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dans chiffon ces tas de rognures d'étoffe; cette supposition serait remarquablement appuyée par le mot bigornais : =amas, fouillis d'objets divers et principalement de rognures d'étoffe, de chiffons (Chambure, Gloss. du Morvan, s. v.) qui vient de bigorne'. Mais nous avons, me semble-t-il, encore d'autres témoins, qui plaident en faveur de l'origine diabolique de chif-. Nous trouvons dans Littré: chiffonner sub. 4° le sens: chagriner, intriguer', chiffonnerie petit souci qui chiffonne l'esprit' et surtout: tout le chiffonnage d'un gros rhume' (Suppl.); dans les dialectes, nous rencontrons: xifouna inquiéter, tourmenter' (à Castres d'après Couzinié), chifouner importuner, tourmenter, tracasser' (Gloss. du Morvan), chifo, chifour, dépit, chagrin, inquiétude' (Mistral). Ces expressions nous en rappellent d'autres d'un sens analogue, qui contiennent sans doute des noms de démons: décarcasser en Lorraine (Labourasse) = se démener, se débattre, discuter vivement'; faire le boustrou faire le tapage, disputer' en Anjou (Verrier-Onillon, Suppl.); embrigond, chiffonner' à Grenoble (Ravanat) vient peut-être d'un embigornd'; et le vaudois: tsèrfegni, contrarier', tsèrfegnāü, contrarieur' (L. Odin, Gloss. de Blonay) ne s'explique-t-il pas par un *tsèfregni, *tsèfregnäü?

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Mais nous nous sommes déjà trop arrêté à l'étymologie de ce seul mot. Ce que nous voulions rendre probable, c'est que toute la série appartenant à la racine chif-, chaf- contient originairement le nom d'un démon; cette racine se serait élargie d'abord par une nasale1, s'installant de préférence devant une labiale et puis par une épenthétique; le peuple, ne connaissant plus l'être mystérieux qui avait donné lieu au terme, et séduit par des termes analogues comme enfergier, etc., y aurait mêlé l'idée de chanfrein '.

En admettant l'influence d'esprits ennemis, nous sommes arrivés à l'ensorcellement. Les cas où nous en voyons les effets sont assez nombreux :

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35, 71.

le travail de M. Schuchardt, Zum Nasaleinschub, Zt. f. rom. Phil.

charme:

Nous avons en France toute une série de termes où l'on peut reconnaître un rapport avec charme, bien que l'origine ne soit pas toujours très claire.

Citons les substantifs charmoise (Doubs, Beauquier), charmoise (Jura, Chaussin), antsarmoise (Mesnay), charmonge (Haute-Saône), charmoture (Meuse, Cordier), tchòmwédj (à Miélin, Haute-Saône), intzarmoudia (Grône, Valais); les adj. ocharmon'té, acharmouté (Meuse, Labourasse); intsarmijà, qui a le rhume de cerveau' (Aoste, Cerlogne); ch'intsarmouziè, Mage, intsarmosia, Savièse (Valais), antsarmozyà, Atlas C. 1815, P. 989 (Suisse).

M. A. Thomas, dans un intéressant article de la Romania (XXXVIII, 369)1 nous a montré de quelle complexité sont les questions que nous posent ces expressions. Il me suffira d'attirer ici l'attention sur des formes qui présentent une apparence un peu différente. Dans des régions très vastes du Doubs et même des Vosges, nous rencontrons des formes qui, par étymologie populaire, paraissent avoir été rattachées à col et moucher. Nous avons colmoutche (Sancey, Doubs), kòlmōtch (Bournois); d'ailleurs, j'ai entendu: chòlmoüchə à la Forêt (Ct. Bains, Vosges) et fòlmoucha (à côté de chòrmouza) recueillis de la bouche de vieillards du même endroit. J'ignore l'étymologie de ces termes. Quant à la forme que j'ai notée aux Voivres (Ct. Bains, Vosges), lè chòrnouza, je crois pouvoir la rattacher au radical que cite Diez dans son Etym. Wörterb. p. 299, 746 s. v. sorn-, sournois, sornione, qu'il fait remonter à Saturnus. Saturne est, d'après ce que nous apprend l'astrologie du moyen âge, qui dépendait des Grecs, une planète sous laquelle naissent les caractères froids; les Saturniens sont des personnes d'humeur triste, morose. Chez les Grecs « l'opinion commune voulait que Saturne

1 M. Meyer-Lübke dit à propos de cet article (Zeitschr. f. rom. Phil. 1910, 125) que camoria dans la terminaison rappelle le grec: yevóğjoia assertion qui serait appuyée par le sicil. camurria malattia venerea, gonorrea (Traina).

fût froid et humide ;... il excite dans le corps humain des mou ́vements d'humeurs froides, flux intestinaux, pituites, etc. » (v. Bouché-Leclercq, L'astrologie grecque, p. 96 s.). Donc Saturne était regardé depuis le temps des Grecs comme le Dieu des enrhumés.

Parmi les charmes dont nous retrouvons les traces chez tous les peuples, nous citons l'ensorcellement par le mauvais œil, le 'malocchio '. Il existe des cas où le rhume est considéré comme effet du mauvais regard d'une bête ensorceleuse (v. plus haut embourniclé).

mauvais œil :

prov. enlugra (Mistral), pocher les yeux, aveugler', dont l'origine ne m'est pas claire.

s'enlugra, prendre un violent rhume de cerveau.

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lorr. èböh'nè (Uriménil, d'après Haillant), éperdu, ébloui'; Saint-Amé: èböhne, atteint d'un rhume de cerveau' (Thiriat); èbeuhené,qui a le rhume de cerveau' (Saint-Amé); ce serait donc la buse qui par son mauvais œil fascine l'homme et lui donne le rhume.

En continuant notre examen des termes pour, rhume', voici encore un autre charme. A l'occasion de chifarnèu, nous parlions des coups que les démons enchanteurs donnent à la pauvre créature qui en meurt ou en reste au moins gravement atteinte. Or nous avons une série de termes qui nous montrent que l'idée d'un rhume, produit par un tel coup, est assez répandue (v. coup de froid, gros coup de froid, dans les cantons de Fribourg et de Vaud).

coup:

fr. horion1coup' aussi bien que, rhume'; en Normandie nous avons, outre le sens de coup' la signification: gros

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1 Notons que M. Höfler dans son Deutsches Krankheitsnamenbuch, p. 48a a voulu rattacher le mot horion à l'astre Orion (cf. Siriasis Sonnenstich '); s'il fallait tirer l'origine de ce mot des astres, il serait étrange de le voir borné au Nord de la France.

rhume, épidémie (Du Méril), fièvre causée par les marécages (Du Bois); à Bayeux: horique maladie régnante'; en Picardie: horgne, horniole, coup'; à Saint-Pol: òrnyòk, coup que l'on se donne'1.

lorr. èzubà, enchifrené, à Saint-Maurice s. Moselle; cf. zaubè battre, frapper' (Haillant, Adam).

lorr. amâchené à Florent, Meuse (d'après Janin), subst. machenure. Faut-il rapprocher ce mot de masse, massue (voir machouque, comp., contusion', à Saint-Pol, machoque à Boulogne)?

sav. enmorniflà (Atlas C. 1815, P. 964), émornifla (Brachet) enrhumé du cerveau' qu'il faut dériver de mornifle,coup au visage'.

prov. s'enjounca (Mistral), se couvrir de jonc, s'enrhumer du cerveau'. Il s'agit apparemment d'un coup donné au moyen d'un jounc, espèce de baguette, canne de rotin.

prov. embourdi (Mistral), enchifrené', de bourdo, gourdin, bâton'.

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land. enbaoumat enchifrènement' (Lacanan, Médoc). Ce mot, dont l'origine est douteuse, se trouve ailleurs au sens de se heurter contre', voir: s'einbaumer dans le français populaire de la Suisse (G. Wissler, Das schw. Volksfranzösisch, p. 129); s'einbouma se cogner, se heurter, recevoir un choc' (L. Odin, Gloss. de Blonay); qu'il y ait là-dessous quelque force magique, cela semble prouvé par: embauma, charmer, enchanter, séduire' (Mistral).

1 Quant au lorr. hôrié, rosser' que cite Diez (Et. Wtb. II, p. 616) il doit être rejeté, puisque la consonne initiale est un x (xurie, fouetter fortement à Uriménil, xorie à Ventron); l'origine est excoriare.

2 En regard de cette série, on pourrait se demander si le terme allemand Stockschnupfen ne pourrait pas être en rapport avec Stock (et non avec stocken'); mais il n'en est rien: nous lisons chez H. Paul, Deutsches Wörterb. p. 529: « In Vergleichen deutet Stock' die Steifheit an, daher stocksteif'; von da aus ist Stock zu einer Verstärkung geworden. » -Stockschnupfen' serait donc un rhume caillé' (v. all. gestockte Milch, gestocktes Blut) et cette signification irait avec l'expression mon nez se prend mentionnée plus haut.

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De l'idée qu'on a été, battu' quand on est enrhumé, jusqu'au sentiment qu'on est interdit, stupéfié, ahuri, il n'y a qu'un pas. Déjà le grec xópuča renfermait les significations rhume et abru tissement (Stumpfsinn', voir Leo Meyer, Hdb. d. griech. Etym. II, 371).

stupéfié :

prov. empepia (Mistral), rendre niais, stupéfier', de pèpi ̧ imbécile, niais', s'empepia (Alpes), , être enchifrené'.

prov.enmouqueta (Mistral), enchifrené', de mouquet, penaud, capot, confus, interdit'.

Nous avons vu que le nombre des cas est considérable, où le peuple voit dans les empêchements de ses organes la main invisible de démons. Examinons encore les cas, où le nom du démon (nous y comptons aussi, enchifrener') s'est conservé.

Pour procéder en bonne forme, il faudrait, avant de décrire la part qu'ont prise les démons dans la création des noms des maladies, recueillir d'abord les noms de ces démons mêmes, des lutins, des fantômes, du cauchemar dans tous les dialectes néolatins. Je ne puis présenter ici qu'une maigre récolte, qui ne donne qu'une modeste idée de l'importance qu'ont les dénominations de ce genre pour la nomenclature pathologique.

le babou (v. Meyer-Lübke, Et. Wtb. s. v. bau).

Mistral: 'être imaginaire dont on fait peur aux petits enfants'. embabouchi, embaboutit étourdi, brouillé, interdit, enchifrené’.

la carcasse.

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cf. Mistral: s'encarcassela

épaules' (comme un démon).

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se mettre à califourchon sur les

carcassou, cigale de petite espèce' (originairement désignant un petit être diabolique 1).

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s'encarcassa s'enrhumer' (Mistral), cf. carcassié tousser sans trêve ni repos' à Grenoble (Ravanat).

1 V. encigala (Mistral).

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