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14. Croyances et usages divers. Cadeaux: En Valais, l'épouse paye quelquefois la rançon à ses compagnes de jeunesse en leur donnant un mouchoir. Parmi les dons que faisait l'époux à sa conjointe à Neuchâtel mentionnons l'ancienne boîte de senteurs appelée civette. Après la cérémonie, la mariée mettait mystérieusement dans la main de ses amies un ou deux quarterons d'épingles, en retour de quoi elles lui donnaient une pièce d'argent (J. Olivier, Canton de Vaud, I, 357). Les époux donnent deux épingles à tous leurs amis, en outre un mouchoir à leurs parrains et marraines (V Champéry). Le tour de noce, avant la construction des chemins de fer, était une rareté. Depuis, il devient de plus en plus commun. Les couples catholiques se rendent de préférence à Einsiedeln. Au dîner de noces, on présentait le gouzanyon (entamure du pain) à celui qu'on présumait être l'époux suivant, et le papè è Xindre (bouillie mêlée de cendres) à ceux qu'on estimait trop jeunes pour faire l'amour (F). Il ne faut pas se marier au mois des chats (février, Vd Blonay). Revenir sur ses pas, c'est-à-dire revenir de l'Eglise par le même chemin, porte malheur (ib.), de même de rencontrer un enterrement en route ou un cercueil à l'église (passim). Pour s'assurer le bonheur, il faut casser quelque chose dans la maison, le jour du mariage (Blonay). Si l'épouse chante, si on entend des pleurs d'enfants, il n'y aura pas de progéniture. La bise annonce que le mari mourra d'abord, le vent que ce sera la femme, ou vice-versa. La bise assure en outre le pouvoir à monsieur, le vent à madame. La pluie indique la prospérité du nouveau ménage: il aura des enfants, de bonnes vaches laitières, etc. Si l'un des cierges brûle plus vite que l'autre à la messe nuptiale, la vie du conjoint. le plus rapproché de ce cierge est menacée. Il est néfaste d'essayer le voile et la couronne avant la noce, l'époux doit se garder de cracher dans le cendrier avant de se marier. Marcher sur la traîne d'une dame signifie qu'on sera invité à sa noce (G, N).

Pour ce qui concerne le trousseau, voir tròsi; pour les expressions par lesquelles mari et femme se désignent mutuellement, voir mari; pour mégère, voir fena; pour l'épouse de mai, voir mé. L. GAUCHAT.

LE REGAIN ET LA PATURE D'AUTOMNE

DANS LES PATOIS ROMANDS

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Articles-spécimens du Glossaire.

Ne parlez pas à un grand nombre de bourgeois, ni de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regain, si vous voulez être entendu; ces termes pour eux ne sont pas français :.... ils ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses dons et ses largesses. LA BRUYÈRE.

Nous essayons de combiner, dans cet article, le point de vue lexicologique et le point de vue onomasiologique, soit la question de savoir par quels mots les patois expriment les différentes espèces de récolte tardive. Il y en a deux espèces principales qui seront traitées l'une après l'autre :

I. le regain proprement dit (deuxième coupe d'herbe). II. troisième herbe qui pousse (deuxième regain), qui se subdivise en:

A. troisième coupe;

B. pâture d'automne.

Remarques. 1. Dans chacune de ces divisions sémantiques l'ordre des mots se détermine par leur vitalité. 2. Le sigle du canton imprimé en caractères gras (Vd) indique que le mot, la forme ou le sens en question est particulièrement bien attesté pour ce canton.

I. LE REGAIN PROPREMENT DIT.

1. rəkọr s. m. regain (Vd, F, V, G, N).

r(e)kor (Vd Alp. moins Pays-d'Enhaut, F Sugiez, N Landeron Atlas, B Péry Atlas, Plagne), rekor (Vd Auberson), rǝkó̟ (V, Vd, N), rǝkò̟ (Vd, V Vionnaz Gill., Liddes),

rékouă (Vd Blonay), rekoua (F, Vd), rekouar (Vd Paysd'Enhaut), rǝkouä (Vd Joux, Vallorbe), rǝkou (G, V Lens, Anniviers), rego (V Grône, forme suspecte), rkouó̟ (N Montagne), rèkò̟ (V Lourtier). Pour le timbre de la voyelle accentuée, cfr. mort, corps, fort, sourd, etc.

1. seconde coupe d'herbe. 2. pré clôturé où l'on récolte le regain (emploi vieilli).

1. Le plus souvent le mot désigne d'une façon concrète la masse d'herbe verte ou séchée, on dit faucher, faner, rentrer, être après le rekor, on parle d'un char, d'un tas de rekor. Quand il pleut à la mi-oû, ya prou raves et prou recou (G Humbert). fun e rékouar désigne toute la récolte d'un pré (Vd Etivaz). on pró a fin e rǝkor est un bon pré (Vd Corbeyrier). A côté de faire le rekor, on trouve fréquemment faire les recors, déjà attesté en Valais pour 1454 (collection Iselin). Pour l'emploi du pluriel, cfr. faire les foins, les moissons, les vendanges, les semailles, aussi en patois lè vouanyè; a to dja tui fé tou réko ? as-tu déjà fait tous tes rekors? (V Vérossa z) me semble indiquer qu'occasionnellement le mot peut se prendre au sens de « parcelle de pré qui donne du regain », sens qui justifie mieux l'emploi du pluriel. Dans certaines tournures, le mot a un caractère verbal, il fait songer aux opérations de la récolte: au temps des rekors, aux rekors dant la récolte du regain, de même dans la phrase: le rekor se fait après le foin.

pen

Extensions de sens: herbe pâturée pour la seconde fois (V Lens), rko du fortin herbe coupée dans des prés pâturés au printemps (V Bagnes, Evolène). Cette herbe s'appelle ouazon dans les Alpes vaudoises et rekoua pavǝrå en Gruyère, Ätzheu en allemand (Stebler, Alp- und Weidewirtschaft, 232). De même qu'on entend dire, couper le foin', on parle de << faucher de rekor », où le mot signifie proprement, seconde herbe destinée à être séchée'. 2. A l'époque où les terres non encloses étaient ouvertes à tous [droit de parcours, on disait

korè la rekoug, courir les terrains à regain (Vd Vaulion), moyennant rétribution à la commune et au seigneur (Blonay)], chaque communier n'avait à clos, c'est-à-dire exempt du droit de parcours, qu'un terrain de médiocre grandeur, voisin de sa maison et planté d'arbres fruitiers, qui permettait d'y faire une seconde coupe. C'était le pré à rekor, ou le rekor tout court. (Pour le procédé, cfr., un vapeur' pour, un bateau à vapeur'). Cet emploi du mot, qui tend à disparaître, n'est attesté que pour Vd (Gros de Vd, Blonay, C. V. 92, 15); ié fé on étan por égaii mé recor d'amon et d'avo, ...pour arroser mes prés d'enhaut et d'enbas (Corbaz, 130). Probablement le même sens dans les phrases: du ka n'in lo być.... mè vé férè siyi lo gran rekor, puisque nous avons le beau temps, je vais faire faucher le grand pré à regain (C. V. 73, 29) et l'an sédə (1816) lé rékoud l'avan pourai dézo la nãi, avaient pourri sous la neige (Blonay; cfr. sous 1 le sens de parcelle de pré). Dans un document de 1447, on trouve déjà un lieu-dit Pré dou Recor, et plus tard, plus souvent prés à record. A partir du milieu du 18e s., nous raconte Mme Odin (sous parkou), les propriétaires demandèrent, l'un après l'autre, à pouvoir entourer leurs prés d'une clôture. C'est ainsi qu'on vit le pays se couvrir de haies, aujourd'hui arrachées. L'expression consacrée par les actes était passer (ou réduire) tel pré à clos, record et recordon, attestée par ex. pour 1758, 1778 (coll. Millioud), v. autre exemple sous rekordon. On trouve en outre : tout le mas de Six-Fontaines fut réduit à clos, record et recordon, moyennant la somme de 750 florins, 1723 (Baulmes, Mém. Doc. Suisse rom. XIII, 135). Lesieux-dits sans le mot pré' sont fréquents, par ex. Recors Signy 1418, ouz Recor Alens 1491, ou simplement au Record, en Record, prés et champs de la commune de Montricher (Vd; cadastre 30, 35, année 1843). C'est ici qu'il faut ranger sans doute le vers 125 du Conte du Craizu (18e siècle) ...l'étion ti quie au dessu d'on recor, ils étaient tous là au haut d'un tertre (?) (éd. Gauchat). Comme il s'agit de toute la jeunesse d'un village, le sens de tas de regain', attesté nulle part du reste, me semble

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exclu et par l'étroitesse de la place et par la culbute prolongée que fait le vilain corps avec l'objet de sa tendresse. Quant au sens de tertre, M. Gauchat ne l'a pas trouvé avec certitude dans les patois vivants en question, il se rattacherait du reste difficilement à l'idée de rekor. Ces difficultés disparaissent si nous supposons qu'il s'agit d'un pré à rekor qui était en pente. Cfr. l'exemple tiré de Corbaz. - Composé mǝdz-rékou₫ m. espèce de sauterelle (Blonay), v. ce mot.

Homonymes: rekor 1. recours (v. cependant Blonay), 2. recors, agent (de recorder).

Hist. Le mot vient du radical latin représenté par l'adjectit CORDUS (CHORDUS)1, qui exprime d'une façon générale l'idée de « maturité ou de naissance tardive ». Cfr. all. Nachwuchs, Spätgeburt. Il s'applique en latin aux végétaux aussi bien qu'aux animaux. Le Thesaurus cite des exemples pour frumentum cordum, du blé tardif; uvae cordae du raisin tardif; olus cordum, plante potagère de l'arrière-saison et d'un autre côté agnus cordus, agneau né après le terme normal. Que signifie fænum cordum? Il a le sens plus général de foin récolté après l'époque, de la fenaison, foin tardif, foin d'automne, appelé aussi fænum autumnale; il comprend le rekor et le rekordon et se traduirait le plus exactement par l'allemand Spätheu. Columelle, auteur latin agricole, vante à plusieurs reprises la finesse et la délicatesse de ce foin; on le donnait à manger aux brebis grecques, race particulièrement délicate qui demandait beaucoup de soins; mêlé avec de la paille très propre, il servait de litière aux poules. On employait la faucille, non la faux, pour le couper (v. Thesaurus). Le radical de cordus s'est conservé dans les langues romanes 1. comme désignation de pièce de bétail (agneau, veau), souvent en per

1 M. J. Jud a choisi ce mot comme sujet d'un article-spécimen qu'i! publiera dans le prochain fascicule de l'Archiv f. d. St. der neueren Sprachen, à propos d'un compte-rendu qu'il donnera du Rom. Wörterbuch` de M. Meyer-Lübke.

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