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glandes enflées sont par le peuple regardées comme l'essentiel du mal. Nous trouvons donc lè gourmat en Lorraine, glandes que les moutons ont sous le cou; gormes, parotide' existe dans la Marne. (Heuillard, Pat. de la commune de Gaze, cant. Sézanne). L'encombrement des voies intérieures se manifeste dans d'autres expressions, où la gourme' n'est qu'un obstacle: une vache engourmée est une bête « dont le pis ou le sein est gonflé, soit par un excès de lait, soit par l'inflammation » (Verrier-Onillon); dégourmer, débarrasser de l'inflammation' (ibid.), angórumè, se dit du gosier qui s'embarrasse de mucosités ou d'autres corps étrangers', angórumé, dont le gosier est obstrué' (d'après Dagnet, Parler du Coglais). Rien n'empêcherait de penser que le mot gourme, avec cette acception, serait en rapport avec gourmette, mot dont on connaît l'origine celtique. Tandis que le chanfrein serre la partie supérieure de la tête, la gourmette entoure l'inférieure. Ce rapprochement serait rendu encore plus vraisemblable par d'autres considérations. Le mot de gourme n'aura pas été restreint à désigner un, gonflement', il aura passé à la conception d'abcès en général et dès lors le mot est employé surtout, quand il s'agit d'une série d'enflures qui s'enchaînent1. Nous avons d'autres termes qui éveillent une idée analogue: j'ai trouvé dans un dialecte (l'indication de provenance s'est perdue) muselière, désignant une rangée de pustules autour de la bouche'; je cite en outre bangon mouchoir passé sous le menton et noué au sommet de la tête; maladie des brebis: un mouton bangounné (Lapaire, Patois berrichon). En supposant que gourmette (chaîne) et gourme soient le même mot, nous rendrons compréhensible l'expression: jeter la gourme, qui, elle, a donné naissance à d'autres expressions analogues: jeter son jaffier (VerrierOnillon), pousé sn ékrankiyon (Saint-Pol), etc.

1 On se rappellera le latin: frenusculi (ulcera circa rictum oris similia, quae fiunt jumentis asperitate frenorum, Isid. 4, c. 8) Du Cange; v. gourmes, impetigo du visage chez les enfants, à Vaudioux (Jura).

Nous avons parcouru en hâte les différents aspects de la terminologie savante et populaire créée pour dénommer le rhume. Le dépouillement des glossaires et l'enrichissement de leurs données par la bonté de correspondants bénévoles, procèdent normalement, et nous espérons que, dans le cadre d'une étude plus ample sur tous les noms romans des maladies, bien des problèmes qu'on ne peut qu'effleurer dans une étude détachée se présenteront sous un jour plus clair.

La plupart des questions qui viennent de se dresser devant nous seront résolues plus facilement en tenant compte de l'ensemble des matériaux. On a déjà vu que les simples recherches phonétiques ne suffisent pas dans ce domaine ; il faut en outre tirer profit de la mythologie, des croyances populaires, de la botanique. Et après avoir présenté des matériaux bien classés et examiné le détail des diverses questions, il faut essayer de tracer la marche générale de l'évolution des noms des maladies. Cette recherche finale formera une page intéressante de l'histoire de la civilisation et elle permettra de saisir des traits caractéristiques de l'âme des peuples 1.

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H. URTEL.

Je me fais un devoir de remercier cordialement à la fin de mon travail MM. Gauchat et Lavoipière, à Hambourg, d'avoir enrichi cet essai de mainte précieuse remarque.

SERVÂDZO

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D'après une opinion admise par les savants, l'« Homme sauvage, le Sauvage qui, dans les contes des grand'mères et des vieilles servantes, continue à jeter dans l'âme des petits enfants une terreur sans égale, serait le dernier et bien faible reste d'un personnage légendaire dont les origines les plus lointaines vont se perdre dans la nuit des mythes des forêts. Dernièrement, M. F. Neri, s'appuyant sur des traditions anciennes et récentes, a fait revivre1, avec force détails et une riche documentation, la figure protéiforme de cet être mystérieux dont parlent les légendes germaniques, que nous montre la religion romaine et que les rites d'une foule d'autres peuples, sous des formes diverses, indépendantes même pourrait-on dire2, nous représentent comme une divinité, un esprit, un symbole des forêts, des champs et de la nature.

De peuple à peuple, le Sauvage perd quelques traits caractéristiques, mais c'est pour en prendre d'autres. Il en résulte une physionomie complexe, où se conserve cependant un caractère uniforme: partout, en effet, il est un symbole, une image vivante des arbres, des feuilles, des forêts. Au cours des âges, nous le voyons émigrer avec les peuples qui emportent leur bagage inépuisable de traditions et de légendes. Si, chez les Germains, il semble prendre une forme bien différente de celle du « Silvanus » des Romains, ailleurs il devient le centre du culte de la nature; en d'autres endroits, sa person

1 Giornale storico della letteratura italiana, LIX, 47 sqq. Voir aussi Decurtins, Rätoromanische Chrestomathie, I, Ergänzungsband, Erlangen, 1912, p. 173.

• Goblet d'Alviella, Les rites de la moisson, dans Croyances, rites, institutions, I, Paris, 1911, p. 293.

nalité s'affaiblit et disparaît presque entièrement; ce n'est plus qu'un petit esprit lutin, un croquemitaine ou un diablotin1. Ces diverses attitudes du Sauvage, les savants les ont étudiées, examinées et discutées à fond, et nous ne saurions résumer ici leurs opinions très divergentes sur l'origine, le sens et les transformations de l'étrange personnage. Le lecteur nous per. mettra seulement d'attirer son attention sur quelques aspects du problème, aspects qui, à mon avis, n'ont pas été suffisamment étudiés.

Tout le monde sait que dans l'ancienne poésie lyrique provençale et italienne, le Sauvage apparaît comme un être qui apporte joie, courage et réconfort. Ce réconfort (en prov. lo conort del Salvatge) est de nature à égayer l'homme par suggestion, étant donné que le Sauvage est joyeux même quand il aurait des raisons de s'attrister. Ainsi chantait Guido Orlandi:

Poi ch'aggio udito dir dell'om selvaggio

Che ride e mena gioia del turbato

Si come fosse bel tempo di Maggio

Si truova d'allegrezza sormontato.

Et Cecco Angiolieri, au milieu de ses tristesses, se disait soulagé comme l'om selvaggio, quand arrive le beau temps. Le troubadour Rambaut de Beljoc affirmait qu'il se sentait ragaillardi ainsi que le Sauvage, parce qu'il chantait alors qu'il aurait eu plus d'un motif d'être triste 2. Mais, au lieu de rapporter d'autres allusions déjà signalées par les érudits, je me bornerai à citer une poésie provençale échappée aux recherches des savants. Elle a pour titre: Li sons desves del.

1 Quant à la métamorphose du Sauvage en l'un de ces petits esprits bienveillants ou méchants à l'aspect familier, qui, même de nos jours, alimentent la superstition dans les campagnes, on ne peut la conjecturer que d'après le nom de servan ou selvan qui sert encore à désigner ces diablotins. Dans les contes des campagnes de l'Italie du Nord, le Sauvage est devenu une sorte d'ogre, appelé om salvádegh ou om di bosk. 2 Ces textes ont été cités déjà par M. Neri, loc. cit., 50.

homen sauvage. Le texte ne se trouve que dans le manuscrit de Paris fonds fr. 844 (fol. 190) et a été publié par M.K. Appel1. « Ces mots insensés » (cf. anc. fr. dervé « fou, furieux, forcené » Godefroy, II, 677) expriment seulement l'état d'âme agité d'un poète anonyme, qui, malgré un temps affreux, se déclare prêt à chanter l'amour. Ainsi, ce ne sont plus les cris du Sauvage que nous fait connaître cette poésie, mais bien ceux d'un poète qui se compare au Sauvage:

Pos vezem que l'ivers s'irais
Et part se del tanz amoros,
Que non au ges notes ni lais
Des auzels per vergers foilloz,
Per lo freit del brun temporau
Non leisserai un vers a far

Et dirai alques mon talant2.

Tous ces passages et d'autres semblables de la poésie lyrique courtoise ont besoin d'une explication. Pourquoi donc le Sauvage se moque-t-il de la tempête et en profite-t-il pour se réjouir comme si « c'étaient les beaux jours de mai » ? Il me semble que ces vers font allusion à une coutume dont les traces survivent encore en Suisse, coutume aimable qui, dans quelques pays, a fait prendre le Sauvage comme une sorte de symbole du printemps aux fêtes des premiers jours de mai. Je rappellerai que dans la Gruyère, le premier dimanche de mai, les jeunes garçons chantaient naguère de savoureuses poésies du genre de celle-ci :

Chervddzo, chervádzo,

Ne fou ne chádzo!

On mochi dé bacon

Por mé frold le gargachon,

Ouna poma bllantze, etc.3

1 Appel, Prov. Ined. aus Paris. Handschriften, Leipzig, 1892, p. 329. 2 Le lecteur a déjà pu remarquer que le texte est bien francisé. Rien d'étonnant à cela; il se trouve, en effet, dans un manuscrit renfermant surtout des poésies françaises. Cf. L. Gauchat, Romania XXII, p. 364 ss.

3 Schweizerisches Archiv für Volkskunde, I (1897), p. 231. Ce person

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