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crêpe aussi pour aller annoncer le décès chez le pasteur et pour commander la fosse (Vallée de Joux). D'anciens règlements du XVIIIe siècle prescrivaient combien de temps ce crêpe devait être porté selon le degré de parenté du défunt (Musée neuch. 1896, p. 47). A Evolène, les hommes ne se rasent pas pendant quelque temps, en signe de deuil. Dans cette vallée, comme dans celle d'Anniviers, les femmes portent, pour un grand deuil, la barbette (coutume autrefois plus répandue), c'est-à-dire une longue bande de toile blanche, attachée autour du cou et flottant jusqu'aux pieds ou fixée à la robe. Le temps pendant lequel cela devait se faire était prescrit (trois semaines pour père et mère); maintenant cela a lieu à l'enterrement et en allant à l'offrande. Fischer, Die Hunnen, p. 371 ss., qui décrit tout au long un ensevelissement auquel il a assisté dans l'Anniviers, parle encore d'un linge blanc que les hommes et les femmes mettent sur la tête. Le noir et le blanc sont ainsi les couleurs du deuil. Bridel a encore vu un « couvre-chef blanc » chez les femmes qui assistaient à l'enterrement (op. cit.). Dans plusieurs localités de la Gruyère, les hommes portaient naguère un pantalon blanc (gilet et redingote noirs) à l'enterrement d'un célibataire. Comp. le tablier blanc que mettent les filles en accompagnant le cercueil d'une célibataire dans le Prättigau (Arch. s. d. trad. pop. I, p. 46)1. Dans le Vully, on rencontre encore des enfants auxquels on attache un tablier noir aux épaules, souvenir de l'ancien manti. Dans le Jura bernois, les femmes mettaient autrefois un mouchoir de tête blanc (ou bleu), nommé bouèyat', doubya, voir ces mots, comme le portent encore les femmes anabaptistes. Plus tard, elles endossaient les bagnolets, sorte d'énorme capuce ronde avec mantille.

On observait le grand deuil (pour mari ou femme, père ou mère, enfants) pendant un an et six semaines, le demi-deuil

1 Voir aussi Rochholz, Die Leidfarbe Weiss, dans le volume mentionné plus haut, p. 133 ss.

(étoffes grises ou autres couleurs sombres) une seconde année. Le petit deuil (pour d'autres parents) durait trois à six mois. Actuellement toutes ces usances tendent à devenir moins rigoureuses.

12. Il y a une cinquantaine d'années régnait encore, presque indiscutée, la coutume de grands repas d'enterrement, auxquels prenaient part tous ceux qui assistaient aux cérémonies funèbres. On improvisait de longues tables dans la grange ou ailleurs, afin de pouvoir placer tout ce monde. Rien n'était épargné, on mangeait force bouillis et rôtis et le bon vin vieux pétillait dans les verres, comme le décrit Schiner dans sa Description du Dép. du Simplon (1812; voir aussi Mario, Génie des Alpes val., p. 149). Les paysans mettaient de côté une bonne pièce de fromage et surtout un tonneau de vin, afin que rien ne manquât à leur fête, car c'est ainsi que ces repas, y compris les funérailles, se nommaient dans les Alpes vaudoises et dans le Bas-Valais. On les appelait aussi dîner ou goûter d'enterrement, dèdzon-non, non-n, trantó (B Malleray) et satāmo (nom qui signifie proprement septième et a désigné à l'origine la fin d'une série d'offices liturgiques, voir J. Jeanjaquet, Bull. du Gloss. V, p. 47, et ci-dessous no 14). On disait méme baire lo co, << boire le cadavre » (Bridel). Ces véritables banquets avaient lieu avant le convoi funèbre, ce qui était particulièrement choquant, ou au retour du cimetière. Après avoir commencé avec dignité, ils dégénéraient facilement en beuveries et en festins pantagruéliques. Nous lisons dans l'Agace la phrase: lous autre iadzo on molavè sous queuté por alá is enterrèmen, autrefois on aiguisait ses couteaux pour aller aux enterrements (no 20, p. 3). En 1678, un communier de Travers convia jusqu'à 112 personnes à un repas funéraire (J. de Sandoz Travers, Notice hist., p. 75). Mais ces repas étaient surtout onéreux, et un de nos correspondants affirme connaître des familles qui ont été plusieurs années avant de pouvoir se libérer de la dette contractée à une telle occasion. Aussi les autorités ont-elles trouvé bon

d'intervenir. M. Isabel cite pour Vaud des mandats du Conseil de Berne de 1706, 1747, 1767. (Vieux usages, Arch. s. d. trad. pop. XVI, p. 86, où l'on peut lire une description détaillée de ces repas). Dans les Registres du Conseil de Genève, nous trouvons sous le 25 nov. 1699: « A été dit qu'il seroit à propos... de faire un Reglement qui defende les repas que l'on a accoutumé de faire parmi les dits sujets dans les maisons des defunts au retour de leurs ensevelissemens ce qui constitue leurs enfans ou parens dans une depense considerable... ». Bridel mentionne (sous baire) un arrêt du Conseil de Neuchâtel de 1616. En Valais, les abus furent interdits par un règlement de police, de 1889 (Jegerlehner, Das Val d'Anniviers, p. 144); mais on nous cite une dame de Champéry, qui avait été mise à l'amende déjà vers 1860. Dans le canton de Fribourg, le clergé a fait une campagne ardente afin d'obtenir qu'on n'invitât plus que les proches parents venus d'autres villages. Grâce à ces efforts, ces repas sont aujourd'hui abolis presque partout.

M. Isabel (op. cit., p. 86) en ramène l'origine à la cœna feralis des Romains. C'est possible; mais les grandes distances que les parents ont souvent à parcourir pour se rendre au lieu d'enterrement, mettent la famille du défunt dans l'obligation de restaurer leurs forces; un petit repas est inévitable; on tient aussi à récompenser les porteurs, fossoyeurs, chantres, etc. de leur peine. Ainsi la coutume d'un repas à grandes proportions peut naître spontanément en tout temps et en tout lieu. Inutile de dire que de petites collations se pratiquent encore. Surtout en revenant du cimetière, on sert du pain et du fromage, arrosés de vin, des petits pains (Ormonts), de la pâtisserie (Genève). Le soir, les dames sont invitées à un café (Vd). On se réunit soit dans la maison mortuaire, soit à l'auberge.

Dans certains endroits, l'abolition des grands repas s'est opérée graduellement. A Bagnes, ils ont été restreints aux cas de décès d'un célibataire fortuné. On a, pendant quelque temps, versé dans la caisse des pauvres une part de la somme qui aurait servi à festoyer. Puis on a renoncé à tout. Dans le

canton de Fribourg, un repas réunissait les membres de la famille le premier dimanche après l'enterrement. Dans l'Anniviers, tout le cortège se rassemble encore dans la maison de Commune, après l'enterrement; on sert pain, fromage et vin, « le tout à satiété ». C'est à cette occasion que sont tranchées, en plein conseil des « hommes de serment », toutes les difficultés d'héritage (voir Fischer, op. cit., p. 377; cet auteur mentionne des détails concernant ces repas que nous ne pouvons pas tous relever; fidèle à sa thèse, que la critique s'est empressée de réfuter, il met toutes ces coutumes d'enterrement en rapport avec l'apparition des Huns en Valais).

13. Si c'est un progrès réel d'avoir renoncé aux festins d'enterrement, on ne peut pas en dire autant de l'abolition des distributions officielles de vivres et de vêtements aux pauvres (la don-na; binfé, « bienfait» est le nom de l'exécution d'un pareil vou exprimé par le défunt) (V et F). Les anciens cortèges funèbres étaient souvent, dans le Jura bernois, précédés d'une femme qui portait, avec une chandelle. allumée, une ou deux miches de pain, symbole de la distribution qui se pratiquait ensuite et qui atteignait le total d'une fournée ou davantage. A Bagnes s'est conservé le souvenir d'une distribution de neuf chaudières de soupe de fèves et d'orge à l'occasion de l'inhumation d'un curé. Sur l'usage de donner des fèves, cf. Courthion dans Arch. s. d. trad. pop. V, p. 48. On invitait autrefois les indigents à manger les reliefs. des repas d'enterrement. On leur donnait aussi de l'argent. Actuellement, on rémunère en espèces ou en vêtements surtout les veilleurs, où il y en a encore, les porteurs ou fossoyeurs, ceux qui ont fait la toilette du mort. Les enfants qui ont porté la croix dans le cortège sont invités plusieurs dimanches à dîner dans la famille du défunt (F), privilège que reçoit aussi occasionnellement un pauvre de la commune. Pour le reste, tout est laissé maintenant à la charité personnelle. Il est juste d'observer aussi que la mendicité a énormément diminué.

14. Les catholiques ont coutume de répéter l'office des

morts le 7me, le 30me et le 365me jour après le décès. La dernière cérémonie s'appelle généralement la « messe du bout de l'an» (fornaita, de forni, finir, V), celle du 7me satamo ou << les 7 jours ». Celle du 30me est un peu tombée en désuétude. Le satamo est souvent célébré dès le lendemain de l'enterrement ou un des jours suivants. Dans certaines paroisses du Jura bernois, on ajoute un office le 3me jour après l'inhumation; dans d'autres on dit simplement trois messes pendant les premiers jours, ou on fait dire une messe par trois prêtres, mais sans supprimer l'anniversaire. A Bagnes, le curé dit tous les matins, pendant une semaine après l'enterrement, les répons, auxquels assiste un parent avec un cierge allumé. Cela se continue tous les dimanches de l'année et s'appelle << porter la chandelle ». En d'autres endroits valaisans, le port de la chandelle n'est que mensuel, ou inconnu. Dans le canton de Genève, une messe des morts est célébrée le lendemain des funérailles; une femme parente ou payée à cet effet y assiste en tenant un grand cierge allumé, appelé luminaire. Cela peut se répéter pendant un an. La messe d'anniversaire est nommée anivarsela.

15. Divers. En Valais s'est un peu conservée l'habitude de payer le curé en nature (pain, bougies); il recevait autrefois une mesure de froment. A Bagnes, à la première offrande, une parente apporte une nappe. L'abbé Daucourt a publié dans le Folk-Lore Suisse, III, p. 41, une charge contre le casuel des prêtres. Voir une parodie des Vêpres des morts dans L. Courthion, Veillées des Mayens, p. 205, des cancans d'enterrement (femme qui s'extasie sur les meubles, etc., dans ja maison mortuaire) dans l'Agace, no 38. En pays catholique, les morts-nés et suicidés sont généralement enterrés sans cérémonies, quelquefois dans une partie spéciale du cimetière Mario, op. cit., p. 198, rapporte la coutume anniviarde de creuser quelques tombes à l'avance, à l'approche de grandes gelées qui durcissent la terre, ce qui rend possible qu'un fossoyeur prépare sa propre fosse. A Bagnes, on servait autrefois

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