Page images
PDF
EPUB

aurait tort de généraliser les observations faites dans tel ou tel endroit; l'enquête minutieuse sur place peut seule faire connaître la vérité. Je ne parle pas de l'influence exercée par l'italien littéraire et par le français. En général, la connaissance de l'italien est peu répandue chez les personnes sans instruction, et si des mots italiens s'infiltrent dans les patois franco-provençaux et provençaux, c'est souvent par l'intermédiaire du piémontais. A des questions posées en italien, on répond souvent en piémontais, même dans les magasins où on est habitué à voir des étrangers. Quant au français, on le comprend généralement dans les vallées vaudoises1 et souvent on l'y parle assez bien, mieux (la vieille génération surtout) que l'italien. Dans certaines familles, on a même gardé le français comme langue de tous les jours; et les personnes cultivées le parlent quelquefois avec une facilité et une élégance remarquables. Il n'est pas sans importance de rapporter le fait que dans les vallées placées au sud du mont Cenis, on a en général conscience de parler des patois semblables aux patois provençaux de France; dans les vallées de l'Orco et de Lanzo, par contre, on ne se rend pas compte, à ce que j'ai pu observer, de la communauté linguistique avec la France.

L'aperçu rapide que je viens de donner peut paraître trop sommaire; mais il suffira peut-être pour empêcher le lecteur de considérer les détails de phonétique que je me suis proposé d'étudier dans ces notes à un point de vue trop étroit. Les mots que je citerai ont tous, à peu d'exceptions près, été notés sur place. Ils sont extraits de matériaux qui n'étaient pas destinés à servir de base à une étude phonétique. Le questionnaire dont je me suis servi reposait à l'origine sur le questionnaire de M. Gilliéron ; je l'ai modifié peu à peu au cours d'excursions dialectologiques dans la Suisse française, les Grisons et la Haute-Italie. J'ai posé mes questions en français à Bobi, Pra du Tour et Crissolo; en italien dans tous les autres endroits. Inutile de relever ici les défauts inhérents au système de l'interrogation. J'in

1

Je n'ai pas visité la partie supérieure de la vallée d'Aoste ni la vallée de Suse, où la connaissance du français doit être assez répandue.

siste plutôt sur un point, dont se rendent compte tous ceux qui étudient un domaine linguistique d'une certaine ¿tendue: l'insuffisance de notre oreille et par suite de la notation phonétique appliquée à des patois fort différents, dont on ne s'est pas assimilé les sons par une longue habitude. Je n'ai donc aucune honte à avouer qu'il doit y avoir des erreurs et des inexactitudes dans mes notes. J'ai mis le plus grand soin à saisir les sons que j'ai entendus et à ne pas me laisser influencer par des considérations linguistiques préconçues. Si ma notation reste tout de même une esquisse grossière de la réalité, c'est que, vu les conditions de l'enquête, il ne peut pas en être autrement.

J'ai modifié aussi peu que possible la transcription du Bulletin, quoique j'aie eu quelque peine à habiller les patois du Piémont d'un vêtement qui n'a pas été taillé pour eux. Voici les signes nouveaux que je me suis vu obligé d'introduire :

η n guttural (n de l'Arch. glott.).

.n = n devant consonne (ne servant pas comme signe de la nasalisation de la voyelle précédente).

son intermédiaire entre et r. On produit ce son en retirant le bout de la langue et en l'appuyant en arrière du point d'articulation ordinaire d'l et d'r. J'en ai observé différentes nuances à Brosso, Pral et Bobbio.

=

a voyelle réduite non arrondie qu'on trouve dans l'allemand Vogel et qui est parfaitement distincte de l'e muet français (a), quoiqu'il y ait des nuances intermédiaires (et par suite des hésitations dans ma transcription). Cf. Arch. gl. XVII, xxvII et 214: è. J'ai désigné par le même signe le son qui se rapproche davantage de ä (par ex. brikat) et qui est caractéristique pour la région canavaise.

où ou ouvert (cf. l'allemand kurz).

ä réunit plusieurs nuances intermédiaires entre è et à. Il y a dans mes matériaux des hésitations dans la notation d'i et de y qui ne correspondent pas à la réalité.

s et sont partout plus ou moins palatalisés; les différences individuelles étant très grandes, j'ai négligé cette palatalisation à moins qu'elle n'ait conduit à ch et j.

s lenis (que ma notation ne distingue pas) est fréquent

devant m, n, v et alterne dans ce cas avec z. Dans le sud de notre région, je l'ai assez souvent observé à la finale, en pause.

tch et di se rapprochent presque partout de ts et dz1. Quand l'accent n'est pas indiqué, il occupe, en général, la même place qu'en latin.

Une croix (+) indique qu'une forme me manque pour un certain endroit.

Je me borne à examiner le sort de l's final libre dans les six cas que voici :

I.

Pluriel des substantifs (adjectifs) féminins en a.

II. Article féminin pluriel.

III. Secondes personnes du singulier non accentuées sur la syllabe finale.

IV. Secondes personnes du singulier accentuées sur la syllabe finale (forme affirmative).

V. Seconde personne du singulier de l'indicatif présent des verbes à syllabe finale accentuée à la forme interrogative. VI. s final libre secondaire.

Je commencerai par un exposé purement descriptif, et terminerai par quelques considérations générales qui n'ont nullement la prétention d'épuiser le sujet.

Piamprato 2.

L's final s'est amuï partout:

[ocr errors]

I et II. la pia.ntèles arbres' — la béxtiè, les bêtes' la kornè, les cornes' la doue rouvè doù karatoùnŋ i soù.nt roù.ntue les deux roues du char sont cassées'

6

[ocr errors]

douè fanè deux femmes' - la djarne. la djarne, les poules' — où a(t) lè tchambè

1 Mon sujet A de Limone (dont le patois tient du ligurien) mélange tch et dj avec ts et dz d'une façon fort frappante.

2 Piamprato est le dernier hameau de la Val Soana, situé au pied du M. Rosa dei Banchi, à une dizaine de kilomètres au delà de Ronco, dont le patois forme la base de l'étude de Nigra, Arch. glott. III, 1-60. On y arrive de Champorcher par le Col Santanel, de la Val Chiusella par le Col de la Bocchetta. Une route partant de Ronco est en construction; elle remplacera l'ancienne, mulattière'. Piamprato fait partie de la commune de Valprato, dont le langage a été étudié par M. Salvioni dans les Rendiconti del R. Istituto Lombardo, série II, vol. XXXVII, p. 1043-1056. Je dois la plus grande partie de mes matériaux à l'amabilité de M. Garavetti, instituteur à Alice Superiore; je n'ai recueilli que très peu sur place.

Xtoùrtchie, il a les jambes tordues '

noùxtè burnyè,nos

,

prunes' i uvè i soù.n doufè, les raisins sont doux', etc. III. ménè mènes' (Ind. pr. 2) — manavè. mệnè · manặvè, menais (Ind. imparf. 2) - manṛrèmènerais' (Condit. 2)

[ocr errors]

ma

nisè menasses' (Subj. imparf. 2)· van va.ndṛrè; va.ndissè (formes correspondantes du verbe vè.ndrè vendre'), etc. as' didis'

IV. aas

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

ées'

tché tombes'

[ocr errors]
[ocr errors]
[merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

maney,mènes' (Subj. prés. 2) — manare mèneras va.ndey (Subj. prés. 2, Ind. imparf. 2).

[merged small][ocr errors]

vei

diy tu (ou di tu) — fax tu-pex tu - sax

péx

tu vay tu comme koùɣtat coûte' - kréta crête'

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors]

la moùɣtchèles mouches, etc.1. VI. kurieus curieux' — grafieus gentil ' jaloux'nās,nez'

[ocr errors][merged small]

rīsriz' axpeus jeune marié'.

Noasca, Ceresole Reale, Groscavallo,

Mondrone?.

s se conserve devant une pause et devant un mot commençant par une voyelle; il disparaît devant un mot commençant par une consonne. Cependant, il suffit de la plus légère hésitation ou de l'arrêt le plus insignifiant pour le faire réapparaître même dans ce dernier cas. J'ai fait remarquer autre part 3 que c'est exactement l'état ou se trouvent les consonnes finales à Paris, au seizième siècle, selon le témoignage de Henri Estienne.

Exemples. Devant une pause:

1 vois-tu vēy tu.

2 Noasca (à 1050 m.) est l'avant-dernière, Ceresole Reale (à 1600 m.) la dernière commune de la vallée de l'Orco. L'influence piémontaise est moins sensible à Noasca qu'à Ceresole Reale, ce dernier village étant un centre de touristes. Groscavallo (à 1100 m) est situé dans la Valle Grande di Stura, Mondrone (1250 m.) dans la Valle di Stura d'Ala. Les vallées de Lanzo sont à un degré de civilisation plus avancé que la partie supérieure de la vallée de l'Orco et la Val Soana. Le voisinage de Turin, où une grande partie de la population de Groscavallo passe l'hiver, y est pour quelque chose. Aussi le piémontais a-t-il fortement entamé l'ancien patois.

3

Zeitschrift f. franz. Sprache u. Litt. XXXVIII, 258-259. On y trouve le texte de H. Estienne.

+ On trouvera d'autres exemples dans les phrases citées plus loin.

I et II. Noasca: nār da mi.ndjjar al bèsias
Ceresole: när da mi.ndjiar al béchias
Groscavallo: na da mi.ndjie al bèstias

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Ceres.: plār al trifoulas
Groscav.: raskią al trifoulas

Mondrone: plà l trifoulas

.peler les pommes de terre' (, mondare le patate').

[blocks in formation]

(, si tu le) trouvais, (il ne serait pas content')".

IV. Noasca: ...s t lou vós

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

2 J'indique par les points que j'extrais quelques mots d'une phrase. Je mets entre parenthèses la partie de la phrase que je ne reproduis

3

pas.

« PreviousContinue »