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dant l'idée de naissance tardive (vache, brebis), v. MeyerLübke, Rom. Wörterbuch, qui indique un domaine qui va de I'Italie jusqu'en Portugal (cfr. Bulletin du Glossaire, IX, 61); 2. comme désignation de regain, c'est-à-dire en gardant toujours l'idée première de maturité tardive. Le territoire occupé par cordum ou recordum = regain, embrasse l'Italie du Nord avec une partie des Grisons, puis la vallée d'Aoste, toute la Savoie et tous les cantons sud de la Suisse romande1. Au point de vue gallo-roman, c'est un vrai mot franco-provençal, sauf qu'il ne paraît pas avoir franchi la chaîne du Jura. En revanche, il a conquis au Nord le plateau de Vauffelin, qui, en général, se rattache par son vocabulaire au Jura bernois (v. vouèyïn). La conservation presque intacte de cordum = regain dans une zone située autour des Alpes suisses et italiennes est une nouvelle preuve pour l'ancienneté du vocabulaire de ces régions. Ce conservatisme est d'autant plus remarquable que le regain n'a rien du tout de particulièrement alpestre, puisque au contraire les pâturages de montagne, si jamais on les fauche, ne permettent qu'une seule coupe (v. Encycl.). -- Quant aux modifications survenues lors du passage du mot latin en roman, notons d'abord les rétrécissements de sens: parmi les végétaux, l'adjectif cordus ne s'applique plus qu'au foin, ce qui se comprend aisément quand on considère que pour les autres produits (blé, raisin, légume) la récolte tardive n'est jamais aussi constante ni aussi importante que pour le foin. La même considération fait comprendre qu'on a fini par supprimer le substantif fænum, l'idée de foin étant devenu inséparable de cordum, qui désormais fut employé comme substantif. Le premier exemple que nous ayons de cet emploi exclusivement roman nous est donné par un document fribourgeois de 1394 où il est question d'un pré qu'on

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1 recordo, recouerdo f. que cite Mistral sous recolto ne sont sans doute que des variantes locales de récolte, cfr. recorto, etc.

2 Tiraboschi ne dit pas de quelle époque sont les Antichi statuti rurali que cite pour cordum M. Salvioni (Postille, p. 6).

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vend au curé de Bulle « avec tous ses droits » : recorto1 seu repasu (Arch. soc. hist. frib. 1882, p. 108). Un autre rétrécissement moins général, c'est que dans les parlers romands actuels au moins, le mot perdant son sens de toute espèce de foin tardif', ne s'applique plus guère qu'à la deuxième coupe de foin, à l'exclusion de la troisième qui est le rekordon. Reste à noter une troisième modification du mot latin: on augmenta le corps du mot par le préfixe re, c'était un renfort imminent' partout, puisque la récolte du regain est une répétition de la fenaison; aussi la plupart des termes gallo-romans pour regain présentent-ils cette formation: regain, rwayin, etc. Franche-Comté, revivre s. m. Midi de la France, reprin Hérault, recoupe Isère, refretson V, rebyolon Vd, reprise V, refoin, redaly Béarn, cfr. all. Nachwuchs, anglais after-gras, after-math, anc. fr. reaoust, double récolte. Observons toutefois que pour aucune de ces transformations le préfixe n'est moins indispensable au point de vue logique que pour notre cordum qui par lui-même contient déjà l'idée de seconde récolte. Aussi le mot simple s'est-il conservé, à Bergamo, à Brescia, dans le Frioul (Salvioni, Postille 6) et sans doute ailleurs. Si le suffixe itératif s'ajouta à cordum dans les autres patois, c'est que, je suppose, l'idée primitive de seconde récolte' s'était affaiblie en faveur de la nouvelle idée de foin' qu'avait adoptée le mot depuis la suppression de fœnum. Il avait besoin d'une régénération, elle s'opéra par le moyen de re qui qu'on me passe cette métaphore rendit au mot son équilibre sémantique. Ainsi comprise, la formation de recordum serait parfaitement analogue à celle de refoin (v. ce mot). Inutile d'ajouter, après les exemples cités plus haut, que re s'unit souvent avec un substantif sans qu'il existe à côté un

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1 Preuve douteuse pour la prononciation du t final comme dentale sourde, plutôt mauvaise latinisation, de même que repassu pour repasto v. repā.

2 On peut supposer un développement semblable pour record, agneau né après terme, que cite Mistral.

verbe correspondant (rappelons reflux, revif (retour de la marée), rebord, recoin, revin; repomata f. petite pomme de terre qui sort d'une nouvelle (V Lens), etc. Le verbe rekordā sera un dérivé de rekor. Dans notre territoire, le mot est muni du préfixe dès sa première apparition (1394).

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Encycl. Le regain, c'est une de ces belles largesses de la Nature dont parle La Bruyère (Caractères, chap. 7). Pour en comprendre l'importance, il faut se rappeler qu'il y a trois façons d'utiliser l'herbe d'une prairie : 1. en la faisant brouter: pâture, all. Weidfutter; 2. en la donnant au bétail comme fourrage vert, all. Grünfutter; 3. en la donnant au bétail comme foin, all. Heufutter. L'application de ces procédés varie à l'infini selon le climat, le temps qu'il fait, la nature du sol, l'altitude du terrain, les degrés d'engraissement, la quantité de bétail qu'on veut nourrir. Sans pouvoir ici tenir compte de toutes ces variétés souvent très locales et même individuelles, on peut distinguer au point de vue du rapport en herbages quatre catégories de terrain gazonné:

I. le pré gras de la plaine (p. ex. Gros de Vaud, Ajoie, etc.), all. Talwiese. Il fournit trois coupes, dont deux de fourrages secs (foin et regain) et une de fourrages verts (le rekordon, vouaina), qu'on peut aussi traiter de foin dans de bonnes années. Il est plus rare que l'herbe pousse une quatrième fois. Dans ce cas, on la fait pâturer par le bétail (repas, all. suisse Herbstweid).

II. le pré de situation plus élevée, environ 700-1100 m., vers la limite des arbres fruitiers (par ex. le Jorat). On l'appelle Bergwiese en allemand, Heugut en patois bernois. Il ne permet plus que deux coupes de foin (foin et regain); ce qui pousse après ces deux récoltes est utilisé comme pâture, qu'on appelle repé, repā, paki, patoura.

III. Le pâturage printanier ou mayen (all. Voralp, Vor

1 Une partie de ce que nous exposons ici sera donné sous foin dans la rédaction définitive du Glossaire.

sass, Untersass, Unterstaffel, Maiensäss, etc.), qui se trouve à une altitude de 1000-1900 m. On y mène brouter le bétail au printemps (mai ou juin), il fournit une seule coupe de foin, en août, qui se conserve dans le fenil. Est-ce du foin ou du regain? Du foin, parce que c'est la première (et seule) coupe, du regain, parce que c'est la deuxième poussée d'herbe. De fait, certains patois valaisans l'appellent reko dou fortin (regain du pâturage printanier), d'autres ouazon ou rekor páturé, v. rekor, cfr. Stebler, o. c., p. 232.

IV. le pâturage de la montagne ou montagne (all. Alp, Alpwiese), il est entièrement brouté, l'herbe n'y pousse qu'une fois l'année, ou si elle repousse, on la laisse se pourrir, c'est le seul engrais qu'on donne à ces pâturages. La récolte du foin sauvage (all. Wildheu) sera traitée à part.

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A la plaine, dans les prés proprement dits (catégories I et II), la récolte du regain s'effectue pendant les mois d'août ou de septembre, ordinairement elle est terminée dans la première quinzaine de septembre, il arrive qu'elle se prolonge jusqu'en octobre; en cas de neige exceptionnellement précoce, on est obligé de recorder' en novembre (Grindelwald). De là la dénomination pour le regain de foin d'automne qu'on trouve déjà en latin: fænum autumnale. - Le plus souvent on compare le regain avec le foin dont il diffère principalement par la moins grande abondance de la récolte: je n'ai pas fait deux chars de rekor cet an, se plaint un correspondant genevois. Le regain ne donne jamais beaucoup, souvent très peu. Ce fait se traduit dans la langue par la fréquence des diminutifs : rekordè m. Vd, vouèna m. B, regin.nè m. N, all. suisse ämdli s. n. et ämdelen v., toujours en parlant d'une petite récolte de regain. La fenaison, au contraire, s'appelle, les grands foins',, les bons foins' (Vd).. - D'autre part on oppose le regain, comme étant de meilleure qualité, au foin appelé, rare' ou, maigre' qu'on fauche une seule fois aux côtes rapides, sans engrais et qui est encore plus court et moins fleuri que le regain (Vd Blonay). — Les qualités qu'on attribue au regain diffèrent beaucoup à Evolène il

est plus indigeste, à Genève il est plus recherché par les vaches que le foin. L'usage de fêter la fin du regain par un repas

en commun, connu sous les noms de ämterledi, ämterwin dans le canton d'Appenzell (v. Idiotikon), paraît faire défaut à la Suisse romande.

rekordè s. m. 1. petit regain (Vd Blonay), 2. troisième coupe d'herbe (Vd Penthalaz).

Etym. *recordittum, de formation ancienne ou tiré du verbe.

rǝkordin adj., v. rekordā v.

rəkordi s. m., pré à regain (V Conthey).

Etym. Dérivé ancien de recordum + aceum, cfr. sèrī (séré) < seraceum.

rekorda v., paraît peu usité. 1. récolter le regain (F Gruyère, Matran); 2. pousser, en parlant du regain (V Vernamiège). De là: rekordin, -in."ta adj. donnant du regain, þró rɔkordin (V Bagne, Entremont).

Etym. *recordare de formation ancienne. Pour la terminaison du participe, cf. tsantin, vindin (Fankhauser, Val d'Illiez 153, etc.). Pour le féminin analogique cf. mooula varinta (Blonay).

Homonymes: 1. apprendre par cœur, 2. corder de nou

veau.

Autres dérivés de rekor: rekordon, rekordvon, rekordnā, v. sous II A.

2. vouayin s. m. B, regain.

(v)ouayin (B Atlas), voèyin (Charmoille), vouäyïn (les Bois). cfr. ouayin, dép. Doubs, Vosges, etc.

1. seconde coupe d'herbe, B. 2. deuxième ou troisième herbe qu'on fait pâturer (Charm., Courfaivre).

1. lèz amour son kman l vouayin, tyain an krè k'èl a pèsè, la vouali ka rvïn, ...quand on croit qu'il est passé, le voilà qui revient (B Epauvillers). 2. botè lé bét e voèyïn, mettre le

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