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sauf quelques légères divergences. Le mot FIN manque. Au verso: Les Legats de la Vache à Colas | de Sedege.

Feuille

Edition C (exemplaire dans la collection Rilliet). in-fol. (22 X 37 cm.) à trois colonnes, sans séparation ni encadrement au recto; avec en-tête, large bordure et séparation au verso. Texte en caractères italiques. Au recto, deux chansons françaises d'Escalade: Qu'elle fatale journée et Contentez-vous Savoyards. Verso, titre: Les Cris de Geneve, | Mis en Chanson, Sur l'Air de l'Aimable Vainqueur. Répartition du texte en trois colonnes comme dans A et B.

Malgré leur sujet complètement étranger aux démêlés de Genève avec les Savoyards et à l'événement historique de 1602, les Cris de Genève rentrent dans la catégorie des « Chansons d'Escalade », qui s'imprimaient dès le XVIIe siècle sur feuilles volantes et se vendaient chaque année à l'occasion de la fête commémorative du 12 décembre 1. Ils en ont tout à fait l'aspect extérieur (format, papier, impression) et le fait qu'une des éditions est jointe à deux vraies chansons d'Escalade montre bien que ces productions avaient pour rôle commun d'égayer le traditionnel repas d'Escalade. On remarque au XVIIIe siècle une tendance à renouveler et à varier le répertoire usité en cette occasion. On pourrait supposer que le libraire ou l'imprimeur qui utilisa dans ce but les Cris de Genève ne fit qu'adapter à un but nouveau une composition déjà existante. Le fait est certain pour la seconde pièce des édition A et B, Les Légats de la vache à Colas, qui est une vieille chanson huguenote du temps de Henri IV 2. Mais pour les Cris de Genève, nous en sommes réduits aux conjectures. L'auteur en est inconnu et nous ne voyons dans le texte aucun indice qui permette de lui assigner une date un peu précise.

1 Voir sur cette littérature Bibliographie linguistique etc., t. I, p. 164 et suivantes.

2 Elle figure déjà dans le recueil de chansons d'Escalade imprimé à Amsterdam en 1702.

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Celle de l'Aimable Vainqueur, sur l'air duquel se chantaient les Cris de Genève, serait probablement plus aisée à retrouver, mais ne fournirait qu'un terminus a quo. En admettant comme probable que l'époque de l'impression soit assez voisine de celle de la composition, ce n'est que d'une façon dubitative que nous placerons celle-ci vers le milieu du XVIIIe siècle. Par l'examen des originaux, les spécialistes en typographie genevoise arriveraient peut-être à des résultats plus assurés. Mais ce qui nous paraît certain, c'est que l'auteur des Cris de Genève s'est inspiré de l'ancienne Chanson des Cris de Paris1 et l'a prise pour modèle. Le procédé de composition des deux pièces est tout à fait le même. Il suffira pour s'en convaincre de citer un des couplets de la chanson française :

Prunes de damats, cerises,

Quomquombre, beaux abricaux.
De bon ancre pour escrire.

Beaux melons, gros artichaux.

Harenc frais, maquereau de chasse.

A refaire les seaux et soufflets.

Cytroulles. Filace, filace.

Qui a vieux chapeaux, vieux bonnets ? ?

On voit que, dans l'un comme dans l'autre cas, l'auteur s'est borné à diviser en séries d'égale longueur et à mettre bout à bout, dans le pêle-mêle le plus complet, les cris variés des vendeurs ambulants. Les textes eux-mêmes sont différents dans leur ensemble, mais présentent toutefois des coïncidences qui ne nous paraissent pas s'expliquer toutes par l'identité du sujet. Nous les avons relevées dans les notes de notre édition. Si la forme métrique diffère complètement, c'est qu'elle était déterminée par celle de la chanson qui fournissait la mélodie,

1 Brunet, Manuel, II, 425, en cite des réimpressions populaires de Troyes, avec privilèges de 1714 et 1724. M. A. Bovet, élève de l'Ecole des Chartes, qui a bien voulu rechercher pour nous ces éditions dans les bibliothèques de Paris, n'a pas réussi à les y découvrir.

2 Franklin, ouv. cité, p. 219.

laquelle n'était pas la même. La pièce parisienne comprend dix couplets de huit vers, les quatre premiers de sept syllabes et les quatre derniers de huit (avec plusieurs irrégularités), tandis que la chanson patoise est divisée en huit couplets de vingt petits vers (le sixième en a vingt-et-un), généralement de cinq syllabes, mais qui en ont aussi parfois quatre ou six. On comprend que la nécessité de conserver autant que possible au cri sa forme traditionnelle ait grandement gêné la versification. Aussi le poète de Genève, encore plus dénué de talent que son confrère parisien, a-t-il renoncé à rimer entièrement sa pièce. Dans chaque couplet, un nombre plus ou moins considérable de vers sont dépourvus de rimes.

En donnant à ses Cris de Genève la forme du patois local, l'auteur n'a pas seulement voulu donner à son œuvre un caractère plus original et plus plaisant, mais il n'a sans doute fait que se conformer à la réalité. Il s'en faut d'ailleurs de beaucoup que le patois dont il se sert soit parfaitement pur. On y retrouve les traits essentiels du dialecte de la région, mais les formes plus ou moins francisées sont fréquentes, et des vers entiers sont complètement en français. Ce mélange d'éléments dialectaux et de français correspondait vraisemblablement à l'état réel des choses et a été voulu par l'auteur. C'est donc bien à tort, à notre avis, que M. DuBois-Melly s'est efforcé dans sa copie de restituer partout un patois correct. Les marchands ambulants n'étaient certainement pas tous de Genève ou des environs immédiats1, et si le patois était encore d'un usage général dans les classes populaires au milieu du XVIIIe siècle, le français était cependant connu de tous. Il devait déjà tendre à s'infiltrer dans l'idiome local et à le supplanter, surtout dans

1 Dans les deux couplets qu'il a reproduits, F. Chabloz a cru pouvoir distinguer les cris de maraîchers français, de revendeurs italiens, de «crampets du Jura », de marchandes de poissons vaudoises, etc. Il y a bien de l'arbitraire dans ces attributions, mais l'idée fondamentale est juste.

les manifestations de la vie publique. On sait que dès 1703 il avait été ordonné aux huissiers de l'Audience de faire leurs publications en français et non plus en patois1.

On sera peut-être surpris de l'abondance des cris de tous. genres recueillis par le chansonnier. Sont-ils tous bien authentiques et l'auteur n'a-t-il pas amplifié un thème facile en puisant dans son imagination? Nous n'avons, malheureusement, aucun moyen de contrôler l'exactitude de ses kyrielles. En tout cas, si elles ont réellement existé, il n'en subsistait déjà que bien peu de chose une centaine d'années plus tard. Blavignac a consacré une partie du trosième chapitre de son précieux recueil de folklore genevois aux cris des marchands tels qu'il les avait encore entendus vers le milieu du XIXme siècle 2. On n'y trouve que de bien rares échos de la chanson des Cris de Genève. Il ne faudrait cependant pas se hâter d'en conclure que cette dernière ne fut en grande partie qu'une fiction. Pendant cent ans, les usages avaient bien changé. Si l'on veut se faire une idée du rôle que jouaient encore au XVIIIme siècle les cris de la rue, il suffira d'évoquer la page si vivante que Sébastien Mercier a consacrée aux cris de Paris dans son tableau de la capitale : « Non, il n'y a point de ville au monde où les crieurs et les crieuses des rues aient une voix plus aigre et plus perçante. Il faut les entendre élancer leurs voix par dessus les toits; leur gosier surmonte le bruit et le tapage des carrefours. Il est impossible à l'étranger de comprendre la chose; le Parisien lui-même ne la distingue jamais que par routine. Le porteur d'eau, la crieuse de vieux chapeaux, le marchand de ferraille, de peaux de lapin, la vendeuse de marée, c'est à qui chantera sa marchandise sur un mode haut et déchirant. Tous ces cris discordants forment un ensemble dont on n'a point d'idée lorsqu'on ne l'a point entendu... On entend de tous côtés des cris rauques, aigus, sourds: « Voilà le maquereau,

1 E. Ritter, Recherches sur le patois de Genève, p. 22.
2 Emprô genevois, 2e édition, Genève 1875, p. 181-213.

qui n'est pas mort, il arrive, il arrive!» « Des harengs qui glacent, des harengs nouveaux!» « Pommes cuites au four! »>< << I} brûle, il brûle!» ce sont des gâteaux froids. « Voilà le plaisir des dames, voilà le plaisir !» c'est du croquet. « A la barque, à la barque, à l'écailler!» ce sont des huîtres. << Portugal, Portugal!» ce sont des oranges. Joignez à ces cris les clameurs confuses des fripiers ambulants, des vendeurs de parasols. Les hommes ont des cris de femmes, et les femmes des cris d'hommes. C'est un glapissement perpétuel; et l'on ne saurait peindre le ton et l'accent de cette pitoyable criaillerie, lorsque toutes ces voix réunies viennent à se croiser dans un carrefour1. » Genève n'est sans doute pas Paris, mais, toutes proportions gardées, on peut, d'après cette description, se représenter ce que devait être dans la cité de Jean-Jacques Rousseau l'animation des rues aux jours de marchés et s'imaginer combien l'impression produite par ces multiples appels des vendeurs, dans leur patois original, devait différer de celle de la Genève cosmopolite d'aujourd'hui.

Nous donnons ci-dessous une reproduction exacte de l'édition B de l'imprimé du XVIIIme siècle. Nous avons laissé subsister la division des mots parfois défectueuse, l'accentuation et la ponctuation insuffisantes de l'original. La traduction mise en regard servira de correctif. L'orthographe est semblable à celle des vieilles chansons d'Escalade en patois. La prononciation y est représentée d'une façon approximative, sans viser le moins du monde à une grande précision ni à une uniformité rigoureuse. Une des particularités caractéristiques, qu'on retrouve dans la plupart des anciens textes genevois, est l'emploi de s, z pour noter les spirantes interdentales , 8, qui correspondent, dans les patois de la région, aux sons ch, j, du français; ainsi semena « cheminée », so : «< chaud », asseta, « acheter », persè « perches », arzan « argent », rozo « rouge »

1 Mercier, Tableau de Paris, chap. 379.

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