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turteris1 seu truyt (Forel 334)1. Il paraît qu'il faut distinguer deux bases: tructa, qui aurait donné traite, trètt (cf. anc. prov. trocha, galic. troita, it. trota, alban. trofte) et trūcta, qui a abouti au franç. truite, importé à une date relativement récente dans nos régions; truito, trouite ne seraient pas autre chose que des formes empruntées au français".

Le nom latin du brochet était lucius, représenté dans le vieux provençal par lutz et par l'ancien français luz3, ce qui

recentis... où l'éditeur, M. Bruchet, propose de reconnaître le nom de la truite.

1 Dans les actes du château de Ripaille, on rencontre truitella, truttelle (p. 318, a. 1471), truytes, truytia (p. 316, a. 1391).

2 V. pour les autres formes, Rolland III, 129; Schrader, Reallexikon, 252 s. Forelle; alsac. troit Urtel, Rev. de dial. rom. I, 9; forez. troeyte Philipon, Rom. XL, 11; Val Soana: trujta, Nigra, Arch. glott. it. III, 14, anc. berg. troyta, Lorck, Altberg. Sprachdenkm. 148, etc. Sur trūcta et tructa, v. Meyer-Lübke, Z. für franz. Sprache u. Litt. XX, 66, et Horning, Litbl. f. germ. u. rom. Phil. 1900, 291. Les patois de la Suisse allemande offrent : Forelle (Id. I, 935) et Ammele (I, 217), v. encore Fatio V, 326. Les dialectes tessinois offrent truta, trutèla (Monti); le Val de Poschiavo et le Val Mustair (Grisons) ont aussi frilla, dont la forme est bien curieuse si on lui attribue l'origine allemande (v. Kluge s. Forelle); frilla, qui dans le Val Mustair semble désigner non la truite, mais de tout petits poissons vivant dans les eaux marécageuses (rotengle?), trouve son pendant dans le mot tyrolien pfrillen (Schneller, Rom. Volksmd. 273 et Kluge Pauls Grundriss I2342), qui est d'origine incertaine. Fatio V, 325, connaît en outre pour les Grisons forella cotschna (v. aussi Pallioppi, Deutsch-Romanisch s. Forelle); šilt «< variété de truite argentée », qui doit être emprunté aux patois alamans, quoique ce sens du mot me soit inconnu dans la Suisse allemande; litgiva (Carisch. Carigiet), surselv. lik'iva, lak'iva (de Sedrun jusqu'à Ems), d'origine incertaine; haut-engad. marok', šmarok' (Melcher) << truite vulgaire à grosse tête » que Pallioppi rapproche de marocc «< rebut» (?). Par contre, le surselv. scarun << trotta grossa » (Ascoli, Arch. glott. it. VII, 410) ne désigne pas la truite, mais le saumon (Melcher; à Ems: rilanka, ct. Id. III, 1343); c'est, comme Ascoli l'a bien vu, un dérivé de scarus (it. ven. scaro, sic. scaru, scauru, Salvioni, Postille 274 et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 728).

L'anc. frç. luz n'est plus populaire aujourd'hui dans les dialectes de la France, s'il est permis de se baser sur les informations de Rolland III, 134; Godefroy relève lu dans l'île de Guernesey. Cf. pour le mot A. Thomas, Rom. XXXIV, 194.

roman

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ne permet pas de conclure l'existence du mot latin dans la Suisse romande. Il paraît beaucoup plus probable que, dans certaines parties de la Gaule romane, le nom latin n'a jamais réussi à supplanter le vieux nom indigène - peut-être préde notre poisson: brochet, brotsè (vaud. frib.), brotchè (neuch.), brotzet, brotchet, « esox lucius » (Bridel), val. brosë, qui se rattachent tous à une base brocc(a)+ittu «pointu » le brochet a la tête écrasée en avant en guise de bec de canard 1 qui a laissé une postérité nombreuse dans les parlers gallo-romans: frç. broc (vaud. brotzet) « vase à bec », broche «tige de fer pointue à l'une des extrémités qu'on passe à travers une pièce de viande » (cf. vaud. brotze « grande cheville en bois traversant le centre de la cible et la fixant au poteau »), anc. prov. broc « épine » (cf. vaud. brotze « aiguille à tricoter) etc. D'après les matériaux que nous fournissent les réponses des correspondants du Glossaire romand et les témoignages des documents, il paraît que béchet2 jouissait autrefois d'une plus grande popularité sur les bords du Léman: vaud. frib. bètsè, bétsè (Sugiez: bétsé) (diminutif) bétsóla, genev. betset (Bridel), dérivé de beccu (frç. bec), d'origine gauloise. Dans les comptes pour la table ducale de Ripaille, on lit sous la date du 8 déc. 1391: 80 bechetis..., 86 bechetis; le syndic du Villard cite pour Genève en 1581: le béchet (Forel, 331) et dans l'extrait d'un acte de 1622, figurant parmi les matériaux du Glossaire des patois de la Suisse romande, trois pêcheurs de Rolle promettent au Conseil [de Lausanne ?] de livrer aux bourgeois et habitants la livre de truite pour 14 s. et celle de béchet pour 7 s....

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1 Selon le dict. manuscrit de Moratel, le brochet serait aussi nommé mouar de borra «museau de canard ».

2 Cf. Rolland III, 135, anc. frç. béchet, et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 718.

3 La taxe de Villeneuve présente le nom lucii [génitif], qui est sans doute la forme savante du notaire qui savait mettre en valeur ses connaissances latines. Les textes du château de Ripaille offrent aussi un

Il nous reste à examiner les noms de la perche, du rotengle, du gardon et de l'ombre-chevalier.

Pour la perche, perca fluviatilis, on rencontre dans la Suisse romande deux noms:

1. pèrtsa (vaud. frib. genev.)1, piertch (Charmoille), anc. genev. perche (du Villard)2; -et, pertsèta (jeunes) [frib. vaud. genev.], pèrtsōla (Sugiez) « petite perche ».

2. boya, bolya (vaud.), bolia, bohlla (Bridel), bolya (genev., Hermance).

L'étymologie du premier est claire, c'est le latin perca, tandis que l'origine de bolya reste incertaine '.

Les jeunes perches s'appellent: 1° milcanton (vaud. frib. neuch.), qu'on serait tenté d'interpréter comme alevins four

ambone (p. 318) que M. Bruchet identifie dubitativement avec le brochet. Les patois de la Suisse allemande offrent: Hecht (Id. II, 981), Schnäbeli (jeune) Fatio V, 420, et les parlers tessinois nous ont conservé luz, lusc (Monti).

1 Les habitants d'Estavayer ont pour sobriquet : les Pertsets et ceux de Riez le surnom : les bolhai, v. note 4.

2 La taxe de Villeneuve (1380) latinise le mot patois sous la forme curieuse de perticarum (Forel 334): d'où il faut conclure que dès le 14e siècle pertica et perca ont donné le même résultat phonétique dans le dialecte de Villeneuve.

3 V. une belle monographie de M. Hofer, Der Barsch, Beilage no 22 du no 1 du t. IV de la Schw. F. Ztg.

4 On serait tenté de postuler un type bocula, dérivé de boca (ẞws), mais boca désigne le sparus boops qui, à ce que je sais, n'offre pas de grande ressemblance avec notre poisson (cf. Rolland III, 171, et Pieri, Z. f. rom. Phil. XXVII, 586). Le texte de la carte du syndic Villard nous apprend que « la perche se treuve jusqu'à cinq livres et est en sa saison au mois de Janvier. En Sebtembre la perche s'apelle boliat, est bonne au dit mois. » (Forel 331.) La bolia ne serait donc qu'un nom spécifique de la perche à un moment donné où elle est sans doute bonne à manger; dès lors, on pourrait se demander s'il n'est pas permis de reconnaître dans notre bolya le même mot qu'ont enregistré Const. et Dés. bolyà « jeune mouton ou cochon gras et rond », bolyo « homme trapu » que M. Jeanjaquet est incliné à rattacher à bolya «ventre, panse » ; ce serait la perche bien grasse à l'époque où elle se retire de la région littorale sur les bords des << monts >>.

millant dans tous les coins (cantons), le long de la place du frai de leurs parents 1; 2o viva (vaud., Fatio IV, 14, Bridel [Vevey, Dumur), genev. (Cris de Genève, cf. Blavignac, Emprô p. 201); qui s'applique aussi bien à la loche qu'à la perchette; il serait le féminin de vivus (frç. vive), parce que les petites perches sont d'une grande vivacité; 3o jolerie (Fatio IV, 14), jhola « jeune féra » (Hermance), cf. Bruchet, 606; joulleri, djoulleri « blanchaille, menu poisson, fretin» (Bridel), pour lequel je ne connais pas d'étymologie satisfaisante ; 4° brandenailles

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1 milkeinton (Bridel), vaud. milkanton (Vallorbe), anc. genev. millecanton (du Villard, Forel 332). M. F.-A. Forel, dans la Gazette de Lausanne, no du 28 juillet 1902, constate que dans un acte bernois de 1723 le mille-cantons est désigné par Tausend Mægdeli, nom qui revient même dans une ordonnance sur la pêche du lac de Morat en 1411 sous la forme de Tausend mægetli « mille jeunes filles ». De plus, les prières de table de l'évêque Ekkehard IV de Saint-Gall, à la fin du 10e siècle, offrent l'invocation suivante: millia coctorum benedic dee pisciculorum «<ô Dieu, bénis les mille petits poissons cuits! » (« Gott, segne uns die tausend Backfische!»). Le mot latin mille-coctorum aurait abouti par évolution phonétique qui offre de sérieuses difficultés à millecouetor -coueintor -coueinton -keinton -canton, tandis que millia-coctorum ou son produit patois aurait été traduit en allemand par Backfische; ce dernier mot offrant un double sens, aurait été remplacé par Magdelein. Je me borne à mentionner cette ingénieuse étymologie, bien que, pour des raisons d'ordre phonétique et chronologique, elle me semble peu probable.

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2 Le syndic du Villard relève dans sa liste de poissons : « la jolerie sont petites perches de la longueur du doigt, est sa saison en Juin » (Forel 331). Dans les registres des dépenses de Ripaille, on retrouve par deux fois jaulaz (Bruchet 318, a. 1471). Enfin, Fatio V, 245 indique comme nom de la jeune féra: zouland, mot dont la formation ne m'est pas tout à fait claire.

3 M. P. Barbier fils, dans un article de la Rev. des 1. r. LXIV, 168 (cf. aussi Rev. de dial. rom. I, 438), examine une série de vocables qui, au point de vue phonétique se rapprochent bien de notre mot, c'est jol (Gard, Hérault), « goujon » (Rolland III, 147), joell « atherina » (Pyrénées-orientales). Mais l'étymologie oculus, qu'il propose, ne saurait convenir ni aux formes méridionales: langued. jol, juol, juel, jiuel, juvel (Mistral), v. aussi la carte œil de l'Atlas linguistique, ni à jaulaz, jolerie de la Suisse française. Dans le Laterculus de Polemius Silvius

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< petites perches, fretin, blanchaille» (Bridel, Const. et Dés.; Fatio V, 14, offre une variante (ou faute d'impression?): sav. brand emaille), qui est le dérivé d'un verbe brandinai « marcher et circuler sans cesse » (Montbéliard), franç. mérid. brandinà « flâner» (v. Projet d'arrangement du Glossaire des patois de la Suisse romande, 1907, s. brandenaille)'.

Le rotengle, scardinius erythrophthalmus, est confondu souvent avec le gardon, d'où il résulte quelque incertitude dans la terminologie des deux poissons. Voici les noms qui nous sont attestés pour la Suisse romande :

1. genev. vaud. raufe; roufa (vaud. Roche), anc. genev. roffa (Forel 332), vaud. raufa, roffa (Bridel), qui doit peut-être son nom à ses écailles d'un jaunâtre cuivré. Pour des raisons d'ordre phonétique, il n'est guère probable que le mot remonte au latin rūfu « rouge » attesté comme nom de poisson dans un texte cité par Ducange2.

on rencontre dans la série des noms des reptiles le mot iulus (<iovios) v. Thomas, Rom. XXXV, 167, qui, phonétiquement, pourrait bien être la base de notre mot romand.

1 Selon Fatio V, 14, voici les noms de la Suisse allemande : (jeunes) Euerlich, Hürlig (Id. I, 144), Tränli (I, 144); (plus tard): Eglin (I, 144), Fenderling («<l'antenois » Id. I, 1020), Kretzer (III, 931), Barschling, Stichling, Schaubfisch (Id. I, 1103) Rauhegel; (adulte): Barsch (v. Kluge s. v.), Rechling (Id. VI, 137), Bersich (Bâle, Id. I, 1599 v. Kluge s. barsch), Raubfisch, Lutz, Butz (Id. IV, 2000, v. p. 12 n.); v. aussi une étude sur la perche des eaux suisses par M. Hofer, Schw. F. Ztg. IV, 283. Sur les bords des lacs du Tessin et de la Lombardie, on dit (jeunes) centin, cent-in-bocca (v. p. 15 n.), bandirólo, bertonscello, gheubl (= « gobbo », c'est-à-dire «p. à dos recourbé »); (adulte): pesce persico, péss-persigh, persighin (cf. Meyer-Lübke, Et. Wtb. no 966), rattèll (de la couleur du rat?), berton (Monti) dérivé de berta « taccola », partage avec le poisson les taches ou bandes noires du corps).

qui

2 Vita B. Berthol. : Appropinquantibus illis fluvio cum sagena; ecce mirum dictu, piscis, qui vocatur tymallus, rufo persequente, actus in fugam, mirantibus cunctis, de aqua in terram exilivit. Il est en effet bien curieux qu'un petit poisson tel que le rotengle puisse menacer le thymallus qui est notablement plus grand. Du Cange cite un autre témoignage de

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