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le foient eux-mêmes. Il ne s'agit ici que de quelques propofitions fur lesquelles je vous conjure de m'éclairer, et de me faire favoir le fentiment de ceux de vos pères qui s'adonnent à la philofophie.

1o. Je voudrais favoir fi vos philofophes qui ont lu attentivement Newton, peuvent nier qu'il y ait dans la matière un principė de gravitation qui agit en raison directe des maffes, et en raifon renverfée du quarré des distances: il ne s'agit pas de favoir ce que c'eft que cette gravitation; je crois qu'il eft impoffible de connaître jamais aucun premier principe. Mais DIE U a permis que nous puiffions calculer, mefurer, comparer avec certitude. Or il me paraît qu'on peut être auffi certain que la matière gravite felon les lois des forces centripètes, qu'il eft certain que les trois angles d'un triangle quelconque font égaux à deux droits.

2o. On a regardé comme impie cette propofition: Nous ne pouvons pas affurer qu'il foit impoffible à DIEU de communiquer la pensée à la matière. Je trouve cette propofition religieuse, et la contraire me semble déroger à la toutepuiffance du Créateur. Ceux qui me condamnent, me reprochent de croire l'ame mortelle. Mais quand même j'aurais dit, l'ame eft matière, cela ferait bien éloigné de dire, l'ame périt.

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Car la matière elle-même ne périt point. Son étendue fon impénétrabilité, fa néceffité d'être configurée et d'être dans l'espace, tout cela et mille autres chofes lui demeurent après notre mort. Pourquoi ce que vous appelez ame ne demeurerait-il pas ? Il eft certain que je ne connais ce que j'appelle matière, que par quelqu'une de fes propriétés. Je connais même ces propriétés très-parfaitement. Comment puis-je donc affurer que DIEU toutpuissant n'a pu lui donner la pensée ? DIE U ne peut pas faire ce qui implique contradiction; mais il faut je crois être bien hardi pour dire que la matière penfante implique contradiction.

Je fuis bien loin de croire que je puisse affirmer que la pensée eft matière. Je suis bien loin auffi de pouvoir affirmer que j'ai la moindre idée de ce qu'on appelle esprit.

Je dis fimplement qu'il me paraît auffi poffible que DIEU faffe penfer la fubftance éten-. due, qu'il me paraît poffible que DIEU joigne un être étendu à un être immatériel.

Dans le doute, ce qui me fait pencher vers la matière le voici :

Je fuis convaincu que les animaux ont les mêmes fentimens et les mêmes paffions que moi; qu'ils ont de la mémoire; qu'ils combinent quelques idées. Les cartéfiens les appelleront

machines qui ont des paffions, qui gardent vingt ans le fouvenir d'une action, et qui ont les mêmes organes que nous. Comment les cartéfiens répondront-ils à cet argument-ci?

DIEU ne fait rien en vain ; il a donné aux bêtes les mêmes organes de fentimens qu'à moi; donc fi les bêtes n'ont point de fentiment, DIE U a fait ces organes en vain.

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Les cartéfiens ne peuvent éluder la force de ce raifonnement, qu'en difant que DIEU faire autrement les organes de la vie des bêtes, qu'en les fefant conformes aux nôtres. Ils me répondront que DIEU m'a donné une ame pour flairer par mon nez et pour ouir par mes oreilles, et que le chien a un nez et des oreilles, feulement parce que cela était néceffaire à fa vie.

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Or cette réponse est bien méprisable; car y a des animaux qui n'ont point d'oreilles, d'autres n'ont point de nez, d'autres font fans langue, d'autres fans yeux: donc ces organes ne font point néceflaires à la vie ; donc ce font des organes de fentimens ; donc les bêtes fentent comme nous.

Maintenant, pourra-t on affurer qu'il foit impoffible à DIE U d'avoir donné le fentiment à ces fubftances nommées bêtes? non, fans doute; donc il n'eft pas impoffible à

DIEU d'en avoir autant fait pour nous. Or il est vraisemblable qu'il en a agi ainfi pour les bêtes; donc il n'eft pas hors de vraisemblance qu'il en ait agi ainfi pour nous.

Je viens aux pensées de M. Pafcal. Je remarquerai d'abord que je n'ai jamais trouvé perfonne en ma vie qui n'ait admiré ce livre, et que depuis trois mois plufieurs perfonnes prétendent qu'ils ont toujours pensé que ce livre était plein de fauffetés.

Mais venons au fait. Ma grande difpute avec Pafcal roule précisément fur le fondement de fon livre.

Il prétend que pour qu'une religion foit vraie, il faut qu'elle connaisse à fond la nature humaine, et qu'elle rende raifon de tout ce qui fe paffe dans notre cœur.

:

Je prétends que ce n'eft point ainsi qu'on doit examiner une religion, et que c'eft la traiter comme un fyftême de philofophie; je prétends qu'il faut uniquement voir fi cette religion eft révélée ou non, et qu'ainfi il ne faut pas dire les hommes font légers, inconftans, pleins de défirs et d'impuissance; les femmes accouchent avec douleur, et le blė ne vient que quand on a labouré la terre ; donc la religion chrétienne doit être vraie. Car toute religion a tenu et peut tenir le même langage.

Mais il faut au contraire dire fi la religion chrétienne a été révélée; alors nous verrons la vraie raison pourquoi les hommes font faibles, méchans; pourquoi il faut femer, &c.

Mon idée eft donc que le péché originel ne peut être prouvé par la raifon, et que c'eft un point de foi. Voilà pourtant ce qui a foulevé contre moi tous les janféniftes.

A U ME ME.

1 7 3 5.

MON TRÈS-CHER ET REVEREND PERE,

L'INALTERABLE amitié dont vous m'honorez, est bien digne d'un cœur comme le vôtre; elle me fera chère toute ma vie. Je vous fupplie de recevoir les nouvelles affurances de la mienne, et d'affurer auffi le père Porée de la reconnaiffance que je conferverai toujours pour lui. Vous m'avez appris l'un et l'autre à aimer la vertu, la vérité, et les lettres. Ayez auffi la bonté d'affurer de ma fincère eftime le révérend père Brumoy. Je ne connais point le père Moloni, ni le père

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