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de l'histoire aussi bien que de la linguistique. Une circulaire adressée aux historiens est restée sans résultat. Cependant nous ne manquons pas de matériaux de cette espèce. Grâce au concours de MM. A. Millioud, à Lausanne, J. Reymondeulaz, à Chamoson, W. Wavre et Mlle L. Morel, à Neuchâtel, A. Gros, à Neuveville, F. Fridelance, à Porrentruy, R. Hoppeler à Zurich, nous possédons environ 40 000 fiches extraites de documents d'archives. Lorsqu'il était encore sous-archiviste à Neuchâtel, M. Jeanjaquet a dépouillé lui-même pas mal d'anciens textes, et le travail a été poursuivi plus tard par Mile Morel, de sorte que le gros de la besogne peut être considéré comme achevé pour ce canton. Pour Vaud, nous disposons de la très riche collection que M. Millioud a réunie pendant de longues années. D'après nos directions, Mile Morel a fait à Genève des recherches méthodiques qui ont notablement enrichi nos collections. Pour Fribourg, il existe un vaste recueil fait par feu l'archiviste J. Schneuwly, que nous pourrons un jour mettre sur fiches. Evidemment le Glossaire sera avant tout le monument de la langue du XIXe siècle, mais il serait regrettable qu'on n'y incorporât pas en même temps, dans la mesure du possible, celle des siècles antérieurs, qui fournit tant d'enseignements précieux et donnera à l'œuvre une assise plus solide.

3. Recueils lexicographiques

La Rédaction a recherché partout et collectionné avec soin les vocabulaires manuscrits déjà existants. Elle en a découvert un bon nombre, et ce ne sera pas un des moindres mérites du Glossaire que d'avoir sauvé de l'oubli et mis en valeur les compilations patientes des moines,

pasteurs, poètes ou autres amateurs de patois de jadis, auxquels la méthode fait généralement défaut, mais qui ont eu l'avantage de vivre à une époque où nos dialectes étaient encore très vivaces et moins contaminés de français qu'aujourd'hui. Quelques-unes de ces anciennes collections, dont la trace a été relevée, n'ont pas pu être retrouvées. Mais le nombre de celles qui restent et qui ont été mises à notre disposition est déjà respectable. Il y en a pour tous les cantons. Voici les plus importantes :

Vaud. Vocabulaire de Louis DUMUR, qui a été pasteur à Savigny, deux volumes d'un contenu très riche, avec d'excellentes définitions; Vocabulaire de Rossinière, par le doyen HENCHOZ, soucieux de la phonétique locale.

Valais. Manuscrit du Grand-Saint-Bernard, par le chanoine BARMAN: patois de Martigny, mais augmenté de nombreux termes d'autres parties du canton.

Genève. Glossaire de VICTOR DURET, auteur d'une Grammaire savoyarde.

Fribourg. Glossaire gruyérien du poète Louis Bornet, admirable de précision.

Neuchâtel. Glossaire du Val-de-Ruz, par GEORGES QUINCHE, qui maniait si bien le patois de Valangin.

Berne. Vocabulaire patois-français et français-patois du dialecte ajoulot, par F. GUÉLAT, du commencement du XIXe siècle.

par

Deux manuscrits ont été publiés: celui du doyen BRIDEL, les soins de L. FAVRAT, en 1866; et, en 1910, le Glossaire de Blonay de Mme L. ODIN, revu et muni d'une préface par M. E. MURET. Le Glossaire a encouragé par une subvention cette dernière publication. A côté de ces grands recueils, il y en a une quantité d'autres, de moindre importance, d'étendue et de valeur très diverses. On en trouvera la

liste dans nos Rapports et dans le tome II de la Bibliographie. Plusieurs philologues qui s'étaient occupés avant nous des patois romands se sont fait un devoir de nous abandonner leurs trésors; citons entre autres MM. J. Cornu, J. Gilliéron, G. Pfeiffer, A. Horning, qui ont mis à notre disposition leurs riches collections provenant de la Gruyère, de Vissoye, Lens et Panex. A l'heure qu'il est, nous pouvons nous flatter de posséder à peu près tout ce qui peut exister dans ce domaine.

4. Enquête par questionnaires

Ce qui distingue notre entreprise d'autres poursuivant un but analogue, c'est l'organisation, sur une grande échelle, d'une enquête systématique sur le patois encore parlé aujourd'hui. En 1899, les trois rédacteurs ont parcouru tout le pays à la recherche de correspondants. Nous avions recueilli les adhésions d'environ 200 patoisants, choisis surtout parmi les instituteurs, pasteurs, curés et autres notables, mais aussi parmi de simples agriculteurs. Quelques dames étaient du nombre. Malheureusement, ce beau zèle n'avait pas de racines bien profondes, et à l'arrivée des premiers questionnaires, les défections furent nombreuses. Pendant toute la durée de l'enquête, nous avons eu à nous préoccuper de combler les vides laissés par des démissionnaires et de remplacer des défunts. Mais une bonne trentaine de collaborateurs de la première heure nous sont restés fidèles jusqu'au bout, et plusieurs de ceux qui ont été enrôlés tardivement ont tenu à reprendre toute la série des questionnaires, de sorte que nous avons toujours travaillé avec environ 80 correspondants. Cette besogne régulière était devenue pour quelques-uns un vrai besoin, un délassement, et

nous avons reçu des témoignages touchants d'attachement à notre œuvre. Nous ne mentionnerons que le cas de ce brave vieillard de Vaulion, qui, « couché sur son dos, » passait ses dernières heures à remplir, d'une main tremblante, les fiches du Glossaire. Plusieurs correspondants ont été vivement intéressés par leur besogne et de vrais talents philologiques se sont révélés. Certains d'entre eux se sont mis à travailler en dehors de l'enquête et nous ont fourni des matériaux de très grande valeur. Citons particulièrement MM. F. Fridelance (Porrentruy), L. Ruffieux (Gruyères), Fr. Isabel (Ormont-dessus), A. Piguet (Le Chenit), A. Neveu (Leysin), M. Gabbud (Lourtier). Pour le grand nombre, les résultats sont naturellement très inégaux; la plupart ont fait de leur mieux; beaucoup ont des mérites spéciaux : l'un favorise les dérivés, l'autre les locutions, un autre encore a le flair des mots rares, etc.

Voici comment nous avons procédé pour l'application de notre système. Au début de chaque mois les correspondants recevaient par la poste une enveloppe renfermant deux questionnaires imprimés, un carnet à souche avec cent fiches détachables, pour inscrire les réponses, et une enveloppe pour le renvoi. Le carnet rempli devait nous être réexpédié jusqu'à la fin du mois. Les retardataires étaient avertis par l'arrivée des questionnaires suivants, qui se suivaient avec une ponctualité qui faisait dire à quelques-uns : << régulier comme le Glossaire. » Néanmoins, un certain nombre de correspondants ont laissé les carnets s'entasser et ont fini par se décourager. D'autres, au contraire, nous demandaient des fiches supplémentaires ou un second carnet pour satisfaire leur désir d'être complets. Pendant les mois de juin à août, saison des grands travaux de la campagne, afin de décharger nos collaborateurs, nous ne leur

envoyions qu'un seul questionnaire. Nos fiches ont une grandeur de 11 cm. sur 8 1/2. Un papier de couleur différente est employé pour chaque canton, de sorte qu'au · moment de la rédaction la nuance indiquera clairement la provenance. Le Bureau a en outre muni chaque fiche d'une estampille indiquant le lieu d'origine. Ce système nous a été suggéré par les rédacteurs de l'Idiotikon, qui se plaignaient d'avoir à recopier leurs sources et de s'user la vue à lire des écritures trop fines. Comme nos correspondants ne devaient écrire qu'un mot par fiche, leur écriture est ordinairement grande et bien lisible.

L'enquête ainsi organisée a duré onze ans, un an de plus qu'il n'était prévu. Elle a été menée parallèlement dans les six cantons romands. Nous avons expédié 227 questionnaires, dont le dernier, d'un autre format, se rapporte aux flexions verbales. Afin d'être sûrs de ne rien oublier, nous avions préalablement divisé toutes les notions qui constituent le monde matériel et moral en groupes homogènes : le corps humain, les maladies, le caractère, l'agriculture, etc., qui se subdivisent suivant les besoins en sous-groupes. Ce sont ces derniers qui faisaient généralement l'objet d'un questionnaire. Nous avons donc demandé successivement ce qui a trait aux différents animaux domestiques, à la fabrication du beurre, du fromage, etc. L'élaboration de ces questionnaires nous a coûté beaucoup de peine, et, si la chose était à refaire, nous aurions plusieurs points à réformer. Il existe bien comme guides des dictionnaires idéologiques, mais ils sont souvent mal conçus et ne s'adaptent pas aux conditions très spéciales de la Suisse romande, avec ses mœurs et ses industries locales, son genre de vie infiniment différencié. Nous avons donc dû tirer de notre expérience et de nos connaissances la matière de nos questionnaires. La

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