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J'aurais pu, cher docteur, répondre en quelques lignes à ton aimable lettre qui m'est parvenue peu après Po Recafá, mais sachant l'intérêt que tu as dès ton enfance porté à notre vieux langage, j'ai pensé que plus elle serait longue, plus elle te serait agréable. Afin que tu ne croies pas mon jugement trop sévère, j'ai mis sous tes yeux une partie des faits sur lesquels je le fonde. Quand tu auras lu les deux listes ci-dessus, me suis-je dit, tu mettras de l'eau dans ton vin. C'est au mauvais patois à qui j'en veux et à ceux qui vendent des vessies pour des lanternes. Ce sont tes éloges de Po Recafâ qui m'ont dicté cette interminable lettre.

Le patois est une langue qui s'en va ; il est, disons-le ouvertement, en pleine décadence. Une bonne partie des Vaudois, surtout de ceux qui habitent les villes, comprend peut-être le patois, mais ne sait plus le parler. Les campagnards qui le parlent savent tous bien ou mal le français. Quand ils parlent français, ils francisent le patois, et quand ils parlent patois, ils patoisent le français, rapprochant ainsi sans s'en apercevoir les deux langues. Ceux qui savent le mieux le patois ne l'écrivent pas. Demander de ceux qui l'écrivent qu'ils l'écrivent purement et correctement, c'est aujourd'hui trop exiger, je l'avoue.

Postscriptum de la Rédaction.

J. CORNU.

Bien que nous soyons en tout point d'accord avec l'auteur de l'étude qu'on vient de lire, nous tenons à prévenir un malentendu qui pourrait naître dans l'esprit de certains lecteurs. Le recueil Po Recafá peut être jugé d'après son contenu ou d'après la langue qui lui sert d'expression. Dans le premier cas, tout amateur du patois ne pourra s'empêcher d'éprouver un vif plaisir à relire ces bonnes vieilles histoires d'autrefois, ces chansons de vignerons, ces trésors de pratique sagesse vaudoise mise en proverbes. Le patois, cependant, qui pourrait faire le principal mérite du livre, est devenu, il faut bien

l'avouer, une langue très incorrecte, et l'on ne saurait donner tort à M. Cornu qui, vivant depuis trente-six ans à l'étranger, en a conservé une image pure et vivante, et qui constate aujourd'hui avec douleur les ravages opérés dans cette langue par l'influence du français. Et pourtant, tout contaminé que soit ce patois, il est encore fort supérieur à celui représenté par le volume Le patois neuchâtelois, où les erreurs et les déformations sont infiniment plus nombreuses. Si c'est la décadence dans le canton de Vaud, c'est la pleine déroute à Neuchâtel. Néanmoins, les rédacteurs du futur Glossaire romand seraient ingrats s'ils allaient oublier l'accueil bienveillant et l'appui très efficace qu'ont trouvés leurs recherches au milieu de la population vaudoise et les réels services que leur ont rendus les patoisants de bonne volonté. On peut même se demander si l'empressement à nous informer eût été tel au bon temps du patois. On ne s'aperçoit de la valeur de bien des choses, hélas! qu'au moment où elles s'en vont. En Valais, le patois est encore florissant: il en est d'autant moins estimé. Du reste, il y a longtemps que le dialecte vaudois est miné par le flot montant de la langue littéraire. Plusieurs des erreurs incriminées par M. Cornu se rencontrent déjà dans le Glossaire du doyen Bridel, et remontent donc à près d'un siècle. Enfin, il est aussi instructif d'étudier comment une langue s'abâtardit, et nous sommes très reconnaissants à M. Cornu d'avoir, le premier, dressé un inventaire des tares du patois vaudois actuel et de nous avoir montré par quels canaux se produit l'infiltration française.

LE PLACARD PATOIS DE JACQUES GRUET 1

L'année 1547 fut à Genève une période de troubles et de luttes, qui mirent plusieurs fois en péril le régime instauré par Calvin. Dès son rappel, en 1541, le réformateur avait travaillé énergiquement, de concert avec les autorités civiles, à réaliser son idéal de communauté chrétienne. Une institution nouvelle, le Consistoire, composée du corps des pasteurs et de douze assesseurs, avait spécialement été chargée de veiller à l'observation de la discipline ecclésiastique et à la pureté des mœurs. Un véritable système d'inquisition et de délation signalait à l'autorité toutes les fautes commises dans ce domaine. A partir de 1545 surtout, le Consistoire sévit impitoyablement contre tous ceux qui, en matière de mœurs, continuaient les traditions largement tolérantes de l'ancienne Genève. On conçoit que l'établissement du nouvel état de choses n'ait pas été sans provoquer des résistances et qu'il se soit formé un parti

1 Sur Gruet et les événements contemporains, voir spécialement J. A. Galiffe, Notices généalogiques sur les familles genevoises, t. III (Genève, 1836), p. 258-263; P. Henry, Das Leben Johann Calvins, t. II (Hamburg, 1838), p. 440 et suiv.; A. Roget, Hist. du peuple de Genève, t. II (Genève, 1873), p. 289-312; F. W. Kampschulte, Johann Calvin, t. II (Leipzig, 1899), p. 56-66; C. A. Cornelius, Historische Arbeiten (Leipzig, 1899), p. 501-505; E. Ritter, Bulletin de l'Institut national genevois, t. XXXIV (1897), p. 1-26; W. Walker, Jean Calvin, trad. Weiss (Genève, 1909), p. 327-330. Le procès est résumé dans Gautier, Hist. de Genève, t. III (Genève, 1898), p. 300-304, et dans Calvini Opera, t. XII (Brunsvigæ, 1874), no 932. Mais la source essentielle est H. Fazy, Procès de Jacques Gruet, dans les Mémoires de l'Institut nat. genevois, t. XVI (1886), où toutes les pièces du procès sont publiées in extenso. Cette publication est suivie des Procès et démêlés à propos de la compétence disciplinaire du Consistoire (1546-1547), où l'on trouvera tous les actes concernant les Favre.

hostile, qui s'accrut à mesure que les pasteurs devinrent plus intransigeants. Après avoir écarté ceux qu'il jugeait trop tièdes, Calvin s'était entouré de collaborateurs partageant ses vues, tous Français récemment débarqués, qui, à l'occasion, se mon trèrent plus fanatiques que lui-même. « Il fault procurer leur bien maulgré qu'ils en ayent,» avait écrit un jour le maître en parlant des récalcitrants, et tel paraît bien avoir été le mot d'ordre que le corps pastoral s'efforçait de suivre. Quand le réformateur entreprit d'imposer sa discipline de fer non seulement aux petites gens, mais aussi à des familles riches et influentes, l'opposition s'accentua et les conflits prirent un caractère aigu. Sans être le moins du monde hostiles à la Réforme, bien des Genevois ne pouvaient se plier aux exigences du puritanisme rigide qui était devenu de règle. On comprend aisément les sentiments d'amertume que devaient éprouver de vieux patriotes qui avaient lutté pour l'émancipation de leur ville, lorsqu'ils la voyaient sous la dépendance presque absolue d'une poignée d'étrangers, dont il fallait subir le joug tyrannique. « Ces Français, ces mâtins sont cause que nous sommes esclaves, s'écriait François Favre; si les évêques du passé eussent fait ce qu'ils font, on ne l'eût pas enduré. » Le manque de tact de certains pasteurs, les personnalités blessantes qu'ils lançaient du haut de la chaire ne faisaient qu'accroître l'antipathie qu'ils inspiraient. Mais c'est surtout le Consistoire et ses censures qui avaient le don d'exaspérer les esprits. Si les pécheurs tombés en faute se résignaient sans trop murmurer à subir les peines infligées après enquête par l'autorité civile, conformément aux édits en vigueur, ils éprouvaient en revanche une grande répugnance à reparaître ensuite devant le Consistoire. Cette juridiction mal définie leur paraissait une superfétation, un em. piétement sur les attributions de la justice régulière, et il leur était particulièrement pénible d'avoir à s'humilier devant les prédicants étrangers, d'autant plus que les remontrances fraternelles que ceux-ci devaient leur adresser dégénéraient parfois en grossières invectives.

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