Page images
PDF
EPUB

un peu celui de l'anguille, et, comme le vairon, elle est peu estimée de nos pêcheurs. Voici ses noms dans les patois romands et le français provincial parlés sur les bords des lacs : 1. motaile, moutaile (Lutry), Rolland III, 137, v, p. 7. 2. gremelhetta (Rolle), v. p. 14.

3. neuch. petite lotte, v. p. 6.

4. genev. moustache, frib. moustatsə (Sales) à cause des six barbillons qui se dressent sur sa lèvre supérieure. Cette particularité lui a valu encore le nom de :

5. petit barbot (Forel 65).

6. vaud. dremillha, droumillha, dremilletta (Bridel), sav. dromlyë, genev. drəmillə (Hermance) [v. aussi anc. genev. dormille1 (du Villard, Forel 331)]. Le poisson a l'habitude de se tenir blotti de jour sous quelque pierre ou de rester longtemps immobile sur un caillou. C'est donc un substantif tiré du verbe dromlyi « sommeiller » (Const. et Dés.), anc. franç. dormillier (anc. prov. dormilhos « somnolent »), franç. mérid. dourmiha -ilhá (Aveyron) « sommeiller » (Mistral), qui contiennent tous un latin *dormiculare 2.

7. neuch. percepierre (Rolland III, 138). En fuyant, le poisson. passe entre les pierres, filant comme un éclair 3.

8. dartre (Fatio V, 20) est le nom populaire, répandu sur les bords des lacs de Morat, de Bienne et de Neuchâtel (Auvernier: dèrt, frç. local). Il s'explique peut-être par les écailles teigneuses du poisson ou par les taches irrégulières éparses souvent sur toute la longueur du corps, à la manière des plaques de peau qui caractérisent la maladie appelée dartre. Le point

1 Le même nom s'applique aussi au cyprinus amarus, qui partage avec la loche l'habitude de rester longtemps immobile sur le gravier: dormille, dromille commune est attesté pour le dép. de l'Isère, cf. Rolland III, 152; Mistral relève dourmilouso, etc. « loche, petit poisson qui paraît quelquefois immobile dans l'eau », v. aussi Rolland III, 89, XI, 165.

2 La grande extension géographique de ce mot à travers l'Italie (dormicchiare) et la France jusque dans l'Espagne (gallic. dormilloso) fait supposer déjà en latin l'existence de la base dormiculare.

3 Ailleurs perce-pierre désigne la lamproie fluviatile (petrisuga fluviatilis), cf. l'it. foracqua (= perce-eau), Rolland III, 138.

de départ est darvita1, qui semble être le produit d'un croisement entre herpes et un mot gaulois.

9 genev. baromètre, qui doit faire allusion à quelque croyance populaire, répandue parmi les pêcheurs genevois3.

Pour le thymallus vexillifer, nos patois sont d'accord pour lui donner le nom d'onbra, qui correspond au frç. ombre et au latin umbra; à l'époque des amours, la coloration devient de plus en plus sombre et très souvent les mâles apparaissent alors presque complètement noirs. Voici les formes patoises: genev. vaud. frib. bern. onbr(a), vaud. onbrou, masc. (Vallorbe) onbreta (frib.), v. aussi Rolland III, 129, umbre [génitif] (taxe de Villeneuve 1376, Forel 334), anc. genev. umbra (du Villard, Forel 331) 5.

1 Sur la répartition géographique de ce mot, v. Horning, Z. f. rom. Phil. XX, 86, XXI, 454; Salvioni, Postille s. herpete; Meyer-Lübke, Wiener Studien XXV, 98; Bulletin de dialect. rom. III, 67, et Walde, s. derbiosus. M. P. Barbier fils a relevé quelques noms de poissons qui semblent refléter la même base, v. Rev. des 1. rom. LI, 393.

2 Pour une variété de la loche, misgurnus fossilis, Fatio (V, 9) cite le nom allemand Wetterfisch, parce que l'on aurait remarqué qu'à l'approche d'un orage, il a l'habitude de s'agiter jusqu'à troubler complèment l'eau boueuse autour de lui. Quelques personnes auraient même profité de cette attitude du poisson en l'employant comme baromètre, après l'avoir mis dans un récipient rempli de limon.

3 L'all. grundele (Id. II, 776) repose sur la même idée que dormille: c'est le poisson qui aime à dormir au fond des eaux. La répartition géographique de l'autre nom suisse all. Schmerle m'est inconnue. Pour l'étymologie, v. Kluge, s. Schmerle. - Pour la loche de rivière, cobitis tænia, particulière aux eaux tessinoises, les patois lombards offrent toute une série de mots: ingrisella, grisella, ghisella (Monti), garzella (Lugano), cagnola (lac Majeur), dont la discussion m'entraînerait trop loin. A Ems (Grisons), le poisson s'appellerait: vol; faudra-t-il y voir l'all. swal (Fatio IV, 544), qui est le nom du blageon dans la Landquart et le Rhin?

4 A Genève, on donne au poisson le nom d'ombre d'Alondon ou ombre de rivière et à Neuchâtel celui de ombre d'Auvergne (Fatio V, 287). Comp. aussi sur l'ombre des eaux suisses un article de M. Hofer, Schw. F. Ztg. III, Beilage 19 au no 13. Dans le français local d'Auvernier (Neuch.), M. Fankh, a relevé : dé gugle « de petites ombres ».

5 Dans la Suisse allemande, le même poisson est appelé : Aesche (Id.

Des onze espèces lacustres indigènes, ce sont sans doute les corégones1 (la féra, la gravenche, la palée, la bondelle) qui soulèvent les problèmes les plus intéressants pour le naturaliste aussi bien que pour le linguiste. Il est en effet intéressant de voir que les corégones sont soumis à des variations particulières dans chaque lac du plateau suisse, tandis que la plupart des autres espèces de poissons d'eau douce se retrouvent avec les mêmes caractères spécifiques dans toutes les eaux de notre

I, 564 et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 720), (jeune): Kresling (Id. III, 852), Knab (III, 711), Ischer (I, 547), Aeschling (I, 564), Mittler (IV, 564). Sur les bords des lacs subalpins de la Lombardie, on désigne le poisson par témôl, tèmola (Monti, Rolland III, 129), v. P. Barbier fils, Rev. des 1. rom. LI, 403, berg. temel, Lorck, Altberg. Sprachd. 148, no 1665; strisol « ombre dans son premier âge », marônscei « ombre dans son deuxième âge », Rolland III, 129. - Dans le bas-engad. (Schleins), le poisson est appelé ašer qui représente évidemment l'all. Äscher.

1 Voici d'après Fatio V, 67 ss. et Forel 65, les noms des corégones vivant dans les lacs suisses (v. la carte à la fin de cet article):

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

>

de Baldegg-Hallwyl-Sempach: Ballen.

Edelfisch, Weissfisch, Felchen (?).

de Thoune et Brienz: Albock, Brienzlig, Balchen, Kropflein.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Le nom de férit, relevé par Fatio V, 133, 185 pour le lac de Morat doit reposer sur une erreur: ce n'est pas un nom patois, mais l'all. färig que M. Fatio a considéré à tort comme un mot français (communication de M. Fankhauser). Enfin une grosse palée avec une espèce de goître s'appelle à Sugiez, gòtrò̟ouza (« goîtreuse » < gótro « goître »), qui se retrouve à Montilier (près Morat) sous la forme de Chropfər, de même à Douanne (lac de Bienne), dérivé de Chropf, que l'Id. n'a pas enregistré. Selon les informations que M. Friedli m'a fournies, le Chropfer désignerait à Anet aussi le brochet du mois de mai.

pays. M. Fatio, qui a soumis toutes ces variétés à un examen approfondi, ne constate pas moins de vingt-quatre types dans les lacs de la Suisse et de la Savoie; des quatre qu'on pêche aujourd'hui dans le lac Léman, deux, la grande marène, coregonus maraena, et le Whitefish, coregonus albus, y ont été récemment importés; la féra et la gravenche, par contre, sont considérés comme autochtones. Mais qu'on me permette d'abord de discuter brièvement l'origine du nom de la bon ́delle du lac de Neuchâtel.

Les ichthyologues distinguent aujourd'hui dans ce lac deux groupes de notre espèce en choisissant comme critère l'attitude du poisson au moment de frayer: les uns fraient sur la terrasse littorale plongée dans l'eau (« la beine »), les autres dans les régions profondes. C'est à cette dernière catégorie qu'appartient la bondelle qui dépose ses oeufs dans les grands fonds, à 90, 100 ou 130 mètres, tandis que l'autre corégone du même lac, la palée, fraie sur les graviers (palée de bord) ou à une profondeur de 25 à 50 mètres (palée de fond). Il met paraît donc très probable que la bondelle doit son nom à ses habitudes de frai et à sa vie sédentaire dans les profondeurs des eaux (Fatio V, 193). Dans l'étude de la nomenclature ichthyologique, le linguiste, avant de proposer une étymologie satisfaisante, ne pourra pas se passer de la connaissance exacte de l'objet.

Or, le moyen irlandais désigne le fond d'un vase, le creux d'une rivière par une parole qui s'accorde à merveille avec l'idée en question: moyen irl. bond, bonn, cymrique bond

fond » (cf. Stokes, Urkelt. Sprachsch. 180 et Loth, Revue celtique XX, 345) qui remontent à une base bundos, bien conservé dans la toponomastique de l'Italie supérieure et de la Suisse française: bresc. bondai « gorgo, profondità » (Biondelli, Saggio 60, qui propose déjà Icette fois avec raison origine celtique pour le mot italien), valses. bonda « luogo nascosto, recesso» (noms de lieu: Bonda, Bondaccia, Bondal

une

[cf. aussi Bondasca, Val di Bregaglia, attestés dès le 13° siècle)1, qui se retrouve dans le patois allemand d'Alagna Bunde « insenatura di montagna » (Id. IV, 1369). Le même mot paraît jouer un rôle considérable dans les noms de lieu de la Suisse romande: Bonde, Bondelle (Vaud), v. Jaccard, Essai de toponymie, 412. La bondelle serait donc le poisson qui vit au fond (à la bonde) du lac; la forme patoise bondala (sur les bords du lac de Neuchâtel) représente bond (a) + ella3.

Passons maintenant aux noms des deux espèces indigènes de corégones du lac Léman: la gravenche, coregonus hiemalis, et la féra, coregonus fera.

I. coregonus hiemalis.

1. gravenche (Fatio V, 262), gravanche, garvanche (Bridel); anc. genev. gravenche (du Villard, Forel 332), gravanche (Humbert), gravandə (Hermance).

Tandis que la féra dépose ses œufs dans le sable ou le limon du fond, souvent à cent ou deux cents mètres d'eau, la gravenche fait sa ponte sur la grève du Léman : « les individus des deux sexes arrivent alors en bandes nombreuses, en faisant de la bouche un bruit de claquements qui s'entend d'assez loin, de manière que la pêche, qui se fait surtout de nuit, est alors aisée au moyen de filets, dans lesquels on attire au besoin le poisson au moyen de feux allumés sur la rive » (Fatio V, 267). Il n'est guère douteux que notre mot ne remonte au gaulois

1

Meyer-Lübke, Et. Wtb. s. bunda cite déjà la forme de la Valsesia. V. aussi mon article sur le frç. bonde (vaud. bonda) « ouverture du tonneau, par laquelle on le remplit », peut-être identique avec notre mot, Archiv. für das Stud. der neuern Sprachen CXXVII, p. 435.

2 Cf. Gruber, Vordeutsche Ortsnamen, Festband Vollmöller, 320.

3 Les documents bernois offrent dès le 16e siècle le nom de bündeli (Id. IV, 1368). V. Liebenau, p. 139-140, qui relève le fait, important quant à l'ancienne extension du mot, que le nom de Bündeli était le nom d'un corégone des lacs de Sempach, de Lucerne et de Hallwyl, avant le 17e siècle. Le filet pour prendre les bondelles du lac de Neuchâtel s'appelle à Sugiez (lac de Morat) bondalīr, cf. Fromaigeat, Bulletin du Glossaire VI, 58. Dans leur français populaire, les pêcheurs de Marin et d'Auvernier désignent le filet par bondéyèr.

[ocr errors]
« PreviousContinue »