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son dernier pamphlet, Baudoin continua d'accuser Calvin, avec ténacité, d'avoir trempé dans le meurtre. Il lui rappelle un passage de Michée où le prophète «< fulmine contre ceux qui édifient Sion dans le sang, » et il lui oppose la propre interprétation de Calvin, selon laquelle on ne devait pas contraindre les peuples par la force brutale, « mais qu'il fallait les réformer profondément pour qu'ils se soumissent d'eux-mêmes à Dieu 1. »

ne lui attribuent pas le Religionis et Regis. Cependant, nous fiant au témoignage de Sturm, nous sommes enclins à le croire de Baudoin. De la lettre du 29 août 1562 Sturm avait fait un brouillon qui se trouve heureusement conservé. Une phrase nous importe surtout: « Audio quendam alium divulgatum Balduini libellum in quo Ambosianae perturbationis meminit et minatur meum testimonium. » (Op. Calv., t. XIX, col. 508.) Sturm corrigea ensuite ce texte en effaçant le nom de Baudoin, probablement par délicatesse, Baudoin ayant été un de ses bons amis; voici la forme à laquelle il s'arrêta: « Audio quendam alium divulgatum librum vóóvuuov, in quo Ambosiani temporis autor meminit, et meum testimonium vobis minatur. » (Ibid.) Quel était donc ce livre anonyme attribué par Sturm à Baudoin où il serait fait allusion au témoignage de Sturm pour compromettre Calvin et Bèze à propos de la conjuration? Ce ne peut pas être la Responsio altera puisqu'elle n'est pas anonyme. A notre avis le Religionis et Regis répond à toutes les conditions. En premier lieu, pour la date; les plus récents faits cités sont du début de l'année 1562 (mai et juin, fo 21. Op. Calv., t. XIX, col. 456). Puis, pour le fond; on y trouve, en effet, cette phrase qui correspond tout à fait à ce que disait Sturm: «Testes denique Sturmii hominis doctissimi, et in Germania celebratissimi literae, quae in nonnullorum nostrorum Procerum manus authoris signo approbatae pervenerunt...» (fo 17, Op. Calv., t. XIX, col. 452). C'est là, que nous sachions, le plus ancien opuscule où le témoignage de Sturm soit invoqué. Or, d'après Sturm lui-même, bien placé pour en savoir quelque chose, ce « libellus » avait eu Baudoin pour auteur et un autre (quendam) l'aurait publié. S'il disait vrai, le Religionis et Regis aurait paru presque au même moment que la Responsio altera, ce qui eût donné d'autant plus d'efficacité à l'attaque qu'elle semblait venir de deux côtés différents. Ruse de guerre bien faite pour plaire à un pamphlétaire du XVIe siècle, et combien plus à un Baudoin. Voir sur la polémique entre Calvin, Bèze et Baudoin, Fr. prot., art. Baudoin et art. Calvin (no LXXI); Op. Calv., t. IX, p. XLIII à LXVII. Le Religionis et Regis est attribué quelquefois, mais, selon nous, sans fondement, à l'Anglais Richard Smith, qui vivait à Douay et fut nommé chancelier de l'Université de cette ville, le 5 octobre 1562. Cf. Dictionary of National Biography, vol. 53, p. 102, qui donne cette fausse indication que le pamphlet parut à Cologne. En réalité, il est adressé << ad senatum populumque Parisiensem, » et fut publié « Parisiis, apud V. Sertenas, 1562. » Voir Annexe XII.

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Il le bafoue pour avoir, dans sa conduite, contrevenu à son enseignement. Puis il interpelle Bèz.: « Pour que l'histoire soit complète, il faut y ajouter ton voyage, alors que, travesti, tu parcourais la France avec Hotman, ton complice, afin d'exciter la conjuration d'Amboise et pousser au tumulte 1. >>

Nicolas Colladon se chargea, dans sa Vie de Calvin, de dire son fait à ce personnage: « François Balduin lequel ne pouvant non plus demeurer en une religion qu'en une place, a changé de demeure et de condition plus souvent que tous les jours, et de religion pour le moins trois fois. » Et, le comparant à ces chanoines réguliers qui se prévalent du siècle ou de la règle, suivant que l'un ou l'autre leur est le plus profitable, il l'accuse de «< baiser la pantoufle*. » En effet, cet homme qui criait si fort n'avait pas toujours été un aussi farouche défenseur des Guise. Il fut un temps même où on le comptait au nombre des hérétiques. Moins d'une année avant Amboise, il attendait encore, avec des espoirs non dissimulés, l'arrivée d'Antoine de Bourbon au pouvoir. « Il y a deux jours, » écrivait Languet à son ami Mordeisen, conseiller intime de l'électeur de Saxe, «< reçus une lettre de Baudoin, dans laquelle il m'écrit que le pouvoir des Guise en France se confirme et que le roi de Navarre, contre l'attente de tous, a quitté la cour sans avoir rien tenté pour la cause de la religion". » Et lors de la conjuration, il était au service d'un prince très favorable aux réformés français, le palatin Frédéric III.

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Il est nécessaire de noter que les plus vives accusations contre Calvin furent lancées assez longtemps après l'événement; surtout après la mort du réformateur auquel on pouvait dès lors impunément s'attaquer. En 1561, c'est à peine s'il fait allusion, dans ses ouvrages, aux calomnies dont il était l'objet. Au comte et précenteur de l'Eglise de Lyon, Gabriel de Saconay, son ennemi déclaré mais inhabile, il écrivit sa « Congratulation » et, selon la pittoresque expression de

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Responsio, fo 60 vo. Hotman est pris à partie au fo 70 vo.

2 Op. Calv, t. XXI, col. 92.

LANGUET, liv. II, p. 3, Wittemberg, 30 oct. 1559. Nous traduisons.

Nic. Colladon, « lui gratta bien sa rogne1. » En 1567, le haineux Claude de Sainctes, qui avoue se servir des écrits de Baudoin, incriminait spécialement Bèze; en plus, il lui associait Antoine de Chandieu2.

Après la Saint-Barthélemy, le docteur théologal A. Sorbin, prédicateur de Charles IX, riche d'ordinaire en imprécations contre Calvin, n'en trouva pas à propos du complot d'Amboise. Ce fut sur Théodore de Bèze que se déversa sa bile: « C'est un apostre si modeste, qu'il n'y a trahison brassee en France depuis quatorze ans, qui ne soit procedee de sa forge, querelle ni partialité, ligue ou faction, dont il n'ayt esté l'inventeur et de quoy il n'ayt fait le modelle 3. >>

Le F. Laurent Surius, dans son commentaire publié en 1574, insère complaisamment la tirade du Religionis et Regis, sans trouver mieux à inventer*.

Bolsec attendit que Calvin fût mort pour lancer dans le monde ses perfidies 5. Mais elles le furent alors sous une étonnante variété de formes. Les griefs qu'il trouve contre les

1 Gratulatio ad venerabilem presbyterum Dominum Gabrielem de Saconay, 1561 (Op. calv., t. IX, col. 448): « Seditiones quae semper a vobis accensae sunt, aut certe aliunde exarserunt, inique nobis obiicis. >> Le Musée historique de la Réformation possède l'unique exemplaire français connu de cet opuscule intitulé: Congratulation à venerable Prestre Messire Gabriel de Saconnay, Precenteur de l'Eglise de Lyon, touchant la belie preface et mignonne dont il a remparé le livre du Roy d'Angleterre, s. l., 1561, 8o, 70 p. Saconay, d'une antique famille, voisine des Genevois, était resté en conflit d'intérêts avec eux. Cf. ROSET, p. 341 et suiv.

2 SAINCTES, p. 14. Il accuse « Canideus » (Chandieu) d'être « Galliarum primas post Bezam pontificem. » Il les nomme l'un et l'autre « duo fulmina Ambosianae conspirationis, et tumultus gallici. » (Ibid., épître au lecteur: Christiano Lectori.)

3 SORBIN, fo 46 vo. Il attaquait aussi l'amiral (fo 47). Ne fallait-il pas justifier le roi défunt qui l'avait traîtreusement fait assassiner ? 4 SURIUS, p. 568. Après quoi, il donne ce conseil aussi chrétien que scientifique: «Si quem plura nôsse iuvat, legat Religionis et regis adversus exitiosas Calvini, Bezae et Ottomanni coniuratorum factiones defensionem primam. »

5 Sur les rapports de Bolsec et de Calvin, cf. P. DE FÉLICE, Quand Bolsec commença-t-il à calomnier Calvin? (Bull. prot., t. LVIII, 1909, p. 66-72).

XXXII. - Nouv. série, XII

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deux principaux pasteurs de Genève, décèlent pourtant une indéniable disette de documents. En 1577, parut en deux éditions l'Histoire de la vie de Jean Calvin. On y parle ainsi de la conjuration: «Castelnau, La Renaudie, et Vilemongis, et les autres conspirateurs contre la mort d'un jeune Roy à Amboise, induicts par la suasion de Calvin, quelle issue eurent-ils et que devint leur entreprinse ? Le succes de la honte et mort vergongneuse laquelle ils receurent furent tesmoins bien manifestes qu'ils n'estoient pas envoyés de Dieu, comme Jehu pour tuer Joram, et la lignee d'Achab...2 »

Après Calvin, Bolsec3 s'en prend à Bèze, et n'est pas plus expert en argumentation: « Des larrons et faussaires, j'en allegueray deux entre les autres les plus congnus et renommez, Vile-Mongis, duquel l'histoire est assez divulguée par sa mort vergongneuse, laquelle il receut à Amboyse, en la belle entreprinse contre le jeune Roy à l'instigation de Calvin, et Beze, laquelle Dieu monstra apertement de n'approuver, et n'en estre promoteur par la malheureuse issue et confusion des entrepreneurs... » Et voici sa conclusion: « Ainsi appert que de tant de troubles, invasions, surprinses de villes, etc., etc.... Beze est principal autheur. >>

Pour terminer cette courte revue, disons que l'historien catholique Florimond de Ræmond, qui, pour mieux réussir, s'efforça d'être grave, ne trouve rien à dire à propos de la con

1 BOLSEC, Calvin et BOLSEC, Quatre hérétiques.

2 BOLSEC, Calvin, p. 142. Le bailli de Lausanne, prétend aussi Bolsec (ibid., p. 109), aurait, après le départ de Viret pour Genève, fait, au logis de ce dernier, une perquisition. Plusieurs lettres de Calvin y auraient été découvertes: «Singulierement furent trouvees les lettres par lesquelles il incitoit iceluy Viret à demander la puissance d'excommunier ou qu'ilz quittassent le ministere. Plus la practique et entreprinse d'Amboise: et mille autres inventions et nouveaultés qu'il taschoit de mettre en avant. » Ceci est d'autant plus absurde que Viret avait quitté Lausanne depuis plus d'une année et qu'il vivait auprès de Calvin lorsqu'éclata la conspiration.

3 BOLSEC, Th. de Bèze, p. 14. Bolsec répète à satiété (cf. par exemple p. 35) que Villemongis et ses compagnons, « sans le vouloir de Dieu : mais à la seule instigation de defunct Jean Calvin et de Beze allerent à Amboise contre le jeune Roy: car Dieu renversa leurs machinations. »>

juration. Dans les mille soixante-cinq pages que contient son Histoire de la naissance, progrez et decadence de l'heresie de ce siecle1, il n'arrive à lancer aux calvinistes que cette apostrophe: «< Ouvrez cependant les yeux, messieurs les pretendus reformez, ce sera le glorieux nom que vous acquerrez à coups d'espee et de canon: contemplez ce tableau de vostre pauvre patrie ruisselant le sang de tous costez... Ha! que ce n'est pas chose mal aisee de ruiner et de destruire, mais bien d'edifier et bastir. C'est là l'œuvre, c'est là la peine. Vous sçavez, reformateurs du monde, faire l'un et n'entendez rien en l'autre... merveilleux ouvriers estes vous, qui en bien peu d'annees avez presque abatu le labeur de mil deux cens ans, et fait remuer plus d'armes, que ne firent jamais les Romains, pour la conqueste du monde universel... » Une phrase de son gros livre, cependant, laisse à penser qu'il se réservait de porter une botte vigoureuse à ses adversaires. Louis du Tillet, revenu au catholicisme après avoir adopté quelque temps les opinions du réformateur, «fut esleu archidiacre, » dit Ræmond, « dignité qu'il disputa longuement avec La Renaudie, homme que vous verrez remarqué en nostre histoire, qui premier arbora l'enseigne de rebellion en la France. Ce fut celuy dont, depuis, Calvin se servit pour l'execution de l'entreprise d'Amboise, contre le roy François II, comme je diray en son lieu 2. » Ce lieu ne fut pas trouvé et l'auteur mourut sans avoir réalisé ses intentions.

Quant au premier biographe catholique du réformateur, Papire Masson, dans ses Elogia, écrits en 1583 et mis au jour en 1620, il profère 3 sous ce titre qui semble accablant : « Calvinus quantum nocuit patriae, » cette unique et vague plainte: « On afflua en nombre incroyable pour ouïr Bèze et ses associés, on prépara les armes pour la défense de la secte, et les troubles

1 P. 840. Florimond écrivit son ouvrage à la fin du XVIe siècle (il entendait le dédier à Clément VIII), mais il mourut avant de l'avoir édité. Son fils François le publia pour la première fois en 1605, à Paris. 2 Ibid., p. 890.

3 P. 20. Nous traduisons. Voir, sur les Elogia de Papire Masson: DUFOUR, p. 1; Doumergue, Calomnies, p. 19.

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