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Du reste, grâce au système employé, nous avons tout lieu de croire que rien de bien important ne nous a échappé. Quand M. Muret s'enquiert auprès de nous du sens probable des noms de lieu qu'il explique, le Glossaire peut presque toujours lui fournir d'abondants renseignements. M. le Conseiller aux Etats Python demanda un jour en plaisantant si nous avions déniché le mot tapagolye, qui désigne un individu à la démarche très lourde: il était attesté trois fois dans nos fiches. Dernièrement, lorsque le Conteur Vaudois a soulevé le petit problème de la signification exacte du terme culinaire tsergotsè, le Glossaire ne s'est pas trouvé pris au dépourvu.

Il s'agit maintenant de coordonner ces innombrables fiches. Il n'est pas possible de publier la moindre partie du Glossaire sous une forme définitive avant d'avoir classé le tout. Les spécimens d'articles que nous avons donnés à titre provisoire sont tous à remanier. A vouloir trop se presser, on s'exposerait à retrouver après coup quantité de fiches utiles, pour lesquelles il faudrait faire des additions. Nous voulons éviter autant que possible ces suppléments fastidieux pour les chercheurs. Une fois que chaque mot sera bien à sa place, que tous les renvois seront faits, que nous aurons toutes les listes de synonymes, alors nous pourrons aller carrément de l'avant.

La période que nous traversons est la plus ingrate. Les matériaux sont recueillis et les non initiés s'étonnent de ne rien voir paraître. Le travail qui s'accomplit est énorme, mais il se fait dans le silence du Bureau, sans que rien trahisse au dehors les longues et délicates manipulations du classement. Nous avouons franchement que nous n'avions pas évalué à sa juste mesure cette opération difficile. Mais aussi n'avions-nous pas prévu une masse pareille de maté

riaux. Nous ne nous attarderons pas à décrire en détail les multiples opérations du classement, qui n'ont cependant pas été pour nous un moindre casse-tête que l'organisation de l'enquête. Nos Rapports en font foi. Nous ne dirons ici que l'essentiel.

Les mots d'archives (source n° 2) sont réunis par ordre alphabétique et forment un groupe à part. Ils constituent pour ainsi dire un langage spécial, trop différent du patois actuel pour y être incorporé pendant le classement.

Les extraits de textes et les glossaires régionaux (sources 1, 3, 5) ont été d'abord combinés en blocs alphabétiques cantonaux. Ce travail terminé, on a ensuite fusionné les trois cantons dont les patois sont le plus rapprochés: Vaud, Fribourg et Neuchâtel, qui forment actuellement une seule série. Depuis quelque temps, M. Gauchat est occupé à y faire entrer les trois autres cantons et le français populaire (source 6). Comme il profite de cette occasion pour prendre une foule de notes philologiques de toute espèce, notes qui faciliteront beaucoup la rédaction, ce travail avance très lentement, d'autant plus que M. Gauchat en est souvent détourné par les publications en cours.

La source n° 4, c'est-à-dire les réponses des correspondants, a déjà subi une première transformation. On a détaché les fiches des carnets à souche et réuni les mots identiques dans des enveloppes de classement. Le classement primitif par cantons n'existe donc plus, mais les groupements d'idées subsistent.

De cette façon, nos matériaux ne représenteront bientôt plus que deux grandes séries: d'une part, les sources 1, 3, 5 et 6; de l'autre, la source 4. La réunion finale du tout en une seule série alphabétique n'est pas encore commencée, mais elle ne tardera pas à l'être.

Il serait non seulement regrettable, mais impardonnable de laisser perdre sans en tirer parti l'avantage du groupement des fiches de nos correspondants par ordre d'idées. Veut-on savoir comment on dit chez nous pour «< arc-enciel », « voie lactée », « éclair », « tonnerre », « borgne »,

aveugle», «<loucher », etc., on n'a qu'à prendre les boîtes qui correspondent à nos questionnaires astronomie populaire, le temps, la vue, et l'on est vite renseigné sur les moindres détails. Nos étudiants qui ont fait des thèses sur ces matières n'ont pas eu besoin de parcourir tous nos matériaux. La partie la plus longue de leur travail, la recherche des termes, était déjà faite. Nous-mêmes, nous avons largement mis à profit cet arrangement, qui constitue l'originalité de notre entreprise, et nous avons été en mesure de répondre sans trop de perte de temps aux multiples demandes de renseignements qui nous arrivent de tous les pays. A supposer qu'un savant veuille connaître les appellations romandes de la bardane, nous cherchons sous ce mot et nous trouvons, bien réunis, tous les noms de cette plante qui ont été relevés par nos collaborateurs.

Ce n'est pas sans regret que nous verrons se disperser par le classement alphabétique ces belles collections de mots, où tout se tient, où un terme explique souvent l'autre. Aussi avons-nous imaginé un moyen de conserver la substance de cet arrangement, destiné à disparaître. Avant de répartir les fiches à leur place alphabétique, nous notons dans de grands cahiers, que nous appelons « résumés », tous les mots et périphrases que nos correspondants nous ont fournis comme équivalents patois de telle ou telle idée indiquée dans nos questionnaires. Ces « résumés » constitueront donc un vaste répertoire de la synonymie patoise, tel qu'il n'a jamais été dressé, que nous sachions, pour

aucun groupe de dialectes. L'élaboration de ces résumés est la tâche principale de M. Tappolet, qui les exécute avec le concours de plusieurs étudiants de Bâle et de Zurich. A l'aide de ces cahiers, çà et là illustrés de croquis, il sera facile de reconstruire les cadres naturels de l'enquête par questionnaires, que nous fait briser la dure nécessité du classement alphabétique des fiches. Inutile de dire ici toute l'importance scientifique d'un pareil répertoire pour étudier les inombrables problèmes soulevés par l'action phonétique, morphologique ou sémantique que peut exercer un

mot sur un autre.

C. PUBLICATIONS

Nos Questionnaires et nos Rapports, déjà mentionnés, s'adressent en première ligne à nos correspondants et à nos autorités de surveillance. Nous avons cherché à atteindre un public plus étendu par le Bulletin du Glossaire, qui s'imprime depuis 1902, à raison d'au moins quatre feuilles par an, et qui en est donc aujourd'hui à sa treizième année. Malgré son nombre de pages restreint, ce modeste périodique a rendu des services. D'abord à nous-mêmes : il nous a fourni l'occasion de faire des essais de transcription, d'édition de textes, de recherches étymologiques, d'illustration et de rédaction d'articles du Glossaire. Il a ensuite contribué à entretenir l'intérêt pour le patois chez nos abonnés et à initier les meilleurs de nos correspondants aux méthodes philologiques; il a permis aux autorités qui veulent bien subventionner notre entreprise de se tenir au courant de nos travaux. Les romanistes eux-mêmes n'ont pas jugé négligeable notre Bulletin et certains d'entre eux, comme MM. Paul Meyer et Eugène Herzog, en ont parlé avec

éloges. Le dernier lui a emprunté quelques textes pour sa chrestomathie des dialectes français. A la suite de demandes répétées, les premières années sont aujourd'hui épuisées. Soutenus par la collaboration de plusieurs romanistes distingués, nous avons osé offrir les trois dernières, sous le titre d'Etrennes helvétiennes, en hommage à M. le professeur Hugo Schuchardt, à Graz, à l'occasion de son soixantedixième anniversaire.

En 1912, nous avons ouvert la série proprement dite des publications du Glossaire par le premier volume de notre Bibliographie linguistique de la Suisse romande (Neuchâtel, Attinger frères, éditeurs; in-8° de x-291 pages). Le second volume, qui doit compléter l'ouvrage, est sous presse. Pour nos propres besoins, nous avions dû dresser un inventaire complet des nombreux ouvrages qui ont été publiés sur nos patois avant et pendant notre enquête, de toutes les sources à utiliser pour le Glossaire, des études sur nos provincialismes, sur les noms de lieux et de familles. Nous avons pensé faire œuvre utile en publiant ce catalogue d'ouvrages qui n'intéressent pas seulement la philologie, mais aussi l'ethnologie, l'histoire et d'autres disciplines encore. Quand le Glossaire paraîtra, notre Bibliographie en deviendra un complément nécessaire pour connaître la valeur dialectologique, l'étendue, le lieu d'origine et la date des textes qui y seront cités. Tout l'ouvrage n'est, au fond, pas autre chose que l'énumération raisonnée des sources du Glossaire. Nous y avons joint un chapitre de portée plus générale sur la statistique linguistique de notre pays, la limite du français et de l'allemand et la question des langues, qui échauffe par moments les esprits. Ce chapitre et celui de la littérature patoise remplissent le tome premier, déjà paru, qui est accompagné d'une carte linguistique et de sept fac-similés

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