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bétail pâturer le regain (Charmoille); lé vètch son e vouayïn (Courfaivre).

Hist. Ce mot, exclusivement jurassien, est inconnu au reste de la Suisse romande. La limite entre le territoire de vouayïn et celui de rekor est formée, comme d'habitude, par le vallon de Saint-Imier. Ici encore, le Jura bernois se rattache entièrement au vocabulaire des patois du Nord de la France; vouayïn, rvouayin et le franç. regain, qui n'en est qu'une variante, occupent, au sens de regain, toute la moitié nord de la France, tandis que le midi, — à part quelques termes isolés, — emploie vivre et revivre comme substantifs. Ce n'est guère qu'en Suisse que se sont rencontrés, et quelque peu heurtés l'un contre l'autre, l'ancien terme latin cordum et l'ancien mot germanique weida « fourrage », auquel remontent sans aucune espèce de doute toutes les formes citées. Notre vouayin dérive de weida +-imen, latinisé en vuadimen, représenté par l'anc. fr. et l'anc. prov. gaïm. C'est ce qu'a démontré d'une façon convaincante pour (re)gain' M. Thomas, Romania XXV, 86-89, en s'appuyant d'un côté sur les rimes qui séparent l'ancien français gain (gaïm), regain' de gaaing,gain' et de l'autre sur des dérivés comme regaïmer, faire le regain' et préz guimaulx prés à regain' (Rabelais, éd. Marty-Laveaux I, 19), etc. Cette formation est confirmée par l'ital. guaime regain', qu'il soit emprunté au français ou d'origine dialectale 2. La phonétique locale n'offre guère de difficulté. Pour l'initiale, cfr. ouer <weigar fr. guère, ouardè v. fr. garder, l'a (ou a) patois semble correspondre à l'a de gaïm; quant à l'y, c'est un reste

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1 Qui n'en diffère que par le mode de formation.

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En italien, la terminaison -ime a un caractère directement agricole : 3 mots pour fourrage ou pâture: governime, mangime, pastime, 3 mots pour fumier: concime, grassime, marcime, on peut ajouter lettime litière' (Pistoia), c'est toujours une masse plus ou moins compacte se rapportant aux soins du bétail. Faut-il s'étonner que le mot weida, fourrage', quelle que soit la route qu'il ait prise, ait été assimilé à cette famille morphologique ?

de la diphtongue allemande, ou bien il s'est produit pour résoudre l'hiatus comme dans mèyu < anc. fr. mëur, mûr (Courrendlin) ou oyu <ëu (Péry), cfr. boyau boel, joyau <joel, hoyau <hoel. La terminaison -imen s'est confondue avec le produit patois de -īnum, ce qui peut expliquer la présence de n— non de m qu'on attendrait dans les dérivés vouainą m. vouainè v. Ces mots auront été formés d'après le modèle le moulin moulinet, lapin lapinet, patin patiner; cfr. aussi tchin, tchna,petit chien ' B1.

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Reste à examiner le côté sémantique. Dans l'ancien hautallemand, weida exprimait l'idée très générale de recherche de la nourriture', nourriture', il s'appliquait aux animaux aussi bien qu'aux hommes; il désignait le fourrage, la pâture, la pêche, la chasse en général (cfr. Weidgeselle, etc.) et la chasse aux oiseaux en particulier, de même le verbe weidinôn signifiait, paître',, chasser',, gagner au moyen de la chasse', erbeuten. (De là au sens très vivant en anc. français de gagner

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1 Toutefois il n'est pas impossible, malgré les recherches de M. Thomas, qui gardent toute leur valeur pour l'anc. fr. gaïm, qu'à côté de ce gaïm il ait existé un gaain (guaing etc.), au sens de regain ' (ou pâture d'automne ?), qui non seulement expliquerait mieux la présence de ʼn dans les dérivés cités plus haut, mais rendrait compte de plusieurs formes anciennes et modernes que cite Godefroy sous (pré) gaaigneau, pré à deux coupes de foin' (doc. de 1366), c'est sans doute le prẻ guimau de Rabelais, mais dérivé de gaaigner ou de *gaaing. (cfr. pré à rekor). Ajoutons regaaigner v., récolter en regain' (Godefroy), de même dérivation. Un examen des significations semble confirmer cette hypothèse : tous les mots qui se rattachent à la famille de gagner s'emploient dans l'ancienne langue, à côté de leur sens moderne, en parlant de la terre et de ses produits, gaaing lui-même signifie terre labourable'; fruit de la terre',, récolte' (Godefroy), donc ni exclusivement, gain, profit', ni exclusivement, regain', comme le fait croire l'article de M. Thomas. Il y a eu attraction et influence réciproques entre gaaing et gaïm. Ajoutons que regain s'emploie aussi pour seconde fructification du figuier', sens dans lequel on peut voir un reflet de la signification plus générale de récolte'; cfr. toutefois recordon 1. second essaim d'abeilles (Savoie), 2. fruit avorté (Yonne), simples extensions de sens (v. Godefroy).

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au moyen de la guerre, butiner', il n'y avait qu'un pas). Ce radical germanique a passé dans toutes les langues romanes de l'Ouest, de l'italien jusqu'au portugais. Partout dans les textes du moyen âge plus que dans les parlers modernes le mot a gardé une signification agricole; rappelons anc. fr. gaaigner, cultiver la terre',, labourer', avec ses dérivés, par ex. gagnage m. «< culture de la terre, grain », fr. mod., pâturage' (Dict. gén.), anc. prov. guazagnar, cultiver la terre'; espagnol anc. et mod. guadañar, faucher', esp. mod. guadaña f. et port. mod. guadanha f.,, faux, faucille'1, etc., mots auxquels il faudra joindre sans doute le franco-prov. vouin.nyi, semer' ou, labourer et semer' (v. ce mot). Nous n'avons pas à étudier ici toutes ces modifications de sens, en partie très curieuses, du radical germanique; ce qui nous importe, c'est de constater que le sens 2 de notre mot se rapproche le plus de la signification ancienne (et moderne) de l'all. Weide (cfr. repé, repā, paki, patoura, tous de pascere). C'est peut-être le sens primitif de gaïm, regaïm; avec le progrès de l'agriculture, dans ce cas avec l'augmentation du nombre des pièces de bétail à nourrir en hiver, le besoin d'avoir plus de foin en grange aurait amené un changement dans l'exploitation du pré : au lieu de laisser pâturer le bétail après la première coupe on aurait fait d'une façon plus régulière qu'autrefois une seconde récolte de

1 A propos de ces formes hibérico-romanes, qui trouvent leurs correspondants en anc. fr. gaaigne f., en anc. prov. guazanha, terre labou- rable, et en patois romand vouanyè f. pl. semailles; cfr. aussi en anc. italien guadagna f. guadagno' (Petr.) et franç. pop. gagne f., gain' (Sachs-Villatte, Suppl. ; Anjou, Verrier et On.), on peut se demander si c'est partout un simple substantif verbal de la forme romane de *waidanjan purement hypothétique ou si nous n'avons pas plutôt à faire à weida suffixe latin et roman -anea; il se serait ajouté sous l'influence de mots très usités comme montanea, campanea qui exprimaient également l'idée d'une étendue de terrain'. Rappelons aussi la presque identité d'emploi qui existe entre le terme romand de montagne pâturage de montagne, et l'all. Alpweide [cfr. espagnol braña, Sommerweide' que Meyer-Lübke (Rom. Gr. II, 501) tire de veranea].

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foin, et le mot pour l'ancien système aurait été gardé pour le nouveau. Dans ce cas, le sens 1 qui domine actuellement serait dérivé du sens 2 qui, aujourd'hui, a l'air d'être occasionnel (cfr. toutefois les emplois sûrement dérivés de rekor). Pour Encycl. v. rekor.

vouèinè v. B, faire le regain.

3 p. prés. ind. è vouèyan. Pour l'hist. v. vouayïn.

loc. prov. vouèinè dvin fonè (avant de faner) se dit en parlant d'une fille qui a laissé « entamer son capital » avant le mariage (B Bourrignon).

vouèinou (-ouz) s. m. (f) B, celui qui fait le regain.

vouèinėjon f. saison du regain (B Vicques). Dér. de vouèinè, d'après fonéjon.

rouan s. m. regain (N Cerneux-Péq.).

Hist. Le mot n'est attesté que pour cet îlot linguistique; le patois très voisin de Grand'Combe (dép. Doubs) dit également rouan (Boillot), sans doute une variante phonétique de rouin que note l'Atlas aux points assez rapprochés 41 et 31. La forme semble être une réduction vocalique de rveyin qu'on trouve dans la même région (Atlas). La terminaison fait difficulté, car Grand'Combe dit məlïn ̧ moulin', lèpïn ̧ lapin', même lvin levain'. Serait-ce le correspondant de l'anc. fr. regaaing et non de regaïm? v. vouayïn, Hist.

3. rǝgin s. m. V G N, regain.

radyin (Vd Pailly).

Mot très peu usité, importé par le français à côté des formes indigènes rvouayïn et rouan. Dérivés: rgin.nè m.rgingin.nè m.

4. rəfouin s. m. regain (V, fr. pop.), peu attesté, inconnu aux patois, formation remarquable par sa clarté. Pour re, v. ce qui est dit dans l'article hist. sous rekor.

II. TROISIÈME HERBE QUI POUSSE.

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Pour cette idée, la terminologie patoise est beaucoup plus variée et plus flottante que pour le regain, que la Suisse romande, conformément à sa bipartition linguistique, rend par les deux termes consacrés, le rekor au Sud et le vouayïn au Nord. Très souvent les termes que nous étudions sous le titre de troisième herbe' s'entendent tantôt comme fourrage sec (rarement vert), tantôt comme pâture que broute le bétail. Cette indécision d'emploi s'explique en grande partie par l'incertitude matérielle où est le paysan des régions inférieures pour savoir s'il devra couper ou faire pâturer la troisième pousse. Néanmoinsil y a lieu, dans la plupart des cas, d'observer un emploi prédominant. C'est pourquoi nous essayerons de distinguer entre: A. troisième coupe (rekordon, vouaina).

B. pâture d'automne (repas, pâquier, all. suisse Herbstweid).

A. TROISIÈME COUPE.

1. rekordon s. m. second regain (Vd, F, V, N).

rǝkordzon (Vd, F), r(ə)kordjon (N, B Prêles, Plagne), même étendue que rekor, mais beaucoup plus rare. Première mention 1668... manger les rekordons (en parlant du bétail qui entre dans un pré) (Oleyres, A. notar. Avenches).

Herbe qui repousse sur un pré fauché deux fois, le plus souvent en parlant de la troisième coupe de foin (plus rarement d'herbe), quelquefois par opposition consciente à repé (Gruyère) qui ne désigne que l'herbe pâturée. Par contre certains patois du Gros de Vaud et de N emploient le mot au sens de repé: ce pré n'a que du rekordon (Blonay). Par extension herbe tendre' (F Granges de Vesin). On s'attend à une récolte peu abondante: t'arā jami kru kǝ ley usé zu de l'as' byo rékordon, tu n'aurais jamais cru qu'il y eût eu d'aussi beau r. (V Vérossaz). — passer un pré à recordon signifie ̧ acquérir le droit de récolter la dernière herbe d'un pré': ... il lui fut per

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