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les morts, après les avoir dûment lavés, peignés, même rasés. On leur donne un vêtement convenable ou celui qu'ils préféraient ou leurs habits de cérémonie (deuil ou noce). Aux jeunes mariées, on aime à mettre leur robe de noce. Les fillettes sont souvent habillées de blanc. On ne met généralement pas de souliers aux défunts, mais la coutume naïve s'est conservée dans quelques villages du Jura bernois, situés près de la frontière allemande, de mettre des souliers à une femme morte en couches, afin qu'elle puisse revenir allaiter son enfant. Si le bébé est mort, il est enseveli avec la maman. Aux vieilles femmes on met l'ancien bonnet (B). En Valais, où les adultes font ordinairement partie de la confrérie du Saint-Sacrement, les morts sont revêtus de leur habit de pénitent, nommé abè (= habit), espèce de domino blanc, recouvrant tout le corps.

Dans les soins donnés ainsi au cadavre, la famille se fait volontiers remplacer par des amis ou voisins, par des gens pauvres ou par des «spécialistes ». On les rétribue d'une chemise ou d'un vêtement du défunt, quelquefois d'une gratification en argent.

Ainsi vêtu ou enveloppé de son linceul, le mort était autrefois ou est encore étendu sur une planche placée sur des tabourets, ou sur un banc, en attendant que le cercueil soit fait. Cette planche, le Leichenbrett de la Suisse allemande, est surtout usitée dans les cantons de Fribourg et de Berne. Mais elle l'était partout, témoin la locution être sur la planche, ou sur le lan ou sur le banc, connue dans toute la Suisse romande dans le sens de être mort. On laissait aussi le corps dans son lit, tout en ayant soin de mettre une planche dessous. Comme raison, on indique que la tiédeur du lit développe la décomposition. Sous la tête d'un mort couché sur la planche on mettait un coussin ou simplement des copeaux. Les mains étaient croisées sur la poitrine, enveloppées d'un chapelet ou munies. d'un petit crucifix, dans les contrées catholiques. Un bouquet, de romarin par exemple, mis dans la main du défunt, embellissait l'aspect triste, surtout quand c'était une jeune personne.

Dans les Alpes vaudoises, et sans doute aussi ailleurs, une personne âgée tenait un petit psautier. On mettait aussi une Bible sous le menton, pour empêcher la bouche de s'ouvrir. A Plagne (B) on attache les mains d'un ruban de deuil. A Champéry (V) on signale l'habitude de mettre une image de saints ou une prière écrite entre les mains du mort. On dit à Bagnes qu'il ne faut pas lier les jambes avec le suaire. Le corps étendu sur un banc est souvent recouvert d'un linceul. Un prêtre décédé est revêtu des ornements sacerdotaux qu'il employait à la messe. La planche, mentionnée ci-dessus, servait aussi à y placer le cercueil pour la descente dans la tombe.

Plusieurs termes techniques se sont développés à cette occasion dans nos patois. Revêtir prend en Valais et dans les Alpes vaudoises le sens spécial d'habiller un mort. Ailleurs on dit (r)habiller, èfti (N Landeron), sans signification spéciale. Tous les soins qui précèdent la mise en bière s'appellent mettre (bouta) adrai (convenablement, Vd), insəvəli, «ensevelir» (F, B), infachota (F Châtel-Saint-Denis), mantr an biar << mettre en bière» (B). On remarque la déviation curieuse du sens propre de quelques-uns de ces termes. Pour « être sur la planche », on disait concurremment: être exposé, étre en corps (F Gruyère). Au lieu de lan, planche, on rencontre tsavanton (F environs de Romont).

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8. L'ancien messager (aussi invitārè, exprès Vd), chargé d'annoncer la mort aux parents et amis, et de les convoquer à l'enterrement (verbes employés: mander, demander, commander, inviter, prévenir, prier, «faire à savoir »), est de plus en plus remplacé par les lettres de faire part et les avis dans les journaux. Les premières s'appellent aussi lettres de deuil (F), de mort (N), d'enterrement. Pour le Chenit, Vallée de Joux, on nous indique l'année 1870 comme époque où l'on cessa de communiquer verbalement la triste nouvelle au moyen d'un jeune homme muni d'une liste. A cet effet, on choisissait généralement un voisin, ami ou parent du trépassé. Il portait des habits de deuil. Comme on lui offrait beaucoup à

boire, il se trouvait quelquefois, à la fin de sa tournée, dans un état contrastant singulièrement avec sa mission. La coutume de faire inscrire chaque décès, ce qui se faisait anciennement par les curés et pasteurs, a eu quelque peine à entrer dans nos mœurs. Nos archives contiennent des plaintes à ce sujet. On lit par exemple dans le Registre des décès de Gingins: « Depuis ce jour 22 juillet 1777, ensuite des plaintes que j'ai portées contre l'abus d'enterrer les morts ou trop tôt ou s'en [sic] m'en aviser comme pasteur pour les inscrire; ou enfin dans des fosses qui n'étaient pas à la profondeur exigée par la loi, on a établi des enterreurs, auxquels on a alloué 20 batz pour chaque mort au-dessus de l'âge de dix ans, et 12 pour les morts d'un âge au-dessous, payables par les parents du défunt ou la commune s'ils n'ont pas de quoi payer, etc. » (Millioud, Anciennetés du Pays de Vaud, 1901, p. 105). L'institution de l'état civil (1874), avec l'obligation de se procurer un certificat du médecin, un acte de décès, appelé mortuéro en patois, et un permis d'enterrer, a mis fin à ces désordres..

9. De grands changements se sont accomplis dans la façon de veiller les morts. Jadis, tous les parents, voisins et amis y prenaient part. Cette collectivité a fait place à un petit nombre et, dans beaucoup de localités protestantes, on ne veille plus du tout, tandis que chez les catholiques, il y a, jour et nuit, quelqu'un qui prie à côté du défunt. La raison de la diminution des participants est que ces réunions nocturnes où l'on buvait, se gobergeait même de friandises, où l'on caquetait et se disputait, causaient souvent du scandale et des rixes, sans compter les frais inutiles. Actuellement, en Valais, on laisse le soin de veiller ordinairement à des pauvres, qui reçoivent, de droit, un habillement du défunt. Certaines personnes s'en font une spécialité, on les appelle vèlya-mòr au Val d'Anniviers. Dans le canton de Genève, plusieurs personnes, parents et amis, veillaient dans la cuisine, près de la chambre mortuaire. A minuit, les veilleurs faisaient une petite collation et déjeunaient le matin avant de partir. Vaud a à peu près aboli la coutume.

Mais on fait souvent veiller la première nuit par une seule personne, à laquelle une autre peut offrir de tenir compagnie ou d'alterner avec elle. Si la mort survient après minuit, les assistants finissent la nuit sans aller se coucher. Dans le canton de Fribourg, ce sont, la plupart du temps, des personnes de bonne volonté, deux à quatre, qui passent auprès du cadavre les deux ou trois nuits qui précèdent l'enterrement, en priant à voix basse. Par intermittences, on récite à haute voix le chapelet. On leur offre pendant la nuit du thé et du café, avec du pain et quelquefois du fromage. A la montagne neuchâteloise, c'étaient les voisins qui veillaient la première nuit, les parents la seconde. Voici quelques détails pour le canton de Berne: à la nuit, des voisins et amis viennent, plus ou moins nombreux, veiller jusqu'au jour. D'heure en heure on récite le chapelet à haute voix. Une personne « dit devant » et les autres répondent en chœur, en ajoutant à chaque salutation angélique : « Délivrez les âmes du Purgatoire », et aux litanies: « Priez pour lui ou pour elle. » A 10 heures et à 2 et 4 heures, on va à la cuisine boire un «< petit verre » et manger du pain; à minuit, on sert du café au lait avec pain. Dans d'autres villages, les gens de la localité venus le soir pour prier se retirent vers 10 heures, à l'exception des « veilleurs » qui passeront la nuit en prière.

Les termes patois pour veiller sont: vèlyi, (sè) vouardā, tsòoujik (= « choisir » au sens ancien de « regarder », Hérens).

Voir la suite de ces indications encyclopédiques (cercueil, porteurs, fossoyeur, etc.) sous enterrement.

ÉTYMOLOGIES

1. Bridel menau, menantho, « vieillard ».

Le Glossaire de Bridel contient un certain nombre de mots qui restent isolés au milieu des matériaux du Glossaire romand, en dépit des recherches systématiques poursuivies dans toutes les régions de la Suisse française. Ainsi une seule fiche est venue accompagner celle qui reproduit ce texte du doyen (imprimé de 1866): « MENAU, MENANTHO, s. m. vieillard. C'est un nom honorifique qu'on donne aux anciens du peuple. Voy. ANTHOU (Pays-d'Enhaut). » Cette fiche provient du vocabulaire manuscrit du doyen Henchoz de Rossinière, qui a servi de source à Bridel, et où on lit : « Menau (vieilli) répond assez à sieur en y joignant l'idée d'un certain âge. Au moins il paraît que cette qualification supposait chez celui auquel elle s'appliquait quelque titre au respect. » Sous ANTHOU nous trouvons dans Bridel : « Un vieillard, un quidam, la personne que vous savez. Dans le Pays-d'Enhaut on le joint par honneur au prénom: Anthou Pierro. L. antiquus. Anilo, dans les îles Philippines, signifie ancêtre, vieillard. » Cette fois encore, le doyen ne donne qu'une rédaction abrégée de l'ouvrage de son ancien voisin et collègue Henchoz, qui dit : « Subst. sans genre, mais qui pourtant s'applique plus souvent aux femmes. C'est le nom burlesque par lequel on désigne une personne que l'on ne daigne pas honorer de son nom, mais qui est assez connue de celle à qui l'on parle pour qu'elle ne puisse pas s'y méprendre. C'est l'a. veut dire c'est vous savez bien qui. Un mari donne souvent ce nom à sa femme, cependant cette expression tend à disparaître, on la faisait suivre du nom de baptême l'a. Piéro; l'a. Jeanne comme le quidam Pierre, etc. Il s'y joint en même temps quelque idée de vieillesse, mais plutôt sous le rapport de la caducité que des droits au respect. »

Il s'agit donc d'un terme désigné comme vieilli dès le commencement du XIXe siècle; il n'est pas étonnant que nous ne l'ayons plus retrouvé dans le parler vivant. Les mots de ce

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