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troupeau de vaches, le récit Un servant cause de mort donné par Ceresole, Lég. des Alpes vaud., p. 35, et la croyance que la rencontre des fenettes des îles du Rhône, espèce de nymphes, était funeste (ib. p. 79). Quant aux personnifications de maladies contagieuses, nous renvoyons à l'histoire de la Dépopulation de Champs-Jumeaux dans les Veillées des Mayens, de M. Courthion, p. 176, et au conte sur la Peste à Nendaz, publié par M. Jeanjaquet dans le Bull. du Glossaire, VII, p. 46.

4. Passant aux coutumes observées pendant et immédiatement après un décès, il y a lieu de mentionner les rites pratiqués par les catholiques pendant l'agonie. Le malade reçoit les sacrements de pénitence et d'Eucharistie; le danger devenu plus imminent, le prêtre lui donne encore le sacrement d'extrême-onction. Il l'assiste de ses prières, auxquelles le mourant prend part dans la mesure de ses forces. Le prêtre peut être remplacé par des laïques. On appelle cela « récrier » le mourant (B). A Bagnes, le curé est appelé par un parent ou ami, muni du voile de pénitent (voir plus loin). Le départ du presbytère est accompagné d'une petite sonnerie de cloches. Le nombre des coups est différent selon les villages où l'on porte le viatique. On allume aussi une bougie (jaune) à l'église devant un autel, persuadé que la vie s'éteindra avec le cierge. Pour les agonisants qui ont occupé une fonction à l'église, on y joint un cierge blanc (Bagnes). Lorsqu'un enfant est agonisant, on appelle les parrains, qui viennent l'« étrenner », c'està-dire placer sur sa poitrine une pièce d'argent qui sera ensuite remise au curé pour dire un office. Cet usage est considéré comme devant hâter la « délivrance » de l'enfant (F Broye). Chez les protestants on a recours, pour adoucir les derniers moments, à des prières ou lectures de textes bibliques. On enlevait le lit de plumes (« couatre ») sous le mourant (Vd). On croyait qu'un coussin de plumes prolongeait l'agonie (V Bagnes).

Pour exprimer que le malade est in extremis, les patois emploient quelques périphrases, dont voici les principales

(nous francisons où l'expression n'y perd rien): être à (toute) extrémité, au bout (de la perche) (Vd V F B); àu tsavon dè l'òrna, au bout de la rangée (V); a kāro, au coin (= tournant, V); être bien in-nan, avancé (Vd); inylon, au bout (V); u sondzon, item (V); a totè restè, aux derniers restes (V); à la dèrairǝ, dernière (Vd V G), sur ses derniers moments (Vd), à (sur) la fin, à fin de mort (voir ci-dessus p. 66 [tirage à part 49], Vd F B); arǝvā fini, « arriver fini » (Vd), « il a fait» (F); filer du mauvais coton (en parlant du râle); être près du pertuis (tombe, F). Quelques-unes de ces tournures, cela va sans dire, sont humoristiques. Les mots pour râle, råler seront donnés sous rankò, rankā.

A propos des signes extérieurs de la mort, nos correspondants citent toutes sortes de détails physiques, parmi lesquels nous ne relevons que ce qui présente un intérêt philologique: avoir les yeux kalyé, « caillants » (Vd, Chenit), inkrotā, enfoncés (Vd F), ingårå, égarés (F), èkondu, « éconduits » (V), étartsa, grands-ouverts (V Vollèges), mòch, morts (V Evolène), fondu (V), anvarèyiə, vitreux? (B Vicques), tréviria, tournés (B), la toile devant les yeux (F), la mousse (la toile) au nez (V), des fèrniar (toiles d'araignée) dans le nez (B). L'agitation fébrile des mains, occupées à froisser le drap de lit, s'appelle ramasser (B), faire des pon-nə, poupées (G).

5. Usages pratiqués après le trépas. Aussitôt que le malade a fini de souffrir, on a l'habitude de lui fermer les yeux et de donner à ses mains l'attitude de la prière. En pays catholique, on les entoure d'un chapelet, de préférence à grains de bois. Quelquefois on donne au mort un scapulaire, s'il ne le porte pas déjà autour du cou (V Bagnes). Un crucifix est placé près de la tête. Une tasse ou assiette remplie d'eau bénite, avec une branche de buis, permet aux visiteurs de se signer et d'asperger le défunt en signe de croix. On allume une petite lampe ou un lumignon. Certaines personnes, par dévotion, ou en vertu d'un vou, venaient offrir du pétrole ou de l'huile pour l'alimenter (V Bagnes). La lampe se met sur un meuble ou sur

la tablette de la fenêtre, près du chevet ou au pied du lit. Au lieu d'une lampe, on allume aussi un cierge qui brûle jusqu'à l'enterrement. Mais cela est assez rare, à cause des frais. Dans plusieurs villages du Jura bernois, on se sert d'une pivatte (mince bougie de cire enroulée en peloton creux). Le soir, quatre ou six bougies, disposées autour du lit, brûlent pendant que les parents et les voisins récitent le chapelet (F). A Evolène, il est d'usage de faire sur le front du défunt une croix au moyen de neuf gouttes de cire. La «sonnerie de l'agonie», ou < du trépas» (B) avertit le village de l'événement. Cela se faisait autrefois même au milieu de la nuit. Depuis quelque temps, cet usage est renvoyé à l'aube, si le décès a lieu pendant le sommeil des habitants. Dans le canton de Genève, le glas est sonné à midi et le soir. La manière de sonner fait reconnaître s'il s'agit d'un homme, d'une femme ou d'un enfant. Ainsi on sonne pendant environ dix minutes toutes les cloches pour les adultes, une seule pour un enfant (B Roggenbourg). On peut aussi distinguer la sonnerie pour les hommes et pour les femmes en prenant une cloche grande ou moyenne. On commence par tinter, puis on sonne à toute volée et on finit par un second tintement. Naturellement, toutes ces pratiques religieuses varient légèrement de lieu en lieu. A Champéry (V), par exemple, on sonne d'abord trois coups, puis la deuxième cloche à grande volée; trois coups qui suivent signifient que c'est un homme qui est mort.

La coutume d'ouvrir la fenêtre, immédiatement après le décès, est un reste inavoué de paganisme; cela avait à l'origine pour but de laisser sortir l'âme (voir van Gennep, op. cit., Le sort de l'âme, p. 199; le même, Revue de l'histoire des religions, 1910, p. 65). On considère aujourd'hui la chose comme une mesure d'hygiène, et l'on n'a pas tort. Quelques-uns arrêtent la pendule dans la chambre mortuaire, symbole de l'arrêt de la vie. Assez généralement on couvre d'un linge ou d'un voile le miroir, ou on le retourne. Il y en a qui masquent aussi les tableaux. On explique cette pratique en disant que c'est pour

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écarter tout objet de vanité. Mais c'est plutôt un reste de croyance aux mauvais esprits. Il y a des pays où l'on masque le miroir également lors des naissances et des mariages; on prétend que dans ces moments on y voit le diable (voir Samter, Geburt, Hochzeit, Tod, p. 134, et Frazer, The golden bough, I, p. 294). Selon une très belle croyance la superstition est pleine de poésie on jugeait les bêtes capables de prendre leur part du deuil de la maison. C'est pourquoi on ôtait les clochettes du bétail, usage dont la trace s'est à peu près perdue. Mais il y a encore des personnes qui croient fermement que les abeilles dépérissent et s'envolent après la mort de leur propriétaire ou d'un membre de la famille. Ce sentiment touchant de solidarité se manifeste de différentes manières, soit en mettant un crêpe au rucher (Vd Alpes, G), soit en soulevant ou retournant les ruches (Vd Centre, B), soit en envoyant quelqu'un pour annoncer formellement aux abeilles, en frappant sur le rucher: Votre maître (ou tel autre de la maison) est mort (B) (voir van Gennep, op. cit., p. 225). A Bernex (G), on met même un crêpe aux chaises de la chambre mortuaire. Une survivance curieuse de coutumes païennes nous est relatée pour un village du canton de Berne : On vide l'eau de la seille, car « l'âme du mort s'y est lavée en partant »; on frappe contre la tonne à choucroute, afin que le contenu ne se gâte pas, et contre le tonneau à vin, sans quoi ce dernier tournerait. Autrefois on brûlait, sur un grand chemin, la paillasse du mort, coutume en train de disparaître depuis l'introduction de sommiers et de matelas coûteux (voir Daucourt, Arch. s. d. trad. pop., XVII, p. 226). Dans la région de Chaumont (N), habitée par des fermiers d'origine allemande, on découpait jadis dans le drap sur lequel avait été couché le défunt un morceau de toile qu'on enroulait à hauteur d'homme autour du tronc d'un arbre fruitier de son verger. Quand ce morceau était pourri et tombé de l'arbre, on disait que le propriétaire avait fini son temps de purgatoire et était entré en paradis. (cf. A. van Gennep dans le Folk-Lore suisse 1915, p. 6). Cette

observance vient de la Suisse allemande, où elle est encore très usitée; on emploie à cet effet surtout les linges avec lesquels on a essuyé la sueur du malade ou lavé le cadavre (cf. Totentücher, Arch. s. d. trad. pop., I, p. 218, et surtout E. Hoffmann-Krayer, Feste und Bräuche des Schweizer volkes, 1913, p. 44, auquel nous renvoyons une fois pour toutes au sujet des traditions populaires dont nous parlons ici et sous enterrement).

6. Les pleureuses (ou pleureurs) ont fait leur temps. C'étaient des personnes qu'on engageait pour manifester, publiquement, surtout en suivant le cercueil, le deuil en se répandant en lamentations bruyantes. On les employait aussi pour inviter à l'enterrement. Cet usage ancien et païen n'existe plus nulle part chez nous, mais s'est faiblement conservé en Savoie (voir van Gennep, op. cit., p. 201). D'après un article non signé du Conteur Vaudois 1898, no 13, sur les Anciennes coutumes, des vieillards se souviendraient encore, dans le canton de Vaud, d'avoir vu les pleureurs ou pleureuses. A Neuchâtel, cette tradition aurait cessé vers 1870. Il n'est pas impossible que le rôle des prieuses du Val de Bagnes soit en rapport avec les anciennes pleureuses. Ce sont des femmes du village qui ont pour office de se rendre aussitôt après le trépas dans la maison mortuaire, si elles n'y sont pas allées dès l'agonie. Elles récitent de longues prières des morts. D'autres personnes, mues par des motifs de piété, leur viennent tenir compagnie.

7. Toilette du mort. A Bagnes, c'est aux prieuses qu'incombe le soin de faire la toilette du mort. Il y a environ une cinquantaine d'années, on cousait encore le défunt dans son suaire ou drap de lit. La pratique en a survécu dans certains hôpitaux, ainsi que dans quelques villages, comme aux Ormonts. Quelques points ou épingles avec nœuds de crêpe de tulle suffisent à joindre le linceul sur la poitrine. Maintes familles le remplacent par un peu de toile blanche, achetée ad hoc. De plus en plus la coutume prévaut d'habiller complètement

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