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ETYMOLOGIES

1. Neuch. barnā, « heureux ».

Ce mot, très fréquent dans la littérature patoise de mon canton, me rappelle l'expression du vieux français buer est nez = il est né sous une bonne étoile. L'origine doit être la même: bona hora natus. Le pendant mala hora natus, afr. mar nez, n'existe plus dans le dialecte neuchâtelois, mais les patois du Valais offrent encore marnó, fém. marnāye, « misérable ».

2. Rom. dèsuvi, « contrefaire ».

Vaud. et frib. dèsuvi (s dure), dèsuyi, dèchoui; val. dèsoyè; neuch. dèchoua imiter une personne, son ton, son langage, ses gestes, de manière à la rendre ridicule. D'une base latinedeexjocare, dont le j aura été absorbé par l'r précédent.. Comp. le développement de jocare dzuvi, dzuyi, dzoyé. Pour la terminaison a de dèchoua cf. l'afr. joër, où la palatalisation manque également. Le français déjouer, qui n'a pas le même sens que notre mot, est composé autrement disjocare.

3. Neuch. tioupèr, « jacinthe».

Le glossaire inédit de G. Quinche enregistre ce mot, écrit tioûpair. J'y vois un dérivé de clavus pers[ic]us et j'en conclus qu'une variété à fleur bleue de cette plante a dû être favorisée. En patois vaud., elle s'appelle aussi simplement klyou clou, à cause de la forme du bouton non développé. Comp. l'expression clou de girofle, all. Nelke = suisse Nägeli.

=

Nägelke, all.

L. GAUCHAT.

LES CRIS DE GENÈVE

Les cris traditionnels par lesquels, dans les grandes villes surtout, les vendeurs ambulants signalent leur présence aux clients et annoncent leur marchandise, ont excité depuis longtemps la curiosité des observateurs des mœurs populaires. Ces cris, plus nombreux et plus variés autrefois qu'aujourd'hui, jouaient un rôle moins effacé et constituaient un facteur important de la physionomie populaire de certaines cités. Dans la brève introduction qu'il a mise à sa collection des cris des vendeurs de Naples1, K. Sachs a énuméré les principaux ouvrages où ont été réunies ou étudiées des collections analogues. Presque tous se rapportent aux cris de Paris2. Dans la capitale de la France, ce sujet est devenu dès le moyen âge un thème littéraire. Au XIIIe siècle déjà, Guillaume de la Villeneuve compose en 194 vers son « dit des Crieries de Paris. Mais c'est le XVIe siècle surtout qui mit à la mode les productions littéraires sur les cris des marchands. La plus connue et la plus étendue est celle du peintre Antoine Truquet: Les cent et sept cris que l'on crie journellement à Paris. De nouveau composé en rhimme françoise pour resjouir les esperits, où chacun des vendeurs signale sa marchandise en un quatrain approprié, plus ou moins plaisant. Le succès de la pièce est attesté par les multiples éditions qui se succédèrent de 1545 jusqu'à la fin du XVIIe siècle et par les additions qu'on fit

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1 Die Schreie der Verkäufer, dans la Zeitschrift f. rom. Philologie, XX (1896), p. 492-499.

2 Un a pour objet les cris de Dijon et deux les cris de Londres. M. Lambert s'est occupé récemment des cris des rues dans le Midi de la France (Revue des langues rom., 1910, p. 5-25).

bientôt au texte primitif. Des recueils d'images, avec ou sans texte, représentent dès la même époque les types caractéristiques de vendeurs et témoignent aussi de la vogue du sujet. Celui-ci fut même transporté au théâtre1. Les appels des marchands ambulants ayant chacun leur mélopée propre et traditionnelle, les musiciens y pouvaient aussi trouver matière à composition, et ce côté musical n'a pas non plus été négligé. En 1550, un des plus célèbres compositeurs de l'époque, Clément Jannequin, entreprit de rendre dans un quatuor les principaux cris de Paris. Au XIXe siècle, le musicien Georges Kastner en a tiré une symphonie. Mais ces grandes compositions ne purent naturellement jamais prétendre à la popularité. En revanche, la forme de la chanson à couplets sur un air connu parvint à renouveler la vogue du thème usé des cris de Paris. Dès 1572 apparaît une Chanson nouvelle de tous les Cris de Paris, se chantant sur l'air de la Volte de Provence, qui fut réimprimée jusque dans le courant du XVIIIe siècle 3.

Il n'était pas inutile de rappeler ces vicissitudes littéraires et cette diffusion des cris de Paris pour expliquer l'apparition et apprécier l'originalité de la chanson patoise des Cris de

1 Voir la Farce nouvelle, très bonne et fort récréative pour rire des cris de Paris, imprimée à Lyon en 1548 et reproduite par Viollet-le-Duc, Ancien théâtre français, II, p. 303-325.

2 Les Voix de Paris. Essai d'une histoire littéraire et musicale des cris populaires de la capitale.... suivi de LES CRIS DE PARIS, grande symphonie, humoristique, vocale et instrumentale. Paris 1857.

3 Toutes les pièces anciennes mentionnées ci-dessus ont été réunies par A. Franklin dans le volume de la collection « La vie privée d'autrefois » auquel nous avons emprunté nos renseignements et qui est intitulé L'annonce et la réclame. Les cris de Paris (Paris 1887). C'est à cette édition que se rapportent nos références dans la suite de ce travail. Une réimpression facsimilé des Cris de Paris de Truquet a paru en 1872 dans la « Bibliothèque gothique » du libraire Bailleu. La chanson de 1572 et le texte de Truquet sont aussi reproduits dans Paris burlesque et ridicule au XVIIe siècle, par P. L. Jacob (Paris 1859), mais d'après des éditions de beaucoup postérieures aux originaux et qui présentent de nombreuses altérations.

Genève, que nous publions ci-dessous. Ce texte curieux n'a guère attiré jusqu'ici l'attention de ceux qui se sont occupés de la littérature ou de l'histoire de Genève. Gaullieur est le seul, à notre connaissance, qui l'ait au moins mentionné. Il lui consacre trois lignes et en indique la date probable, mais ne s'arrête pas au contenu de la pièce, dont il ne cite que le titre 1. Il est vrai que la valeur littéraire en est nulle et que le fait qu'elle a été imprimée seulement comme feuille volante, aujourd'hui très rare, l'a empêchée d'être connue en dehors d'un cercle très restreint de collectionneurs. Elle n'a pas échappé aux recherches de John Jullien et de Jean Humbert, qui en ont laissé des copies; mais en 1875, le savant bibliographe du patois de Genève, M. Eugène Ritter, n'en avait pas vu d'exemplaire imprimé et n'en connaissait qu'une copie manuscrite due à M. DuBois-Melly, d'après laquelle il cita le premier couplet3. C'est d'après la même copie que M. Gauchat publia en 1896 les couplets i et 3, avec traduction1. Dix ans plus tard seulement, M. Ritter signale à la rédaction du Glossaire le don fait à la Société de Lecture de Genève d'un original imprimé et lui en communique le texte exact, avec traduction. En 1911 enfin, les vingt couplets des Cris de Genève ont été publiés dans la Revue savoisienne par M. J. Désormaux 3, non pas toutefois d'après l'imprimé original, mais d'après un recueil ma

1 « Les Cris de Genève mis en chanson patoise sont aussi un monument de cette littérature populaire, qui fut imprimé, sinon composé, à la même époque que les pièces de l'Escalade, c'est-à-dire dans la seconde moitié du dernier siècle. » Gaullieur, Etudes sur l'histoire littéraire de la Suisse française, Genève 1856, p. 290.

2 Voir la Bibliographie linguistique de la Suisse romande, t. I, no 740. 3 Recherches sur le patois de Genève, Genève 1875, p. 13.

4 Dans le recueil Aus allen Gauen. Dichtungen in den schweizerischen Mundarten, Zurich 1896, p. 150-151. Reproduit, avec des interprétations de son crû, par F. C[habloz] dans la Feuille d'Avis de Neuchâtel du 30 mars 1896, sous le titre Les Cris de la Rue.

5 Formulettes en patois savoyard, dans la Revue savoisienne, 1911, p. 188-190.

nuscrit de la fin du XVIIIe siècle, appartenant à M. A. Bétant, de Genève. Le texte présente plusieurs interversions et des altérations qui rendent certains passages incompréhensibles. L'éditeur ne s'est d'ailleurs pas rendu compte de la véritable nature de la pièce, qu'il donne comme une série de formulettes ou de rimailles présentant de bizarres associations d'idées. Le principal intérêt du manuscrit genevois nous paraît être qu'il donne la mélodie de la chanson, que M. Désormaux n'a pas reproduite, mais que nous sommes en mesure d'offrir à nos lecteurs, grâce à l'amabilité de M. Bétant et à l'obligeante entremise de M. A. van Gennep.

Les recherches que nous avons faites dans diverses collections publiques et particulières de Genève nous ont fait connaître six exemplaires du placard imprimé de notre texte. Ils ne sont pas identiques, mais représentent trois éditions. distinctes, que nous avons décrites comme suit dans la Bibliographie linguistique de la Suisse romande, t. I, no 740:

Edition A (exemplaires à la Bibl. de la Société de Lecture et dans la collection Rilliet). Feuille in-fol. (20 X 35 cm.) à trois colonnes, séparées par un trait simple; encadrement. Au recto, chanson française: Les Légats de la Vache à Colas | de Sedege. Verso, titre: Les Cris de Geneve, mis en Chanson; Sur l'Air, de l'Aimable Vainqueur. Premier vers de chaque colonne : 1. Raclia Semena; 2. A mon bo blian Chablon; 3. U bon Triolet; dernier vers: Zai le fua a ca. FIN.

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Edition B (exemplaires à la Bibl. de Genève, Gf. 555 bis, pièce no 6, et dans les collections Maillart et Lullin). Variante de l'édition précédente. Feuille in-fol., également à trois colonnes et encadrement, mais la séparation des colonnes est constituée ici par de petits ornements ronds alignés. Les Cris de Genève occupent le recto, au sommet duquel se trouve une tête de lion flanquée de deux amours couchés. Titre et disposition du texte comme dans A. Texte lui-même identique,

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