ! C'est bien là le désert avec son silence profond, la solitude avec le charme de ses mystères ! Mais le monastère, que les siècles ont vu dans ces lieux, où donc est-il? Hélas! la réponse à cette question se trouve dans ce triste et éloquent hémistiche de Lucain :

Etiam periere ruinæ !

Sur les antiques fondations un métayer a bâti! Du couvent primitif, l'œil du visiteur ne reconnaît plus rien sinon la partie basse de l'abside de sa vieille église ; et dans cette abside, son vieil autel en moellons polis, avec sa table simple et sans gradins.

Evoquons quelques souvenirs historiques.

Au commencement du XII° siècle (1104), un chanoine nommé Guigues de Lans, son frère Raynald et plusieurs autres hommes généreux donnèrent aux églises de SteCroix de Quint, en Diois, et de St-Pierre de Pont-enRoyans, tout ce qu'ils possédaient aux Ecouges, fonds, bâtiments, revenus et droits quelconques. St Hugues, à la tête de tout son Chapitre et des principaux de son église, approuva et confirma cette donation. (Ch. 4.)

Quelques années plus tard, Guillaume, prieur de Quint, ne pouvant probablement établir aux Ecouges une colonie religieuse, du consentement et en présence de Pierre, évêque de Die, remit ces immeubles aux mains de St Hugues,

évêque de Grenoble, avec faculté de les concéder à de pieux cénobites, ou à leur défaut, d'en disposer comme bon lui semblerait. (Ch. 2.)

Or, tout le monde connaît la prédilection du Saint Pontife pour l'Ordre de St-Bruno. Mettant donc à profit les bonnes dispositions de Raynald de Lanz et de son épouse Amaldrada, St Hugues les engagea à compléter la donation des Ecouges, en y ajoutant celle de la vallée et des montagnes adjacentes, depuis Facebelle et l'Alchine jusqu'à la source de la Drevène. Les Chartreux y furent installés (Ch. 3.)

En 1139, le dimanche après la Pentecôte, Hugues II, successeur de St Hugues, se rendit aux Ecouges avec Odalric, évêque de Die, pour en consacrer l'église. Ce jourlà, et sur les lieux, devaient être tranchés des démêlés qui menaçaient de devenir sanglants entre plusieurs seigneurs de la contrée.

Depuis la fondation du monastère, Raynald de Lanz el Guilisius son fils, Guigues Désiré et ses deux fils, Mallen et Francon, s'étaient toujours montrés ses fidèles protecteurs. Mais en même temps une ligue formidable s'était formée contre les religieux et leurs bienfaiteurs. Dans cette ligue entrèrent Ardencus d'Iseron, son gendre Guigues de Sassenage, Guillaume de Rencurel, Arnaud de Cherenne, son frère Baudoin, et d'autres seigneurs des environs. Nous avons, soutenaient-ils, des droits sur une grande portion des biens donnés; nous les réclamons. Réclamations tardives, injustes tentatives d'envahissement que les donateurs se disposèrent à repousser avec énergie.

La solennité de la dédicace de l'église, et l'importance du litige entre des seigneurs puissants et redoutés, avaient attiré dans la solitude des Ecouges une foule immense; il avait à peu près trois mille personnes, dit la Charte 4.

y

Le prélat consacra d'abord le grand autel en l'honneur de

la Sainte Vierge et de St Jean-Baptiste, et distribua ensuite aux fidèles la parole sainte. C'est alors que Raynald de Lanz et son fils s'avancèrent fièrement et jurèrent, sur leurs boucliers, que jamais ils ne souffriraient qu'une atteinte quelconque fût portée aux propriétés qu'ils avaient données aux religieux. Leurs adversaires gardaient un morne et farouche silence. Hugues II, s'adressant directement à eux, n'employa que les armes de la persuasion et de la prière. D'autres personnes joignirent leurs instances aux exhortations épiscopales. Cependant le mécontentement fermentait dans la foule. Ces seigneurs, après s'être consultés, se rapprochèrent à la fin des évêques de Grenoble et de Die, et leur déclarèrent qu'ils renonçaient à leurs prétentions pour l'utilité du monastère. Hugues les félicita. On proclama ensuite solennellement les limites du monastère, et l'anathème fut lancé contre toute déprédation à venir.

Aynard, archevêque de Vienne, en sa qualité de bon Moirannais, portait un intérêt particulier au monastère des Ecouges, si voisin de son pays natal. Nos Chartreux avaient de riches troupeaux dans leurs montagnes, voisines du Villard-de-Lans. Pour nourrir ces troupeaux pendant l'hiver, la noble maison de la Tour-du-Pin avait donné aux Chartreux des Ecouges de grandes prairies sises sur la paroisse de Sérézin, près de Bourgoin. (Ch. 7.) Les Cisterciens de Bonnevaux leur contestèrent la possession de ces prairies. Ce différend eût été capable de diviser deux Ordres qu'une étroite amitié devait au contraire inséparablement unir. L'archevêque Aynard résolut de mettre fin à ce conflit; il ouït les parties, et, par une sentence pleine de sagesse et de conciliation, rétablit entre elles l'harmonie, en présence d'Amédée de Haute-Rive, plus tard évêque de Lausanne, des abbés de Haute-Combe, de St-Chef, de St-Ruf et d'une foule de seigneurs voisins. (Ch. 15.)

Un autre archevêque de Vienne, Jean de Bernin (Ch. 20, 22), plusieurs évêques de Grenoble, Jean de Sassenage, Soffrey et autres, intervinrent fréquemment en faveur de nos Chartreux.

Les Ecouges méritèrent l'attention des Souverains Pontifes eux-mêmes. C'est ainsi qu'Adrien IV et Célestin confirmèrent le prieur et tous ses frères dans leurs possessions et priviléges légitimes, et les reçurent sous leur protection. alors puissante et respectée de tous. (Ch. 8 et 12.)

Le pape Grégoire IX renouvela les témoignages bienveillants de ses prédécesseurs en leur faveur, et leur octroya plusieurs priviléges et exemptions que le document 21 fait connaître en détail. La lettre Papale, datée de Pérouse, est contre-signée par dix cardinaux.

Les gentilshommes les plus en renom, comme les simples mais riches roturiers, se plurent à combler nos moines de leurs largesses, en retour de leurs prières. (Ch. 5, 6, 9, 10, 11, 13, etc.) Mais bientôt, hélas ! se vérifia, pour les Chartreux des Ecouges, ce proverbe vulgaire: «Qui a terre a guerre.» Leur désert n'était pas assez éloigné des populations; leur solitude n'était pas assez profonde. Trop souvent les paisibles religieux, pour sauvegarder leurs droits, furent contraints de guerroyer, ou plutôt de plaider contre maints voisins, lesquels, ambitieux et cupides, usurpaient leurs possessions ou leurs priviléges. Il fallut sévir contre ceux-ci et excommunier certains seigneurs de Rencurel. (Ch. 14.)

Les Dauphins, qui affectionnaient l'Ordre des Chartreux, se firent leurs protecteurs redoutés. Tels se montrèrent Humbert Ier (Ch. 33), et Humbert II (Ch. 46). Ce dernier surtout gourmanda vertement ses officiers de Beauvoir et d'Iseron, oublieux de leurs devoirs en faveur des Ecouges.

La dauphine Béatrix, duchesse de Bourgogne et comtesse d'Albon, avait légué aux Ecouges dix livres pour anniversaires. Guigues-André, mort en 1236, ne les oublia pas dans ses libéralités d'outre-tombe. Son testament mentionne ce legs quinze livres au couvent des Escouages.

Malgré de si hautes protections, les Chartreux eurent de la peine à se maintenir longtemps aux Ecouges, et il est probable qu'ils n'y formaient plus un couvent quand survint l'événement que nous allons raconter.

Vers l'an 1394, alors que des bandes indisciplinées ravageaient le Dauphiné, vouant au pillage et à l'incendie châteaux et monastères, les religieuses Chartreusines de Parménie, qui ne se sentaient plus en sûreté dans leur maison, l'abandonnèrent et vinrent chercher un asile à Revesti, dépendance des Ecouges, située au pied de la montagne, sur la commune de la Rivière, et elles y formèrent ce qu'on appela le prieuré des Ecouges et Parménie.

La mère Flandine de Saconay, prieure des Ecouges, tint chapitre, en 1396, avec ses sœurs au nombre de dix, dans le réfectoire de leur maison de Revesti, au son de la cloche, avec l'assentiment et selon les conseils de Jacques de Paternay, leur vicaire. Ces dames reconnurent et confessèrent que les anciens recteurs dudit prieuré avaient toujours payé à Aymon de Chissay, ainsi qu'à ses prédécesseurs sur le siége de Grenoble, une rente de cinq livres, pension annuelle due à l'évêque pour les décimes perçues dans les territoire et paroisse de l'Albenc. De plus, la main sur l'Evangile et sur le cœur, elles s'engagèrent à solder loyalement cette redevance, en bonne monnaie ancienne et antique, chaque année, au synode de la Toussaint. (Ch. 60.)

Les Chartreusines elles-mêmes ne firent pas un long séjour à Revesti. Le prieuré devenait un embarras pour

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