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DU

GLOSSAIRE DES PATOIS

DE LA

SUISSE ROMANDE

PUBLIÉ PAR LA

Rédaction du Glossaire.

ONZIÈME ANNÉE

1912

ZURICH

BUREAU DU GLOSSAIRE

Hofackerstrasse 44

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En 1814, le Conservateur Suisse contenait sous le titre de Mélanges ichthyologiques un petit article qui faisait connaître non seulement les espèces, mais aussi les noms patois des poissons vivant dans le lac Léman. L'auteur en était le doyen Bridel. Avec une conception scientifique qu'on peut appeler moderne, il considérait l'étude des légendes, des traditions et même des patois comme indispensable à un historien; c'étaient pour lui des syınboles de vie passée qui ne pouvaient manquer d'inspirer un vif intérêt à un homme qui, comme Bridel, aimait à prêter l'oreille aux échos lointains de la pensée et de la parole de ses ancêtres. Cette large conception des recherches linguistiques mises au service de l'histoire de la pensée et de la civilisation humaines, telle que cherchait à la réaliser l'auteur du Glossaire du patois de la Suisse romande, a été proclamée et mise à la base de son enseignement durant plus de quarante ans par son arrière-neveu, M. Schuchardt.

Depuis la publication de son œuvre fondamentale sur le Vocalisme du latin vulgaire, où, à l'aide de formes patiemment recueillies dans les gloses, les textes et les inscriptions du bas-latin, il était remonté aux origines des langues romanes, une série de recherches des plus ingénieuses et des plus solides ont ouvert à l'enquête linguistique un champ immense, où il a tracé lui-même des sillons ineffaçables. Nous ne saurions passer en revue les nombreux et brillants travaux qui ont suscité l'admiration profonde de tous ceux qui croient avec lui que la recherche scientifique ne consiste pas à appliquer de vieilles méthodes avec une routine même parfaite, mais à renouveler

et à perfectionner constamment les outils dont nous disposons pour nous rapprocher lentement de la vérité relative.

Il y a cinq ans, à l'occasion de la publication d'une étude. riche en idées heureuses et en résultats nouveaux de M. Antoine Thomas, publiée dans le tome XXXV de la Romania, M. Schuchardt a consacré un mémoire étendu aux noms de poissons qu'un lexicographe obscur du 4° siècle, Polemius Silvius, a enregistrés dans ses Nomina cunctorum spirantium atque quadrupedum. Reprenant pour ainsi dire le brouillon ichthyologique qu'avait laissé son ancêtre Bridel, il a discuté l'origine d'un certain nombre de noms des poissons de la Suisse (Z.f.rom. Phil. XXX, 712). Quand le rédacteur en chef du Glossaire des patois de la Suisse romande nous fit connaître son projet d'offrir à M. Schuchardt, à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de sa naissance, un petit hommage de la part des romanistes suisses, je m'avisai de reprendre l'examen de quelques problèmes dont il avait déjà trouvé ou pressenti la solution dans le travail que je viens de rappeler. Si je réussis à éclairer quelque peu un coin obscur du vocabulaire de nos patois romands, j'en serai en quelque sorte redevable à mes maîtres. Car, en guidant mes premiers pas vers les études romanes, ils n'ont cessé d'insister sur l'importance capitale qu'il y a à rechercher, comme M. Schuchardt nous a appris à le faire, la philosophie profonde cachée dans tous les faits du langage.

La Suisse, située au centre de l'Europe, offre par la richesse de ses eaux une variété d'espèces de poissons qui mérite bien l'attention particulière du naturaliste et du linguiste. M. Fatio1 a consacré une étude magistrale aux poissons vivant dans les eaux suisses: ce serait maintenant au linguiste à en fournir le complément, en discutant l'histoire et l'origine des noms de ces animaux. Ils soulèvent bien des problèmes

1 V. Fatio, Faune des vertébrés de la Suisse, vol. IV, V: Histoire naturelle des poissons. Genève et Bâle, 1882, 1890.

compliqués et en partie insolubles. Le but que nous nous proposons est bien plus modeste: nous nous bornons à présenter les résultats de recherches confinées à l'onomasiologie des poissons du Léman, tout en insistant sur les rapports étroits qui existent entre les termes alamans et romands, qui remontent souvent à la même base préromane.

La faune ichthyologique du lac Léman n'est pas très variée. En la comparant à celle des bassins et des rivières avoisinants, M. Forel, dans sa belle monographie du lac Léman1, constate l'absence de toute une série de poissons existant dans les affluents ou les lacs du bassin du Rhin en amont de Bâle, et dans le Rhône en aval de la Perte de Bellegarde. Des vingtcinq espèces que le Léman nourrit à présent, six sont d'importation artificielle ou accidentelle, dont nous pouvons facilement refaire l'histoire; ce sont: la perche-soleil, le poisson doré de la Chine, la grande marène, le white-fish, le saumon et l'anguille. Restent dix-neuf espèces, que nous divisons en trois groupes:

1. espèces d'immigration par voie fluviale dans les temps historiques: la lotte (probablement dès la fin du 17e siècle) et peut-être la carpe.

2. espèces fluviatiles indigènes à l'état erratique dans le lac: le chabot, le goujon, le spirlin, le vairon, la loche, l'ombre (6 espèces).

3. espèces lacustres indigènes, dont l'existence dans le lac doit être en tout cas très ancienne: la perche, la tanche, l'ablette, le rotengle, le gardon, la chevaine, la féra, la gravenche, l'omble-chevalier, la truite, le brochet (11 espèces).

2

1 F.-A. Forel, Le Léman. Monographie limnologique, t. III. Lausanne,

1904.

2 Forel III, 79, 343 ss. Voici une bibliographie sommaire pour guider le lecteur peu familier avec le sujet :

Asper

Bruchet

Fatio=

G. Asper, Les poissons de la Suisse et la pisciculture. Lausanne,

1891.

M. Bruchet, Le Chateau de Ripaille. Annecy, 1907.

V. Fatio, op. cit.

Forel F.-A. Forel, op. cit.

Klunzinger

Id.

=

Die Bodenseefische. Stuttgart, 1892.
Schweizerdeutsches Idiotikon.

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