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Et dans le canton de Vaud, on chantait: Patifou sauvádzo, que n'est ni fou ni sádzo, etc. Une ancienne coutume de Blonay, dont il ne reste aujourd'hui qu'un souvenir1, nous apprend qu'autrefois « les jeunes filles se couronnaient. Les jeunes gens mettaient dans un drap porté par quatre d'entre eux une fantoūma ou papoūna.... Selon une autre version, c'était une mayintséta qui portait la fantoūma dans un berceau sur son dos. Un des mayintson parlait pour la fantoūma, qui semble avoir été désignée par le terme de servådzo; un autre donnait la réplique. Voici quelques bribes de ces chansons, recueillies de la bouche de deux personnes âgées: Mayintson! Mayintséta !

On pou, sa vo plyé, po sti pati Servȧdzo
Kɔ n'é né foù né sådzo, etc. »

Il est évident que le Sauvage, si l'on ne veut pas qu'il représente, ainsi que je le crois, le Printemps, symbolisait du moins le retour du beau temps et conjurait la pluie, « il turbato », selon l'expression de Guido Orlandi. Les poètes lyriques du treizième siècle prouvent que des coutumes semblables ont dû être très répandues et que notre légendaire Sauvage en était arrivé à prendre une place prépondérante dans les fêtes joyeuses de mai. Par suite, le conort del salvatge n'est plus un problème: c'est une allusion au temps rasséréné, au renouveau qui fait reverdir les prairies.

nage apparaît aussi dans d'autres parties du canton de Fribourg, cf. le même périodique, VI, p. 100, Us et coutames d'Estavayer, par Joseph Volmar. Voir aussi l'article plein de détails intéressants inséré par M. Octave Chambaz dans le no 18 du Conteur vaudois de 1905. On y trouve la description exacte du costume du sauvage et une des << ringues » chantées en son honneur.

1 Odin, Glossaire du patois de Blonay, Lausanne, 1910, p. 521. Mayintsǝ ou mayintséta, jeune fille qui chantait le mai.

Peut-être les auteurs lyriques italiens ont-ils puisé dans les poésies provençales; il n'en reste pas moins vrai que les fêtes du printemps, avec ou sans le Sauvage, furent également connues et célébrées en talie.

* Au sujet de ces fêtes de mai, je renvoie, pour ne pas m'étendre

On voudra bien me permettre d'ouvrir ici une parenthèse. A ces fêtes du Printemps, dont les savants admettent presque tous l'origine païenne, le christianisme imprima, si l'on y regarde de près, un sens nouveau. Elles signifiaient primitivement un souhait, une espérance. Le christianisme y ajouta l'idée de remerciement et d'hommage à Dieu. Ces fêtes de printemps, ainsi transformées, en abandonnant leur caractère originel, perdirent leur éclat et finirent par disparaître. A Blonay, après la chansonnette, on entonnait le Psaume 101, preuve que l'esprit chrétien s'était emparé, pour ainsi dire, de ces rites jusque-là païens. On y substitua d'autres passe-temps. G. Villani (VIII, 70) parle d'une représentation, d'un jeu ou « sollazzo » à Florence pour le « Calendimaggio » de l'année 1304. Sur la scène on voyait l'Enfer, les démons, du feu et plusieurs genres de supplices et de tourments. Ce ne sont plus les joyeuses compagnies de jeunes gens enguirlandés, mais des hommes contrefaits, semblables à des démons et horribles à voir. Et comme les fêtes de mai avaient mis leur empreinte dans l'ancienne poésie et jusque dans quelques strophes que nous possédons encore (p. ex. dans celle qu'on chantait naguère à Blonay), ainsi les nouvelles solennités religieuses laissèrent un écho dans les chansonnettes qui, aujourd'hui encore, font les délices des enfants. En Italie, j'ai assisté souvent à ce « jeu » enfantin. De tout jeunes gens tiennent le rôle : l'un représente un démon, l'autre Dieu, un troisième l'âme d'un défunt. Ils chantent :

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Angelo, bell' angelo, volate qui da me !
Non posso volare, perchè il Diavolo è lì!

Aprite le vostre ali e volate qui da me!

Alors, « l'âme » ouvre les bras, prend son élan et s'efforce de se soustraire aux poursuites du diable, qui lui lance un objet (ordinairement un mouchoir noué). Si l'enfant (l'âme) peut

trop longuement, à un article que j'ai publié dans la Nuova Antologia, 1er mai 1910 (Le origini della lirica italiana).

éviter l'objet, il vient se jeter tout heureux dans les bras de Dieu, et l'ennemi du genre humain en rougit de honte! Ces jeux nous font songer aux anciennes représentations de l'éternelle lutte entre l'esprit du « Bien » et l'esprit du « Mal », lutte qui a pris des formes diverses aux différents âges de l'humanité et qui constitue, en quelque sorte, le noyau d'où est sortie la merveilleuse légende de Faust et aussi l'épisode fameux de la Divine Comédie où Dante nous montre l'âme de Guido Montefeltro que se disputent François d'Assise et un démon (Inf. XVII):

Francesco venne poi com' i' fui morto,

Per me; ma un de' neri cherubini

Gli disse: nol portar; non mi far torto.

Il me semble d'ailleurs que ces représentations de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis ont donné naissance à d'autres jeux, témoin celui que j'ai vu à Romont. Quelques fillettes sont invitées par leurs compagnes à choisir une couleur (rouge, noir, etc.). Puis, d'après la couleur choisie, elles se divisent en plusieurs groupes. Elles ignorent qu'à chaque couleur correspond l'idée du bonheur ou de la souffrance, mais à un moment donné le mystère s'explique au milieu d'une ronde générale: les unes avaient choisi le Paradis, les autres l'Enfer ou le Purgatoire :

dzine, dzine, dzandzu, dans le Paradis !

dzine, dzine, dzandzu, dans le Purgatoire!

chantent-elles. Le mot dzandzu, aujourd'hui incompréhensible, désignait sûrement les anges (prononcez le-zanges)1, puisque ce jeu-là encore est d'origine chrétienne.

Mais fermons la parenthèse et revenons au Sauvage. Ce personnage ne s'est pas contenté de devenir la fantoūma du Printemps, dans les fêtes de mai, mais il a osé, d'après les tra

1 C'est un

cas d'agglutination, phénomène si bien étudié par M. E. Tappolet.

ditions populaires, faire partager ses amours aux Anguane ou Guane, c'est-à-dire aux Aquane, divinités des fontaines et des rochers. De l'union de ces dernières avec le Sauvage sont sorties les Saguane (les « sorcières ») dans le Frioul1. En outre, notre légendaire homme sauvage a perdu, par-ci par-là, dans sa course à travers les âges, son caractère primitif, et peut-être en s'identifiant avec d'autres symboles inférieurs des mythes champêtres, est-il devenu en certains endroits un lutin, dans d'autres un ogre. A mesure que la vie devenait plus intense, que surgissaient les bourgades, et les villes, que les forêts se défrichaient, le Sauvage, le fantôme des forêts, dont le nom laissait transpirer l'âcre parfum des bois, s'éloignait des humains. Les plantes commençaient à perdre leur langage muet et cependant si expressif pour les peuples, et l'habitant, le dieu des forêts, devenait un être éloigné du monde civilisé. Le Sauvage se rapetissa, comme se rapetissait son royaume. Et lorsqu'il sortit des forêts, il s'amincit et devint un diablotin aux formes changeantes (appelé encore dans certains pays servan, silvan), capable de prendre divers aspects, celui d'un renard, d'un lièvre, d'un insecte, etc. Oh! pauvre Sauvage des mythes champêtres, pauvre servādzo des fêtes de mai!

GIULIO BERTONI.

1 Meyer-Lübke, Rom. Et. Wtb., no 573, cite, en véronais, sigar come n'anguana, «< schreien wie ein Adler ».

UNE LANGUE QUI S'EN VA

QUELQUES OBSERVATIONS SUR UN RECUEIL DE MORCEAUX EN PATOIS VAUDOIS

Lors de mon dernier séjour dans le Jorat je t'ai dit, cher docteur, que le patois de nos villages, tel qu'il se parle aujourd'hui, est un baragouin qui ressemble de moins en moins à la langue de nos pères, car, à vrai dire, ce n'est ni du français ni du patois, à moins qu'on ne prenne ce mot dans son plus mauvais sens; qu'il suffisait d'un peu d'attention pour remarquer l'invasion d'une foule de mots soit purement français, soit français d'origine, mais affublés d'une terminaison patoise qui voile tant bien que mal leur provenance étrangère, et l'emploi de mots patois déformés sous l'empire du français et rapprochés en quelque sorte de cette langue.

En m'envoyant Po Recafá (A Lozena tsi Payot & Cie, 1910), dont je te remercie, tu m'as parlé des éloges qu'on a faits de ce riche recueil et tu m'en as dit toi-même mille belles choses qui me font conclure que tu crois ces éloges en tous points mérités. Le contenu du volume Po Recafá, souvent très amusant, t'a empêché sans doute d'estimer à sa juste valeur le contenant qui est la langue. Au point de vue de la langue, si tu veux bien me permettre de dire ouvertement ce que je pense des morceaux que renferme Po Recafá, il y en a un grand nombre de mauvais, beaucoup de médiocres et peu d'excellents. La plupart de ceux qui se sont mêlés d'écrire dans la langue de nos paysans paraissent ne pas savoir qu'elle exige comme toute autre langue, pour la posséder, une étude sérieuse, embrassant toutes les parties de la grammaire, et que cette étude est bien plus malaisée que celle d'une langue litté.

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