Page images
PDF
EPUB

présentant leurs camarades de la Comédie-Française, il est procédé immédiatement, sous la protection de la force armée, à la démolition du théâtre, des décors, des loges et des bancs de la salle. Cette exécution terminée, la troupe se retire.

Bertrand, Dolet et Delaplace ne perdent pas une minute. Réunissant instantanément de nombreux ouvriers, ils font, pendant la fin de la nuit, reconstruire théâtre, loges, salle, et le lendemain matin dimanche, à dix heures, des affiches placardées dans Paris annonçaient en même temps la démolition, la reconstruction, et le spectacle offert au public. Les Parisiens trouvèrent l'aventure merveilleuse, et les forains firent le soir une superbe recette.

On devine la colère des comédiens, qui, dès le lendemain lundi, firent procéder de nouveau à une destruction complète et minutieuse des deux théâtres, et y installèrent une garnison de douze archers qui, pendant plusieurs jours, se chauffèrent amplement des débris sur lesquels ils campaient.

Tout n'était pas fini. Le Grand Conseil, saisi du procès par Holtz et Godard, trouva mauvais que le Parlement eût passé outre sans s'inquiéter de l'instance pendante devant une juridiction supérieure. Par arrêt du 14 mars 1709, il condamna « les Comédiens solidairement et par « corps en 6.000 livres de dommages-intérêts envers Holtz <«<et Godard», condamna en outre Dancourt et Dufay qui avaient requis l'exécution « en 300 livres d'amende », et enjoignit aux huissiers et exempts du Parlement de s'abstenir de semblables exécutions. Munis de cet arrêt, Dolet et Delaplace firent en une semaine rétablir leurs théâtres sous les noms de Holtz et Godard et les exploitèrent fructueusement pendant le reste de la foire, à la

grande joie du public. Bien plus, n'ayant pas obtenu de suite payement des 6.000 livres, ils firent saisir par huissier tous les effets des comédiens dans leur hôtel de la rue des Fossés Saint-Germain.

L'affaire n'en resta pas encore là. Les comédiens appelèrent de l'arrêt du Grand Conseil au Conseil privé du roi qui en 1710 et 1711 finit par leur donner gain de cause et condamna Holtz et Godard à leur restituer les 6.000 livres.

Pendant que Bertrand, Dolet, Delaplace et Selles soutenaient cette lutte acharnée, la veuve Maurice et Alard avaient pris une voie détournée pour éluder les arrêts du Parlement. Ils avaient obtenu, moyennant finance, du sieur Guyenet, directeur de l'Académie royale de musique, l'autorisation de jouer des pièces en musique, et ils en usèrent de 1708 à 1710. Mais, à ce moment, les comédiens français, ayant triomphé de Bertrand et autres, voulurent aussi avoir raison de la veuve Maurice et d'Alard. Ils obtinrent que défense fût faite à Guyenet de céder son privilège de l'Opéra, et celui-ci retira l'autorisation qu'il avait donnée précédemment.

Dès lors, les acteurs forains semblaient réduits à l'impuissance. Ils trouvèrent cependant encore le moyen de jouer des comédies à la muette, sans parler ni chanter. L'auteur en scène tirait de sa poche droite un grand rouleau de papier sur lequel étaient écrites en gros caractères les paroles qu'il avait à dire, et il les faisait lire au public, puis faisait passer ce rouleau dans sa poche gauche. Son interlocuteur en faisait autant, et la scène se suivait ainsi. Ce procédé était ingénieux, mais nuisait fort au jeu des acteurs et à l'agrément du spectacle.

On imagina ensuite un autre expédient qui eût plus de

succès, ce furent les écriteaux. Les paroles de chaque personnage en scène étaient arrangées en couplets à chanter sur des airs connus et étaient affichées sur de grands écriteaux déroulés devant les spectateurs par deux enfants costumés en amours, descendant du haut du théâtre. Un petit orchestre entamait l'air indiqué, quelques compères disséminés dans la salle se mettaient à chanter le couplet, et le public faisait chorus. De cette façon, les acteurs, n'étant plus embarrassés de leurs rouleaux, faisaient les gestes voulus, se livraient à une pantomime expressive, et poussaient seulement quelques cris ou exclamations comiques. Lesage et D'Orneval firent pour les théâtres de la foire de nombreuses pièces à écriteaux qui eurent le plus grand succès. Le public ordinaire de ces spectacles fut bientôt dressé à chanter les couplets, et s'y amusa beaucoup.

Une des plus célèbres pièces de ce genre est Arlequin roi de Sérendib, en trois actes, jouée à la foire Saint-Germain de 1713. Arlequin, ayant fait naufrage, se trouve dans l'ile de Sérendib. A son entrée en scène, l'écriteau descendant du cintre porté par deux amours, indique l'air : Je laisse à la fortune... que l'orchestre entame, et les paroles suivantes que les spectateurs chantent pour Arlequin :

Auprès de ce rivage,

Hélas! notre vaisseau
Avec tout l'équipage

Vient de fondre sous l'eau!

Un procureur du Maine

Dans la liquide plaine
A trouvé son tombeau;
Moi, grâce à mon génie
J'ai su sauver ma vie
Et l'argent du Manceau.

[graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed]

UNE PIÈCE A ÉCRITEAUX EN 1713

d'après une gravure du Théâtre de la Foire de Lesage et D'Orneval 1721

« PreviousContinue »