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de sanguine et quelques feuilles de papier. En sorte qu'en revenant le soir, ils rapportaient à l'atelier de l'avenue d'Orléans un bout de paysage, une vue de chaumière, un intérieur de cabaret, des types de cultivateurs, de vignerons, ou une tête de paysanne avec sa coiffure champêtre, prise à Bagneux.

Je me souviens toujours du bon père Mariage; je le vois encore avec une grande visière verte à sa coiffure, qui protégeait sa vue affaiblie contre la lumière trop vive du jour il avait soixante-dix-huit ans). Il était doux et bon, très affectueux, parlant presque bas; il aimait surtout à causer de la famille de Wille pour laquelle il conservait un souvenir très vivace. Il se rappelait les bonnes soirées du quai des Grands-Augustins, au temps où il était élève de Wille. Souvent celui-ci lui disait à la fin de la journée : « Jean, vous restez à dîner? mon fils y sera!» Jean restait et la soirée se passait à faire de la musique.

Il parlait encore fort souvent de ses maîtres, de ses succès dans les concours. Tout à coup il se souvenait de telle ou telle étude de nu et terminait en disant à mon père : « Lorsque tu viendras, tu emporteras mes études de figure, tout cela n'est plus à sa place chez moi, je vais partir; elles serviront à ton fils s'il embrasse notre art. » Et, en effet, à notre première visite, nous revenions chez mon père chargés de ses études académiques (2), de dessins. de Vanloo, de Wille, etc. Ces souvenirs précieux sont toujours entre mes mains.

Mariage a produit beaucoup, son bagage artistique est

(1) Vers 1825, Mariage alla habiter 5, rue l'Arbalète, une maison qui lui appartenait.

2) Nous en possédons une portant au dos cette mention : école d'Enbas, figure des médailles, 18 avril 1785. MARIAGE.

considérable; c'était un graveur de talent et d'une grande modestie.

Ses restes reposent dans le cimetière de Saint-Mandé depuis 1844.

Mais revenons à Wille. Un extrait de son acte de décès publié par Jal nous fait connaître qu'il est mort le «< 4 avril 1808 âgé de 92 ans cinq mois, sur le quai des Grands-Augustins, no 29 ». Il y avait plus de quarante-quatre ans qu'il habitait cette maison, comme on l'a vu plus haut. Il était veuf de Marie-Louise Desforges qui lui avait donné un fils, ce Pierre-Alexandre d'après les dessins duquel Wille exécuta plusieurs gravures. Pierre-Alexandre, marié à Paule Abam, habitait également le VI arrondissement, comme en témoigne l'acte de décès de son fils Nicolas-Alexandre, qui décéda à l'âge de vingt mois, le 21 novembre 1778, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, cour du Commerce, et fut inhumé au cimetière Saint-Sulpice.

Jean-Georges Wille n'est pas mort entier le 4 avril 1808. Il a laissé de curieux mémoires qui ont été publiés par les soins de M. Duplessis et qui ont eu l'honneur d'une préface des Goncourt.

Presque toutes ses pièces gravées sont en notre possession. Elles ont été données à F.-X. Toulouze par Mariage qui les tenait de J.-G. Wille. Nous conservons également sa pierre du Levant, employée à aiguiser les pointes sèches et les burins; sa bouteille à eau-forte, son bouchon de cire à border et quelques bouteilles à couleur.

Eugène TOULOUZE.

LA FOIRE SAINT-GERMAIN DES PRES

(Suite.)

VI

DE 1752 A 1761

L'OPÉRA-COMIQUE A LA FOIRE.

Depuis 1743, après la longue interruption de ses brillants débuts à la foire, Monnet avait exploité un grand théâtre à Lyon, puis un autre à Dijon, et un troisième à Londres. Il avait fini par une complète déconfiture et un emprisonnement de six mois en Angleterre (1). Revenu à Paris en octobre 1751, perdu de dettes, il se mit néanmoins en tête de solliciter le rétablissement de l'Opéra-Comique. Il trouva moyen d'intéresser à son sort Mme de Pompadour alors toute puissante, et le 20 décembre il obtint l'autorisation royale. Cinq jours après, il s'engageait à payer à la ville, pendant six années, une redevance de 12.000 livres pour chacune des trois premières années et de 15.000 livres pour les dernières. A l'aide d'un emprunt fait à des amis, il fit restaurer la salle de la foire Saint-Germain, donnant sur le préau du côté de la rue des Boucheries, après

(1) Supplément au Roman comique ou Mémoires pour servir à la vie de Jean Monnet écrits par lui-même (2 v. Londres, 1773), t. II, p. 29. A. Heulhard. Jean Monnet (1 v. in-8°, Lemerre, 1884.)

avoir obtenu la main-levée des scellés qui y étaient apposés depuis 1745. Enfin, il recruta une bonne troupe d'acteurs, chanteurs et danseurs et, le 3 février 1752, le jour même de l'ouverture de la foire, l'Opéra-Comique y ressuscitait aux acclamations d'un public nombreux. C'était le commencement d'une ère nouvelle qui devait être la plus brillante, mais la dernière de ce théâtre à la foire Saint-Germain.

Un petit prologue de circonstance, intitulé l'Heureux retour ou le Retour favorable, composé par Fleury, fut vigoureusement applaudi. On joua le même soir et les jours suivants : le Miroir magique et les Amours de Nanterre, deux vieilles pièces de Fuzelier Lesage et d'Orneval, arrangées et rajeunies par Fleury, puis la Rose, par Piron, le Rossignol, par L'Attaignant et Fleury, enfin deux pièces de Vadé, le Poirier, et une parodie de l'opéra d'Omphale sous le titre de la Fileuse. Monnet avait eu le flair de découvrir et d'apprécier la verve, l'originalité de l'auteur de la Pipe cassée, l'inventeur du genre poissard. Il sut habilement s'en assurer le concours.

Les représentations furent malheureusement interrompues pendant quelques jours par ordre du roi, à cause de la mort de Madame Henriette, survenue le 10 février 1752; mais elles reprirent de plus belle à partir du 23 février. L'Opéra-Comique donna encore pendant la durée de cette foire, la Chercheuse d'esprit et le Coq du village, par Favart, le ballet des Bouquetières, et celui de l'Atelier de Pygmalion ou les Petits sculpteurs. Monnet raconte dans ses Mémoires que, pour ce dernier ballet, il avait eu le bonheur de recruter quinze à seize jeunes garçons et filles de jolie tournure qui eurent le plus grand succès par l'élégance et la précision de leurs mouvements.

La foule attirée ainsi à la foire, remplissant chaque soir la salle de l'Opéra-Comique, était joyeuse, disposée à rire, volontiers prête à faire du tapage. La police était souvent forcée d'intervenir pour rétablir l'ordre (1). Ainsi, le 25 février 1752, vers 5 heures et demie, au moment où le spectacle va commencer, la salle bier. garnie, la recette s'élevant déjà, d'après le rapport du commissaire, à 1.656 livres, deux incidents viennent l'un après l'autre empêcher le lever du rideau. C'est d'abord un individu qui s'est introduit sans de là, réclamations, dispute, et finalement expayer; pulsion du fraudeur. Puis, c'est une dame Martin, marchande rue Saint-Honoré, qui, se trouvant aux deuxièmes loges, laisse, par mégarde, tomber son manchon sur le parterre. Un des spectateurs le ramasse bien vite, le jette en l'air pour le rendre, dit-il, à sa propriétaire; mais le manchon retombe dans le parterre d'où il repart et voltige à travers la salle; le public, mis en joie, éclate de rire, applaudit, crie à Me Martin d'envoyer ses gants, pousse des huées, des acclamations. Le bruit devient tel que le commissaire ne peut pas se faire entendre, et est forcé d'aller chercher au poste quatre grenadiers qui pénètrent en armes dans le parterre, et appréhendent un sieur Delair, paraissant être le principal auteur de la bagarre. Celui-ci est un brave bourrelier, établi rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, qui proteste de son innocence et affirme qu'il a voulu de bonne foi rejeter à Mme Martin son manchon. Il est néanmoins envoyé provisoirement au For-l'Évêque. Le lendemain, il adresse une humble supplique au Lieutenant de police, en lui exposant, qu'en son absence son commerce est arrêté, ce qui lui cause un grave préjudice, et que d'autre part

(1) Archives de la Bastille. Opéra-Comique. (Biblioth. de l'Arsenal.)

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