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de la soupe aux pois et du lard aux veilleurs; dans les Franches-Montagnes on cuit du riz pour les repas d'enterrements. De Chambrier, Mairie de Neuchâtel, p. 450-452, rappelle les contestations qui avaient lieu anciennement sur le rang à occuper dans le convoi funèbre; sur l'affluence de visites de condoléances telle que le magistrat dut y mettre un frein en 1710. Le pasteur faisait son oraison au retour du cimetière, devant la maison mortuaire. On trouve une vieille ordonnance (de 1776) sur les deuils, dans le Musée neuch. 1896, p. 45; un règlement de 1810 pour les enterrements à Neuchâtel, ib. 1897, p. 48. Ce qui concerne le soin des tombes sera indiqué sous cimetière.

L. GAUCHAT.

AU SOUFFLE DE LA VAUDAIRE

Lettre à M. Louis Gauchat1

Mon cher ami,

Veveysan de naissance, grandi au souffle de la vaudaire, je me suis, avant les bateliers de Saint-Gingolph et de Meillerie insurgé contre votre opinion d'antan, qui dérivait ce mot du nom de ma patrie vaudoise. Cependant, votre objection contre l'étymologie vaudai, « sorcier, diable », me touchait d'autant plus qu'aux exemples du XVIIe siècle invoqués par vous j'en puis ajouter un du XVIe: « devers la Voudeyre », dans un document vaudois de 15532. J'en étais venu à supposer, entre le synonyme uberres et vaudai, un de ces croisements, une de ces contaminations dont notre collègue Tappolet constatait naguère la fréquence dans nos patois. Mais voici qu'en même temps vous nous apportez le « fait nouveau » qu'exige tout jugement en cassation et une sentence nouvelle, contre laquelle je n'ai plus garde d'interjeter appel.

à

Pour établir que le v de la forme chablaisienne vovaire est le continuateur légitime de l's sonore jadis prononcée dans Valle(n)sem et l'hypothétique * valles-aria, vous ne pouvez, la vérité, vous fonder que sur des exemples du type undecim, quindecim, et sur l'analogie des mots où une s sourde, précédée de l ou de n, a été changée en & ou en ƒ. Les mêmes considé

1 Voyez Bulletin, X, p. 46, et XIII, p. 62.

2 Mémoires et Documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse romande, XXIII, p. 318.

3 Bulletin, II, p. 63.

4 Ib., XIII, p. 46.

rations m'avaient déjà conduit, en mon particulier, à expliquer par le même processus phonétique un nom de lieu vaudois qui nous montre, comme celui d'Anzcinde, rappelé à la fin de votre article, et quelques autres en Savoie 1, un v patois correspondant à une s entre voyelles ou un z de l'usage officiel. Deux probabilités concordantes n'équivalent pas à une certitude; mais, dans les sciences historiques et philologiques, ne devons-nous pas souvent nous contenter à moins? En s'entr'aidant comme l'aveugle et le paralytique, votre étymologie et la mienne, dont je vous prie d'être le parrain, remédieront autant qu'il est possible à leur commune faiblesse.

Le 23 décembre 1043, Aymon, évêque de Sion, inféodait au chanoine marié Warnerius, à sa femme Helisana et à leurs héritiers la terre de Morcles, avec l'alpe de Martenod2. Or, un pâturage de la commune de Bex, qui n'est séparé du territoire de Morcles que par le massif de Javerne, s'appelle Eusannaz, Ausannaz ou Euzanne, en patois άvanna, et ce nom s'identifie avec celui d'Helisana aux mêmes conditions (ou sous les mêmes réserves) que vovaire avec *vallesaria. Si nous avons rencontré juste, ce serait un nouveau spécimen à ajouter au petit nombre des lieux dits tirés de noms de femmes, tandis qu'Anzeinde, plutôt que d'un féminin Adosinda, me paraît être issu du masculin Adosindus, conformément à un mode de dérivation des noms de lieu qui est représenté dans le voisinage par Bovonnaz (ou Bovonne), de Bovon, et dans toute la Suisse romande par beaucoup d'exemples analogues.

La présence d'une / ou d'une n précédente est indispensable pour que l'une des sifflantes s ou z soit changée en ts ou dź; mais je ne crois pas que l'évolution postérieure de ts et dz à ou f, d ou vou d, dépende encore de cette condition, ni qu'il ý ait besoin de recourir à anve (ou onde) et tienve pour expli

1 Mésinge, Jonzier, Minzier, Scionzier. Voyez Romania, XXXVII, P. 75.

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quer dove (ou dòdè), treive, quatorve et seve1. L'n qui termine aujourd'hui la première syllabe d'Anzeinde n'est constatée qu'à partir du XVIIe siècle, et la prononciation contheysanne ainnda, supposant un avinnda antérieur, corrobore les graphies Adzenda et Azenda des années 1300-1302. Mésinge (près de Thonon), en 1248 Meizinium, en 1294 Mezingio, Mesingio, en 1298 Mecingio, dans le patois actuel mèvindò, et quelques-uns des noms vaudois et valaisans que je citerai tout à l'heure pour illustrer le changement en d, font tomber toute restriction.

Ainsi que l'a très bien reconnu M. Jaccard dans son Essai de toponymie, un ancien dj gallo-roman, noté au moyen âge par i ou g et habituellement représenté dans nos patois par dz, l'est exceptionnellement par d dans les noms de quelques pâturages des Alpes vaudoises: Audon, à Ormont-dessus 2, en 1332 Ougion et Ouzon; la Badausaz, à Ormont-dessous, au XIVe siècle Baiousa; Chaudes dans le bassin supérieur de l'Hongrin, au XIIe siècle Calgi, Chaugi, Chages. En contraste avec la prononciation ròdzòmon du nom de Rougemont, ce d sporadique reparaît au Pays d'Enhaut dans les lieux dits Rodomonts, Rodocher et Rodoscaix, Rodovanel. Dans la grande commune valaisanne de Conthey, il sert à caractériser le patois des villages montagnards par opposition au de régnant dans le bas. On dit lodzò et lò̟dò, fənṛdzò et fənṛdò, en parlant de deux hauts pâturages dont les noms sont identiques au français <auge» et au dialectal « fenage ». Les vèrdzèle du Bourg, les verdale de Premploz et les vèrdèle de la commune voisine d'Ardon sont autant de répliques d'un même nom, diminutif fréquent de « verger ».

3

Ces faits nous éclairent sur les vicissitudes antérieures et l'extension géographique de ce d alpin que vous avez signalé

1 Les formes en v, d'après Fenouillet, Monographie du patois savoyard (Annecy, 1903), pp. 31 et 58.

2 Ne pas confondre avec l'Audon bernois, qui a donné son nom à l'Oldenhorn et dont le d peut avoir une autre origine.

3 Masculin dans nos patois, comme il l'est parfois en ancien français.

dans les noms de nombre. Mais ils ne jettent qu'une lumière indirecte sur celui du mot vaudaire, puisque c'est principalement dans le bassin du Léman qu'on ressent les effets de ce vent diabolique. Comme vous le donnez à entendre, il se pourrait que notre d eût jadis occupé une aire plus vaste que celle où le cantonne aujourd'hui notre ignorance. Je relève dans des documents du XVe siècle1 les graphies Vizi (1435, 1453), Vizy (1471, 1488) et Vidi (1452) du nom bien connu de Vidy, ancienne paroisse et lieu dit de la commune de Lausanne. Il resterait à en élucider l'étymologie 2 et à rendre compte de la graphie du Cartulaire de Lausanne: viti, en 12283. La valeur attribuée aux lettres latines par les scribes du moyen âge est parfois incertaine, et cette incertitude autorise mainte hypothèse. Ce d de Vidy, ce d de vaudaire (le vaudai « peutêtre s'y mêlant ») ne serait-il pas, dans les plus anciennes mentions, une notation imparfaite, dans le français local et les patois influencés par lui, un substitut du 8 persistant, à Montreux et à Blonay, dans la série des noms de nombre de « onze » à « seize » ? L'histoire encore si mal connue de nos dialectes, à laquelle doivent contribuer les patois modernes, les noms de lieu et tous les documents écrits dans nos contrées, offre aux linguistes un magnifique champ d'investigation, où se plaît à

vous rencontrer souvent

Votre fidèle collaborateur et ami,

ERNEST MURET.

1 Mém. et Doc., XXXV, pp. 162, 176, 197 et 220; Mémorial de Fribourg, IV, p. 316.

2 Peut-être *vitic-etum, de viticem, au sens d'« osier » qu'il a dans quelques patois du midi de la France?

3 Mém. et Doc., VI, p. 12. A ce que veut bien me faire savoir le savant bibliothécaire de Berne, M. de Mulinen, la lecture n'est pas douteuse et le t ne peut être confondu avec un c. Le même Cartulaire (pp. 132 et 133) nous offre les formes successives Clingerio (885 environ et 888) et Clendie du nom de Clendy, à Yverdon; mais ce très ancien d, apparu dans de tout autres conditions que celui d'Audon et de Vidy, ne nous concerne pas ici.

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