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vent bénis par leurs père et mère (B). Quelques-uns font bénir le lit nuptial. La superstition ne manquait pas autrefois de troubler la solennité du moment. Pendant le mariage, les époux se tiennent par la main devant la table de la cène. On croyait qu'il fallait en cet instant emprisonner la main de son conjoint pour être maître dans le ménage. Cette croyance populaire donnait lieu jadis à des luttes très comiques (Vd).

9. Dans la Plaine du Rhône, partie vaudoise, et les Ormonts, s'est conservée une très vieille coutume, celle de jeter des grains de céréales, ou à défaut de riz, sur la tête de l'épouse et sur tout le cortège de noce. Traces de ce rite dans d'autres parties du canton: Savigny, Penthalaz, et dans les cantons de Fribourg (Gruyère), et Genève (Dardagny). Cela se fait à présent durant le parcours de l'église à la maison nuptiale (de l'époux) par toutes les femmes qui s'y prêtent. Dans le temps, cette coutume ne concernait que l'épouse et se pratiquait au moment où elle arrivait devant sa nouvelle demeure. La (vieille) femme désignée pour accomplir cette fonction était une parente ou une amie intime de la famille et portait le nom de bèrnāda. L'opération même s'appelait bèrnaklyo (non bèrnadzo, comme le dit Mme Odin, voir ces mots). Ce rite existait déjà chez les vieux Grecs (καταχύσματα), οἱ l'on couvrait l'épouse, au moment même du mariage, d'une pluie de dattes, figues, noix, menues monnaies. M. E. Samter, Familienfeste der Griechen und Römer, 1901, y voit un sacrifice pour concilier les démons, M. van Gennep (0. c. au § 4) un rite de fécondation. C'est bien en ce dernier sens que le bernaklyo est interprété par nos populations. Bridel ajoute (sous bernada) qu'après cette cérémonie une autre femme (à l'origine sans doute la belle-mère) présente à l'épouse les clefs, emblème de son nouveau pouvoir; ailleurs il est parlé d'une louche (cfr. van Gennep, o. c. p. 49 ss. rite d'entrée).

A présent, ce sont au contraire les enfants et les pauvres assistant au défilé du cortège qui sont aspergés de dragées, de pièces de monnaies, etc., nommés tsèrpəlyə (Vallorbe), nãy (Berne), sourts (Genève). La dépendance de cette coutume de

celle que nous venons de nommer est démontrée surtout par le nom qu'on lui donne dans le canton de Genève, où les enfants crient: lé pir a barnå, comp. à Messery (Savoie): tri la pirra à Barnada tirer la pierre à Bernarde (van Gennep, o. c. p. 39).

A Longirod (Vd) les enfants du village se rendent après le mariage religieux chez l'époux et chez l'épouse ensuite en chantant:

La matsèt, la motsèt, lo krotson,

Po lo bon bovairon!

La michette, le morceau de pain, pour le bon petit bouvier ! Là-dessus la cuisinière sort avec un paillasson plein de « bricelets » qu'elle distribue aux enfants. Quelquefois elle ajoute un morceau de pain et de jambon et un verre de vin.

10. Lorsqu'un jeune homme sort de la compagnie des garçons de son village pour se marier, il est rançonné par la société, à laquelle il doit payer une somme très variable, qui dépend de sa position sociale et de celle de sa future, du nombre des sociétaires et des traditions locales. La hauteur de la somme est souvent longuement débattue, comme dans une foire. Les abus n'ont pas manqué. « A Dombresson (N) la société des garçons exigea d'une fille Fallet, riche de 22 000 écus, un louis d'or par 1000 écus (509 fr.) » (Musée neuch. XXVII, 214). Plusieurs de nos correspondants indiquent la somme qu'ils ont dû verser: 50, 100 fr. 1 Si le fiancé refuse de payer, il était de coutume autrefois de lui faire un charivari, appelé tsèrivari (tsarvari, tsavalèri, tchèribèri, etc., voir sous tsèrivari) pendant la nuit de noce et les quinze jours suivants, même au delà. Il est arrivé que la jeunesse, frustrée par un époux trop avare ou trop fortement taxé, se soit laissé entraîner à dévaster ses biens. Malgré les ordonnances de police très sévères à l'égard des charivaris, ceux-ci se produisent encore de temps à autre. La rançon se nomme sortie, sémèsè (F et Vdi

On trouve plusieurs mentions de ces sommes dans le Cont. vaud. no 40 de 1900, article Les Jeunesses.

proprement << vin d'honneur »), bou.n indalaye (F, litt. « bonne en-allée »), pia de buǝ (B, litt. « pieds de bœuf »). Nous n'avons pas réussi à éclaircir le mystère de cette dernière appellation. Elle se rattache probablement à un rite disparu, comp. celui du ferrement mentionné par Scheffler (Franz. Volksdichtung u. Sage, I, 194) d'après Champfleury pour le Poitou, et qui consiste à ferrer le pied d'un léger coup de marteau, aux époux et aux conviés, le lendemain de la noce.

C'est en Valais que les choses se passent le plus simplement: l'époux paye à boire à la jeunesse jusqu'à un litre par tête. Dans le canton de Vaud, on y met plus de formes. Voici comme notre correspondant du Vully décrit la coutume: « Quelque temps avant le mariage, la compagnie des garçons fait annoncer à l'époux qu'une délégation de la Société ira le trouver. Au soir convenu, celui-ci la reçoit ordinairement chez sa fiancée; deux ou trois garçons arrivent, apportant deux ou trois bouteilles, qu'ils offriront à la société. L'un des délégués débite un petit compliment à l'adresse des époux et indique en même temps le motif de sa visite, etc. »

L'époux est surtout taxé s'il choisit sa femme dans un autre endroit que celui qu'il habite. Au temps où chaque village formait un microcosme, hostile à son entourage, emmener une jeune fille hors de la commune était considéré comme une espèce de rapt.

Le paiement de la rançon donne ou donnait lieu au rite du barrage, en patois barādzo (Vd et F), èrāt (B, litt. une arrête); verbes : barā, (è)rātä. Si l'épouse est d'un autre village, c'est lorsqu'elle est emmenée qu'elle trouve sa route barrée; si les conjoints habitent le même endroit, c'est ordinairement à la sortie de l'église qu'on les arrête. On emploie à cet effet des perches, des chaînes, des cordes, plus récemment des rubans ou même une guirlande en papier (F Broye). Anciennement, on allait jusqu'à former de véritables barricades, en plusieurs endroits où le cortège devait passer, ce qui provoqua des interdictions de la part des gouvernements; voir Jeanjaquet, Mandement neuchâtelois de 1596 interdisant de « barrer » les époux,

se

dans les Arch. s. trad. pop. VIII, p. 225. Dans ses détails, l'usage, abandonné dans beaucoup de contrées, varie de lieu en lieu. A Leysin (Vd), l'époux saute la chaîne tendue devant la porte de l'église, paye la rançon ou offre du vin aux garçons pour leur faire enlever la chaîne et laisser passer l'épouse. Dans cet endroit, chauta la tséna est devenu synonyme de marier. Souvent les garçons offrent une petite collation et adressent quelques paroles de félicitation aux époux en échange du cadeau d'argent qu'ils vont recevoir. (Ce sont eux aussi qui se chargent des coups de feu mentionnés au § 7). La rançon payée, le ruban est coupé ou enlevé, l'obstacle ôté, et le cortège continue son chemin.

Le rite du barrage a dans beaucoup de contrées dégénéré en jeu d'enfants, qui tendent un ruban pour avoir leurs bonbons, cfr. § 9.

Par confusion, les termes désignant la rançon et le barrage sont souvent pris les uns pour les autres. Pieds de bœuf est aussi le nom d'une chanson que les garçons de l'Ajoie (B) vont encore chanter devant le domicile de l'époux, la veille de la noce ou le soir du mariage. C'est un petit dialogue d'amour dont on trouve le texte dans les Chants patois jurassiens de M. Rossat, Arch. s. trad. pop. V, p. 222 ss. Dans les Alpes vaudoises, la jeunesse donne souvent une sérénade à l'époux, ce qu'on appelle dzui lé-j óbarde (« aubade »). Sur le barrage comp. Daucourt, Arch. s. trad. pop. 1, p. 97; E. HoffmannKrayer, Knabenschaften und Volksjustiz in der Schweiz, ib. VIII, p. 97 ss.; van Gennep, o. c. p. 43 ss., où sont rapportées les réponses de différents correspondants savoyards à un questionnaire ad hoc; Blavignac, Empro gen., p. 168; E. Samter, Geburt, Hochzeit u. Tod, p. 162 ss., où il est question de coutumes analogues dans les divers pays d'Europe, l'Inde, etc.

11. Il ne reste pas grand'chose chez nous du rite de rapt anciennement très répandu chez tous les peuples. Le doyen Bridel raconte que quelques jeunes gens cachés dans une grange située sur le parcours du cortège nuptial s'efforçaient d'enlever l'épouse, défendue par les tsèrmalai. M. Gabbud

cite de sa contrée (V Bagnes) la coutume de cacher la mariée, qui se prête de bonne grâce à ce jeu, mais qui est toute contente d'être retrouvée par son conjoint (Arch. s. trad. pop. V, 49). Pour le Jura bernois, M. Daucourt relate le remplacement de l'épouse par une vieille femme postée dans la demeure de l'époux et qu'il faut enlever de force (ib. I, 97). Comp. làdessus Samter, o. c. p. 98 ss. (la fausse épouse doit tromper les mauvais esprits qui se rabattent sur elle).

12. Au banquet de noce, on sert les mets les plus friands du pays: jambon fleureté et enrubanné, merveilles, crotelles, etc. Le beurre était souvent façonné en forme d'église. La rǝtya (<< rôtie ») était un potage légèrement capiteux où l'eau était remplacée par du vin blanc, mets spécial du matin d'un jour de noces (Vd Ormonts). On a conservé le souvenir de repas extraordinairement plantureux, entre autres d'un qui dura trois jours, en Gruyère (1695, cfr. Valais romand, 15 févr. 1897); le premier jour fut pour les vieux, qui banquetèrent pendant huit heures, le second pour les jeunes, le troisième pour les pauvres, au nombre de 75! Dans le canton de Neuchâtel, l'épouse offrait une collation, appelée tǝrya-fær (litt. « tirée-dehors >>) à ses parents et amis avant de se rendre à l'église.

13. Pendant le repas et après qu'ils se sont retirés, les mariés étaient souvent en butte à toutes sortes de taquineries: allusions à leur premier enfant, on démonte leur lit, coud les draps, et autres grossièretés du « bon vieux temps », mais ce qui pouvait leur arriver de pis, c'était qu'on les forçât à manger l'ofa ou la soupa foraya. Les tsèrmalāi pénétraient de force dans la chambre nuptiale et leur offraient un potage au vin, très épicé. Malheur à ceux qui essayaient de se soustraire à cette épreuve. La coutume ne nous est attestée que pour le canton de Vaud, où elle doit encore se pratiquer secrètement, malgré les interdictions réitérées, sur lesquelles cfr. J. Olivier, Cant. de Vaud, p. 356-357; Cérésole, Nos fêtes de jadis (Au foyer rom. 1899, p. 147; il y est aussi question des charivaris, p. 153 ss.). M. van Gennep, o. c., y voit un rite fécondateur. La coutume existe aussi dans les pays allemands (Brautsuppe).

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