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Avec ce terme, nous touchons déjà aux expressions qui nous présentent l'idée d'empêchements qui ne se trouvent plus à l'intérieur du nez ou de la gorge. C'est un fait général bien établi que le peuple cherche à expliquer par des obstacles externes les phénomènes pathologiques dus à des causes internes; je ne cite que l'allemand, Ohrenklammer' = parotide; îetendiye (tenailles), grand mal de tête' (Pays de Belfort), etc. Or les noms du rhume nous présentent toute une série de termes de ce genre ; il y a d'abord le sentiment d'un empêchement général, on se sent :

étranglé :

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gutta estranguria morbi genus, catarrhus, fluxio' (1263), Du Cange s. v. gutta, 2.

étrinjaura enrouement, rhume' à Vernamiège.

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Mais comme il s'agit du visage, du, museau', qui est affecté du mal, le genre de l'empêchement se spécialise:

inferricare (afr. enfergier):

it. anfergiu d'nas (Castell Tinello).

subst. anfergiu (Castiglione Tinella, Alba), verb. anfargese (Pieve di Teco).

infrenatu- sard. esseri infrenau ad su nasu (Spano).

bernac:

Nous lisons dans une glose anglo-normande (éd. p. M. Priebsch dans la Festschrift für Mussafia, p. 540):

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hic camus bernac.

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chamum (vel capistrum) barnac, cf. angl. bernicles Oxf. Dict. Marterinstrument ", barnacle Nasenknebel für unruhige Pferde'. C'est là la racine que nous rencontrons dans, emberniclé, enchifrené' (Verrier-Onillon); embourniclé semble avoir subi une influence des expressions marquant l'ensorcellement par le mauvais œil.

bouron (de bourrer):

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A l'Est de la France, on appelle, bouron' un filet à très grandes mailles, monté sur deux demi-cercles en bois, se

pliant en charnière, destiné à contenir du fourrage vert qui y est bourré et le contenu est une bourenaie. bourê, collier de cheval' (Châtenois, d'après le Gloss. de Vautherin).

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A Châtenois, nous rencontrons enboirnai, enchifrené', à Charmoille (Jura bernois) anbornè enrhumer'. Nous avons en outre: boron (Atlas C. 1155, P. 72 [Jura bern.]), le borron (Les Paniers, v. 51); bòron, Mettemberg, Séprais; boròn, Plagne, Pleigne; bōrōn, Charmoille; bŏroun, Vicques; bouron, bouron di sarvè, Malleray; bŭron d'la tēt, Plagne; v. s'ănbòrnè, Charmoille; s'ébòrnè, Plagne; s'anborné, Mettemberg; s'obournà, Mailleray; anbornē, Séprais; vni anbornè, Vicques.

camus:

Est-ce de ce mot qu'il faut tirer la camoudje, rhume de cerveau' (Vautherin) et oncamotetchie, embarrassé du cerveau' (Vautherin)?

canicula :

ang. encanillé, enquenillé, avoir le nez enquenillé, embarrassé, bouché' (Verrier-Onillon).

Je ne sais si le mot emmèfignie (Montbéliard, Contejean), onmiefignie (Châtenois, Vautherin), qui signifie, enrhumé du cerveau' doit être cité ici; j'ignore sa valeur propre; cependant il pourrait signifier, enfermé', car je le trouve dans le journal montbéliardais, Le Diairi' de 1903, dans un conte intitulé: Lai nommé Potatchá en pairaidis avec le sens de « enfermé au purgatoire ».

C'est encore ici qu'il faut ranger une expression qui paraît difficile à expliquer.

Le terme français le plus usité, quand on veut exprimer que le nez est obstrué par les sécrétions muqueuses est:

adj. enchifrené, subst. enchifrènement.

L'étymologie de ce mot est généralement tirée de chanfrein désignant << la pièce d'armure qui couvrait le devant de la tête du cheval » (Littré ad. 1o). Mais il ne peut y avoir eu lieu qu'un rapprochement postérieur; car on ne comprendrait pas

comment la première syllabe de chanfrein

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n'est pas du tout claire, comme l'a montré dernièrement M. Meyer-Lübke dans son Rom. Et. Wtb. s. v. camus' aurait passé à chif- en position atone. Au surplus, les significations que les dérivés du radical chif- ont adoptées dans les dialectes s'accordent mal avec chanfrein'. Sur la carte 1155 de l'Atlas, nous trouvons chifèrn, P. 263 [Somme]; chifarney, P. 284 [Picardie]; auxquels il faut joindre : àchifèrné, Hargnies [Ardennes]; enchinfrené, Hâvre (Maze); enchifarné, Anjou (Verrier-Onillon); déchifarner, faire disparaître l'enchifrènement' (Ver.-On.). En Suisse: s'ètsəfrənā, Bière (Vaud); s'enchifrená, Dardagny (Genève); s'intzefrand, Romont et environs (Frib.); s'intchifrena, La Brévine (Neuch.); s'ètchifrena, Landeron (Neuch.); s'otchifrana, Cerneux (Neuch.); entsifrau, morveux' (Val d'Illiez). Nous pourrions allonger cette liste. L'examen. le plus superficiel nous fait voir que la plupart des exemples ne montrent pas de nasale dans la première syllabe. Le type chifèrn présenterait donc la forme d'où il faudrait partir. Il se compose d'un radical chif- et d'un suffixe -rn, dont nous avons déjà parlé à l'occasion de caterne. Nous croyons donc pouvoir admettre une forme antérieure enchiferné. L'ancien français, d'après ce que nous apprend Godefroy par deux exemples du Roman de la Rose, ne connaissait que la tournure: d'amors enchifrenés. Dans ces exemples, le sens d', enrhumé' n'est pas encore visible. Il semble qu'il ne puisse y avoir de rapport entre les deux notions enrhumé et possédé (d'amour) qu'à travers l'intermédiaire: lié, empêché'. L'idée qu'un homme affligé du mal d'amour' est comme mis à la bride par sa passion, a été très répandue de tout temps. Nous en avons la preuve par une miniature italienne du treizième siècle (reproduite dans la Geschichte d. ital. Litteratur par Wiese-Percopo, p. 18-19), où nous voyons l'amour représenté à la manière d'un incube sur le dos de l'amoureux qui rampe à terre et qui est tenu par la bride.

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Ce qui provoqua d'abord nos doutes au sujet de l'ancienne

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manière d'expliquer le terme, ce fut le mot provençal: chifarnèu, gifarnèucoup d'épée ou de bâton donné sur la tête', cité par Mistral. Il ne serait pas permis de le laisser de côté dans l'étude de cette tamille sémantique. Mistral le dérive du breton: chifern, sifern rhume de cerveau'; on ne comprend pas pourquoi; car il est évident que, rhume' est une signification postérieure et que le sens de coup doit être plus ancien; il existe bien des exemples (v. plus bas) pour le changement de la signification, battu' en enrhumé' et non pas du contraire. Qu'il me soit permis de risquer ici un rapprochement qui servira peut-être à éclaircir les origines de notre terme.

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Il ne me paraît pas impossible que dans chifarnèu il s'agisse d'un coup attribué à un être diabolique et que le coup ait gardé le nom de cet être mystérieux1 (l'all. Alp est le démon même et le mal qu'il inflige; der Dämonen-Name wird hier wie öfters zum Krankheits- [Symptom-] Namen, Höfler, Deutsch. Krankh. Namenbuch, p. 13a; pour le coup', com. parez encore: Elfenschlag, Zwergschlag, Schelmenschlag). Ce chifarnèu coup', nous ne pouvons pas, à ce qu'il semble, le séparer du terme français qui exprime la même idée: chinfreneau, coup à la tête, au visage' (Littré); le Dict. Gén. qui donne encore les formes: chanfreneau et chinforgnau les explique par horion'. Les deux exemples cités par Littré (tirés d'Ambroise Paré) et le Dict. Gén. (tiré de Saint-Amant) rendent probable que la signification était déjà devenue celle de : taillade, coupure, cicatrice'. On trouve dans Zalli, Dizionario piemontese s. v. ferlëca = ferita, squarcio, franç. balafre, à chinfreneau, taillade. Les démons ne donnent, d'après l'imagination populaire, pas seulement des coups qui tuent, ils se contentent d'égratigner secrètement. C'est pourquoi les expressions désignant toutes sortes d'égratignures sont souvent en rapport avec des noms de démons. Nous avons des termes

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1 Cf. chifèr = cerf-volant, insecte à longues cornes (bigorne) en Rouergue; chifeno, cerf-volant femelle (Mistral).

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comme: grifa' (Vaud),, grifur' (Saint-Pol), unglade (Pyr. Orient.), ounglado (Castres), etc., qui prouvent qu'on se figurait de légères blessures comme l'œuvre de démons. (cf. en all. Teufelsbiss, Hexenmal, Geisterkneifen, Alpfleck stigma diaboli). En wallon,, le cauchemar' même est appelé marque' d'après la petite blessure qu'il laisse sur la peau (marque=cauchemar, terreurs nocturnes des enfants, Bull. de la Soc. liég. de lang. et litt. wall. 40). Nous sommes donc autorisés à faire rentrer dans notre série le port. chifrar râcler, gratter' et avec changement de la voyelle radicale,chaffarão, cicatriz grande', l'esp. chafarrinar, chafarrinon, tache', chafrignié griffonner, écrire comme un chat' à Grenoble (Ravanat); déchaffrer se gratter vigoureusement' (Verrier-Onillon, p. 267); tchafra, écraser' (Bagnères de Luchon), Rev. d. l. rom. 47, 102.

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Pour en revenir à chifèrn, chifarnèu, il sera permis de rappeler qu'il existe quelques termes qui, sous le sens d', enfant turbulent' cachent peut-être le nom d'un diable, de sorte qu'ils pourraient être de même origine. Nous trouvons déjà dans Du Cange: cifo Italis ciffone garcio, garciunculus; dans les dialectes italiens, on rencontre d'autres termes qui paraissent être apparentés: cifell, cifilett, frugolo, demonietto, ragazzo' (à Bedano, Tessin, Schw. Arch. f. Volksk. VIII, 259); velletr. cifero, discolo', arcev. cifero, can. cifaro, sor. cifre, Studj. rom. V, 70; en France chiffe, chiffon, (Dict. gén.) en parlant d'une étoffe de tissu lâche, mais aussi en parlant d'une personne de caractère mou; angev. chiffon: petite fille malpropre, mal tenue; chiffon d'enfant dans la langue littéraire (Littré). Mais, nous dira-t-on, n'est-ce pas plutôt la signification petite fille' qui vient de chiffon lambeau d'étoffe' que vice-versa? J'ose croire cependant que chiffon dans la signification ordinaire de lambeau' se rattache de même à une racine chif-. On sait que, selon une croyance populaire, les démons, en fouillant dans les chambres, laissent comme marque de leur passage, soit un désordre général, soit des lambeaux de toile, etc., qu'ils ont déchirés à belles dents. On pourrait, sauf erreur, admettre une explication qui verrait

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