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simple provient de l'n précédente, cf. min (mais), mantr pour matr (mettre), nantayi pour natayi (nettoyer). — Je ne m'explique pas les variantes nuəbin, mnuəbïn et sin-nunbïn.

/ initiale étant devenue y devant les voyelles palatales dans le Jura bernois, le passage de l en n doit être antérieur à ce changement phonétique.

4. étrió s. m. « sorcier »

Ce mot ne nous est attesté que par les Paniers, au vers 13 de l'édition Rossat (ms. A):

Que langairdin de moi, me nannin Etrio (en rime avec proximo suo). « Qu'elles (les dames en panier) médisent de moi, [qu'elles] m'appellent sorcier. »

Le sens ne fait pas de doute, puisque les deux manuscrits (A et B) du poème de Raspieler traduisent le mot dans leurs glossaires par « sorcier » ; au surplus, le sens injurieux du mot apparaît plus clairement par le contexte du ms. B, où il est en compagnie de « bélitre » et de « coquin » (vers 37). Quant au radical, il est facile d'y reconnaître le latin striga «femme qui fait du mal aux enfants », « sorcière », qui est une variante, supposée par l'accord de plusieurs formes romanes, du latin classique striga, d'où l'italien strega « sorcière ». Ce striga a donné régulièrement estrie, f. en ancien français, mot bien attesté par Godefroy au sens de « monstre malfaisant »>, vieille sorcière (femme hideuse comme estrie).

Il est plus difficile de se rendre compte de la terminaison du mot patois. Au point de vue phonétique, rien n'empêche de dériver étrió soit d'une forme latine strigellum soit d'une forme de l'ancien français *estriel dont le cas sujet *estrieaus, passant par étriyau, a dû aboutir à étrió. Notre mot ayant été employé comme terme d'injure, comme le démontre le passage cité des Paniers, il était naturel que le nominatif étrió eût fait disparaître l'accusatif *étrié, qui serait la forme patoise correspondante de l'ancien français *estriel. Même sans tenir compte de cette explication, on sait par l'étude de Gilliéron (Revue des

patois gallo-romans I, p. 33), ainsi que par les cartes de l'Atlas linguistique de la France, combien sont fréquentes dans les patois de l'Est les formes en yó (o) à côté des formes en é (i),

etc.

Si en français le suffixe diminutif -ellum s'ajoute plus fréquemment aux noms de choses (tableau, morceau) et d'animaux (taureau, chevreau), les noms de personnes ne manquent pas, ainsi : damoiseau, jouvenceau, tyranneau, larronneau, etc. Il arrive même qu'un nom de personne est tiré d'un verbe, c'est le cas de chemineau propr. « homme qui chemine », qui désigne tantôt le terrassier changeant fréquemment de chantier, tantôt, avec la variante orthographique cheminot, l'employé de chemin de fer si souvent en route. De ce côté-là, il n'y a donc rien d'étonnant dans la formation supposée d'*estriel.

C'est le genre qui fait difficulté: estrie étant du genre féminin, on s'attendrait à *estriele (cf. demoiselle, it. sorella), d'autant plus que dans l'imagination populaire la sorcière est bel et bien un être féminin.

Un moyen d'expliquer le dérivé masculin serait de supposer pour la vieille langue un verbe *estrier (cf. lat. strigare, it. stregare « ensorceler ») d'où l'on aurait tiré un *estriel << celui qui ensorcelle », comme de cheminer on paraît avoir formé chemineau. Mais comme cette formation est peu attestée, il est préférable de supposer un ancien masculin *estri, qui correspondrait au point de vue morphologique exactement à l'italien strego ‹ sorcier » (à côté de stregone) et dont le diminutif normal estriel nous tirerait de toutes les difficultés.

Il existe près de Moutier un nom de lieu Fenatte de l'Etriou, que, dans son étude (p. 41), M. Roche traduit par « petite fin de l'étrilleur » ; il serait peut-être préférable de le rattacher à notre radical en l'interprétant comme « petite fin d'un nommé Etriou, sobriquet naturel au sens de « enchanteur », anc. franç. *estrieur, tiré du verbe *estrier, supposé plus haut.

E. TAPPOLET.

UN CAS D'« UMLAUT »

DANS LE DIALECTE GRUYÉRIEN

Dans le domaine des langues germaniques, on observe dès l'époque de l'ancien haut allemand l'action assimilatrice d'un i suivant sur un a du radical: gesti, pluriel de Gast, d'où la forme moderne Gäste. Ainsi s'expliquent les transformations mass, mässig; Tanz, Tänzlein (anciennement -lín), etc. C'est ce qu'on appelle « Umlaut », en français « apophonie ». Ce phénomène finit par s'étendre à presque toute l'échelle vocalique: Sohn - Söhne, Bube — Büblein, etc.

Dans son ouvrage Les Patois romans du canton de Fribourg (1879), Hæfelin a cru reconnaître une évolution phonétique analogue en Gruyère: « Il est possible que le changement de l'a atone en e soit aussi dû à l'influence d'un i suivant dans les mots ci-dessous1: ènyi à côté de la forme anyi (agnellus); Erbivuè, Albeuve (alba aqua); èmi (amicus); èrdzin (argentum); xlyèyi (flagellum); tèrdi à côté de tardu (tardivum) ». De cette liste, il est prudent d'écarter les mots où ar se change en èr, ce qui arrive indépendamment d'un i suivant, comme le montre èrdzin, où il n'y a pas d'i. De même xlyèyi, où il s'agit du groupe ay, qui passe à èy dans un vaste territoire. Restent les cas sûrs ènyi et èmi, auxquels viendront se joindre les nombreux exemples que je citerai plus bas.

Un autre cas d'apophonie concerne l'ou atone qui devient u devant un tonique: kutsi, drumi, muri, etc. (ailleurs koutsī, droumi, mouri), dont j'ai touché un mot dans ma dissertation Le patois de Dompierre, p. 57-59. M. Jeanjaquet a constaté des phénomènes analogues en Valais, voir Bulletin VI, p. 29,

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1 P. 32. Nous remplaçons la transcription de Hæfelin par celle du Bulletin.

notes 5-6. Enfin, M. Fankhauser en a relevé plusieurs dans sa pénétrante étude sur le patois de Val d'Illiez, p. 108 et 112 ss. Dans la note 3 du § 134, il est aussi question des conditions fribourgeoises et du cas spécial qui m'occupe ici: tavi > tèvi.

J'aimerais aujourd'hui me borner à ce dernier, en cherchant à préciser l'influence que l'i accentué exerce sur un a de la syllabe précédente. Voici d'abord quelques matériaux : alyi ou élyi « alisier»; aji ou èji « présure »; achi, èchi ou èxi « acier » ; avri ou èvri « abri » et aussi « avril » ; ènich « anis » ; avi ou èvi « avis » ; èbi « habit » ; lavi ou lèvi « loin » ; nari ou nèri « narine »; kratchi ou krètchi « cracher ; tavi ou tèvī « couvercle » ; tsayī ou tsèxī « chasser »; xlyapi ou xlyèpi « flétri »; grapi ou grèpi « grimper ». Il y en a d'autres, mais les formes citées suffisent amplement pour prouver qu'on est bien en présence d'une règle phonétique 1.

Mais avant de parler d'une règle, il faut faire la contreépreuve et voir s'il n'y a pas de mots qui s'y dérobent. L'apophonie n'a pas lieu lorsque l'a est séparé par une syllabe de l'i tonique: abalyī, abètsī, afóti, amolyī, aplyèyi, armalyī, etc., pas même dans avijī « accoutumé ». L'i n'agit qu'à courte distance. Les verbes sont un peu réfractaires : balyī, katchī, etc., évidemment parce que les formes accentuées sur le radical et qui sont à l'abri de cette influence: balyo, katso, etc., agissent dans le sens de la conservation de la voyelle primitive. Un a long n'est pas atteint: banyī, gånyî, etc. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que certains mots ne présentent nulle part des formes avec è, tels que pachi « échalas » ; arīða « arête »; rajī « radeau » ; lavī « lait » ; adī « toujours » ; chapī « sapin » ; aprī « après » ; vanī « rocher ». Le dernier exemple pourrait s'expliquer par une ancienne forme hypothétique van-nī. Mais les autres ? Pourquoi jamais lève pour « lait »? Toutes ces excep

1 Ce sont les travaux de classement des matériaux du Glossaire qui m'ont fait voir clairement qu'il y avait là une certaine régularité (voir Rapport de 1913, p. 6).

tions ont en commun que l'i n'y est pas ancien. A Blonay, par exemple, on dit encore paséi, aréiða, lavéi, adéi, apréi (les autres mots manquent), prononciation plus archaïque et qui doit être à la base des formes fribourgeoises. Il s'agit de -ellum ou de es et consonne. Le lecteur attentif objectera que tèvi <tabellum est bien du nombre des cas infectés d'i. A cela on peut répondre que l'hésitation entre avi et èvi a pu entraîner tèvi. Les mots zlyèmi « espèce de gâteau », de flamellum, et plyèti « plateau », ne me déroutent pas ici le son è est dû à l'action de la mouillure précédente; cf. plyèdi « placer », et le mot simple plyèvə « place », ainsi que d'autres 1. anyī (agnellum) représente un cas à part; derrière gn le suffixe -ellum paraît avoir subi un traitement spécial; cf. anyī et non anyéi à Blonay.

La Gruyère n'a donc conservé qu'en partie les anciennes. conditions d'extension du phénomène, mais elle en laisse encore reconnaître les limites. Comme les textes fribourgeois du XVe siècle étudiés par M. Girardin n'ont pas de traces d'une prononciation aprī ou lađi, avec i (§ 30 et 33), et que ces cas font généralement bande à part, l'apophonie ami > èmi doit remonter plus haut.

Aujourd'hui le phénomène tend à disparaître sous l'influence du français: ami, anyī sont plus fréquents que leurs doublets en è. Quelques mots, qui n'ont pas de correspondants directs en français et sur lesquels l'influence de la langue littéraire n'a pas de prise, ne connaissent pas de formes en a: rèvi « proverbe », qui se rattache à raviser, aðèvi kə « aussitôt que », de adistam vecem quod. Ils montrent que ami, anyī sont relativement nouveaux.

Au Pays-d'Enhaut, notre phénomène offre des conditions modifiées. De la dissertation inédite de M. Cornu: Lautlehre der Mundart des Pays-d'Enhaut (1874), j'extrais les exemples suivants: agèchī « agacer »; batèdī « batailler »; bètsī « bap

1 Le patois de Dompierre, p. 21.

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