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lues au «< secrétaire général de la questure ». La principale différence semble résider dans le titre qui est aujourd'hui plus sonore. Désormais assuré d'une existence exempte de soucis matériels, François Baudelaire se maria, en 1803, avec Jeanne-Justine-Rosalie Janin. Il avait alors quarante-trois ans. Sa femme en avait trente-huit. Elle lui apportait une fortune assez importante, représentée pour une grande partie par des terrains et des immeubles à Neuilly et par une ferme dans l'Aisne. Elle se livrait à la peinture.

Un fils naissait le 18 janvier 1805 (1).

La vie s'écoulait paisible dans la petite maison de la rue de Vaugirard. Les goûts artistiques de M. et Mme Baudelaire avaient sans doute été l'origine des relations amicales qui s'étaient vite établies entre eux et les frères Naigeon, conservateurs du musée du Luxembourg et ayant, par conséquent, quelques rapports de service avec les fonctionnaires du Sénat. Par eux, on s'était lié avec le sculpteur Ramey, qui habitait dans le voisinage, 15, rue de Vaugirard, et dont le fils était le camarade du jeune Baudelaire. Il y avait encore l'avocat Pérignon qui venait souvent passer la soirée avec sa femme, leurs filles et leur pupille, Caroline Archimbaut-Dufays, orpheline de Charles Dufays, ancien officier

(1) Extrait des registres de baptême de la paroisse Saint-Sulpice (1805). Le 19 janvier, 29 nivôse, a été baptisé Claude-Alphonse, né hier, fils de Joseph-François Baudelaire, employé au Sénat, et de Jeanne-JustineRosalie Janin, son épouse, demeurant rue de Vaugirard, 31; le parein Claude Ramey, la mareine Marie-Anne-Geneviève Martin, ayeule de l'enfant, représentée par Marie-Madeleine Join.

Signé: VERKAVEN, prêtre.

Un acte dont nous avons eu communication nous apprend que MarieAnne-Geneviève était, lors du mariage de safille avec Fr. Baudelaire, veuve en premières noces de Pierre Janin et, en secondes noces, de JeanBaptiste Martin; mais il ne donne pas son nom de famille.

militaire et de Louise-Julie Foyot-Lacombe. Tous les jeudis on dînait ensemble chez Baudelaire et les enfants prenaient leurs ébats soit dans le jardin réservé du chef de bureau, soit dans le Luxembourg même, dont les habitants du palais avaient, comme aujourd'hui, la jouissance après la fermeture des grilles au public.

François Baudelaire devint veuf, non pas en 1817, comme l'a dit M. Crépet, mais en 1814 (1). L'acte de décès de Mme Baudelaire montre que, bien que le nom de Baudelaire ait disparu de l'Almanach royal de 1814 où il est remplacé par celui de Longuemare, désigné comme «< chef du bureau d'administration de la Chambre des Pairs », il était encore en fonctions à la fin de cette année et qu'il occupait toujours l'habitation réservée au chef de service en activité. Si le récit de Milo Aupick est exact, il dut, bien que rayé de l'Almanach royal, continuer ses fonctions quelque temps encore, car les petites intrigues de M. de Semonville n'ont pu ni se nouer tout de suite, ni avoir des résultats immédiats. Mais on ne peut avoir aucune certitude sur ce point, car la comptabilité de la Chambre des Pairs ne donne qu'un chiffre global pour les traitements du personnel administratif. Les recherches auxquelles s'est livré obligeamment l'archiviste actuel du Sénat, M. Lantenois de Boiviers, ont abouti seulement à établir qu'en février 1817, Fr. Baudelaire touche pour la première fois

(1) Extrait des registres de décès de la paroisse Saint-Sulpice pour l'année 1814:

Le vendredi 23 décembre, a été présenté en cette église le corps de Jeanne-Justine-Rosalie Janin, épouse de Joseph-François Baudelaire, chef de bureau de l'administration intérieure de la Chambre des Pairs, décédée hier, âgée de 49 ans, demeurant rue de Vaugirard, 31. Présents Claude Ramey et Louis Lafitte, lesquels ont signé.

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333 fr. 33 cent. pour un mois de pension. A partir de 1818, il reçoit, par trimestre, une pension annuelle de 4.000 fr. dont le dernier terme est payé le 26 décembre 1826.

Comme le dit Mme Aupick, la retraite était belle. Fr. Baudelaire avait en outre l'usufruit d'une partie de la fortune laissée par sa femme et l'administration des biens de son fils mineur dont le subrogé tuteur était Claude Ramey. Il s'était pris d'affection pour la pupille de son ami l'avocat Pérignon, Caroline Dufays. Il lui avait souvent promis de la marier. Mais elle n'avait aucune fortune, ce qui rendait la réalisation de cette promesse difficile. Devenu veuf, Baudelaire se proposa lui-même, d'abord en plaisantant, puis sérieusement et le mariage fut décidé. Par contrat passé pardevant M° Guibert, notaire à Neuilly, le 6 septembre 1819, Joseph-François Baudelaire, « propriétaire, rue Hautefeuille, 13 » faisait «< donation entre vifs à Caroline Dufays, de l'usufruit et jouissance pendant sa vie et jusqu'au jour de son décès de: 1° 3 inscriptions au grand livre de la dette publique 5%, consolidée qui font partie de la dot de M. Baudelaire, formant ensemble 1.775 fr.; 2o de la somme nécessaire pour acquérir 225 fr. de pareille rente en inscription au grand livre pour compléter 2.000 fr. de rente sur la tête et au profit de ladite demoiselle future épouse >>. Mile Dufays apportait un trousseau évalué un millier de francs. François Baudelaire possédait des valeurs mobilières, achetées sur ses économies, parmi lesquelles neuf actions de la Banque de France. Les époux se mariaient sous le régime de la communauté. Le mariage eut lieu le 9 septembre 1819. François Baudelaire avait cinquante-neuf ans; sa femme, née à Londres, paroisse Saint-Pancrace, le 27 septembre 1793, en avait vingt-six.

IV

Le nouveau ménage s'établit rue Hautefeuille 13, dans. l'appartement où François Baudelaire s'était installé avec son fils lorsque, après sa mise à la retraite, il avait dû quitter l'habitation du Luxembourg. C'est dans cette maison, démolie lors du percement du boulevard St-Germain que naquit, le 9 avril 1821, Charles-Pierre Baudelaire..

Nous avons vu que, sur l'acte de naissance, François Baudelaire est désigné comme «< ancien chef de bureau de la Chambre des Pairs. » Sur l'acte de baptême dressé à StSulpice, il prend la qualité de « peintre », à laquelle les biographes de son fils ont ajouté celle d'amateur, exacte du reste, puisque la peinture n'était pour lui qu'un passetemps.

Après avoir reproduit l'acte de baptême de Baudelaire, M. Crépet ajoute: « Le poète se trompait donc quand il donnait à Poulet-Malassis le renseignement que celui-ci a consigné sur une feuille de son exemplaire des Fleurs du mal (11e édition) : « Baudelaire nous a appris l'autre jour en conversant, qu'il avait été tenu sur les fonts baptismaux par Naigeon (l'athée Naigeon!) et Mme Ramey, la femme du sculpteur. Du reste l'erreur de Baudelaire s'explique. Il savait que les deux frères Naigeon, le conservateur et le conservateur-adjoint de la galerie du Luxembourg, avaient été, comme Ramey, au nombre des amis de son père. Ils figurent même parmi les membres du conseil de famille convoqué après la mort de François Baudelaire pour nommer à Charles un premier subrogé-tuteur qui fut M. Pérignon.

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L'erreur de Baudelaire s'explique dans une certaine mesure par une confusion avec l'acte de naissance dont les témoins ont été Naigeon et Ramey. Il est néanmoins surprenant qu'il ait oublié à ce point Pérignon, à cause duquel il portait le prénom de Pierre et dont sa mère n'avait pu manquer de lui parler bien souvent.

C'est dans ce logis de la rue Hautefeuille que s'écoulèrent les premières années de Charles Baudelaire. Une note prise par lui en vue d'une autobiographie et publiée par MM. de la Fizelière et Decaux (1) résume ainsi les impressions que cette époque lui avait laissées :

«Enfance vieux mobilier Louis XVI, antiques, consulat, pastels, société XVIIIe siècle.

<< Goût permanent depuis l'enfance de toutes les représentations plastiques. >>

On serait tenté de croire, d'après cette indication, que la demeure paternelle était meublée d'un de ces somptueux mobiliers du dix-huitième siècle que se disputent aujourd'hui les amateurs et embellie de bronzes et de marbres antiques dont la vue aurait frappé son imagination enfantine. L'erreur serait grande. L'appartement, tel que nous le fait connaître l'inventaire dressé après le décès de François Baudelaire, est assez vaste. Il prend vue en partie sur la cour, en partie sur un jardin et comprend au moins trois chambres à coucher, une salle à manger, un salon et une pièce servant de bibliothèque et de cabinet de travail. Le mobilier, assez important comme quantité, n'a rien de luxueux. Il semble avoir cet aspect roide et froid que nous ont conservé les représentations de scènes d'intérieur de cette époque et que gardent encore quelques logis de pro

(1) R. de la Fizelière et Georges Decaux, Études bibliographiques. I,

Baudelaire.

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