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main du bourreau: ainsi la police arrache aux tribunaux des coupables qui mériteraient d'être punis; mais comme ces jeunes gens sont soustraits à la société, qu'ils n'y rentrent que quand leurs fautes sont expiées et qu'ils sont corrigés, la société n'a point à se plaindre de cette indulgence.

On fera seulement la remarque qu'il n'y a guère de pendus que dans la classe de la populace: le voleur de la lie du peuple, sans famille, sans appui, sans protection, excite d'autant moins la pitié, qu'on s'est montré indulgent pour d'autres.

On enlève tous les mois, sans beaucoup de façons, et sur le simple ordre d'un commissaire, trois à quatre cents femmes publiques; on met les unes à Bicêtre pour les guérir, les autres à l'hôpital pour les corriger. Celles qui ont quelque argent se tirent d'affaire.

On voit passer toutes ces créatures, un certain jour du mois, devant le juge de police, seul juge en cette matière; elles lui font une révérence ou lui disent des injures; et il ne fait que répéter gravement: A l'hôpital, à l'hôpital.

Cette partie de notre législation est très-vicieuse, parce qu'elle est très-arbitraire : en effet, le secrétaire du lieutenant de police détermine seul l'emprisonnement, et sa durée plus ou moins longue. Les plaintes sont ordinairement portées par les gens du guet, et il est bien étonnant qu'un seul homme dispose ainsi de la liberté d'un si grand nombre d'individus. L'opprobre dans lequel ils sont tombés ne justifie pas cette violence; il serait facile de suivre une partie de la procédure usitée dans les cas cri minels, puisqu'il s'agit de la perte de la liberté; des filles innocentes, et que la timidité empêchait de répondre, se sont quelquefois trouvées confondues avec ces malheureuses.

Le lieutenant de police exerce de même un empire despotique sur les mouchards qui sont trouvés en contravention, ou qui ont fait de faux rapports: pour ceux-là, c'est une portion si vile et si lâche, que l'autorité à laquelle ils se sont vendus a nécessairement un droit absolu sur leurs personnes.

Il n'en est pas de même de ceux qui sont arrêtés au nom de la police ils ont pu commettre des fautes légères; ils ont pu avoir des ennemis dans cette foule d'exempts, d'espions et de satellites, que l'on croit sur leur parole. L'œil du magistrat peut être incessamment déçu, et l'on devrait remettre à un examen plus sérieux la punition de ces délits; mais Bicêtre engloutit une foule d'hommes qui s'y pervertissent encore, et qui en sortent plus méchants qu'ils n'y étaient entrés. Avilis à leurs propres yeux, ils se précipitent ensuite dans les plus grands désordres.

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Je le répète, cette partie de notre législation est dans un chaos affreux elle ressemble presque à celle qui détermine l'enlèvement des pauvres; mais on ne songe seulement pas à remédier à ces lois abusives, qui se sont formées sous l'œil des tribunaux légitimes sans qu'on puisse en connaître la validité, la sanction, ni l'origine.

Il y a des moments où la police se relâche incroyablement, et c'est après quelques accidents célèbres qu'elle reprend sa vigueur.

On cache et l'on étouffe tous les délits scandaleux, et tous les meurtres qui peuvent porter l'effroi et attester l'invigilance des préposés à la sûreté de la capitale.

On enterre par ordre de la police les suicides, après la descente et le procès-verbal d'un commissaire; et l'on fait sagement si on publiait la liste, elle serait effrayante.

Les accidents qui arrivent sur le pavé de Paris, ou par les voitures publiques, ou par la chute des tuiles, ou dans les bâtiments, sont de même ensevelis dans le silence. Si l'on tenait registre fidèle de toutes ces calamités particulières, l'épouvante ferait regarder avec horreur cette ville superbe. C'est à l'HôtelDieu, c'est à la Morgue, que l'on aperçoit les nombreuses et déplorables victimes des travaux publics, et d'une trop nombreuse population.

Au reste, c'est un terrible et difficile emploi, que de conte

nir tant d'hommes livrés à la disette, tandis qu'ils voient les autres nager dans l'abondance; de contraindre, dis-je, autour de nos palais, de nos demeures brillantes, tant de malheureux pâles et défaits, qui ressemblent à des spectres, tandis que l'or, l'argent, les diamants remplissent l'intérieur de ces mêmes demeures, et qu'ils sont violemment tentés d'y porter la main pour apaiser le besoin qui les tue.

L'extravagance et la dissipation du luxe diminuent peut-être à leurs yeux la honte et l'injustice du vol.

Une audience du lieutenant de police est fort divertissante : on lui fait toutes sortes de plaintes et de demandes; on l'approche, on lui dit un mot à l'oreille; il répond par une phrase banale; il prend des placets dans trois antichambres : les mains du secrétaire ou du commis peuvent à peine les contenir. La populace occupe la dernière salle, et l'appelle en tremblant Monseigneur; ce dernier rang est promptement expédié.

Si ce magistrat voulait communiquer au philosophe tout ce qu'il sait, tout ce qu'il apprend, tout ce qu'il voit, et lui faire part de certaines choses secrètes dont lui seul est à peu près bien instruit, il n'y aurait rien de si curieux et de si instructif sous la plume du philosophe: le philosophe étonnerait tous ses confrères. Mais ce magistrat est comme le grand pénitencier: il entend tout, ne rapporte rien, et n'est pas étonné de certains délits au même degré que le serait un autre homme. A force de voir les ruses de la friponnerie, les crimes du vice, les trahisons secrètes, et toute la fange impure des actions humaines, ce magistrat a nécessairement un peu de peine à croire à la probité et à la vertu des honnêtes gens. Il est dans un état perpétuel de défiance, et au fond il doit posséder ce caractère-là; car il ne doit rien croire d'impossible, après les leçons extraordinaires qu'il a reçues des hommes et des événements, et sa charge lui commande un doute sévère.

VI.

Abbés.

Paris est rempli d'abbés, clercs tonsurés, qui ne servent ni l'Église ni l'État, qui vivent dans l'oisiveté la plus suivie, et qui ne font que des inutilités et des fadaises.

Robinson Crusoe dit qu'on gâte souvent un excellent corps de crocheteur, en masquant d'un habit ecclésiastique ses membres souples et nerveux. Mais c'est un sauvage qui parle.

Dans plusieurs maisons, on trouve un abbé à qui l'on donne le nom d'ami, et qui n'est qu'un honnête valet qui commande la livrée; il est le complaisant soumis de madame, assiste à la toilette, surveille la maison, et dirige au dehors les affaires de monsieur. Ces personnages à rabat se rendent plus ou moins utiles, caressent leur protecteur pendant plusieurs années, afin d'être mis sur la feuille.

Ils y parviennent, et en attendant ils jouissent d'une bonne table et des petits avantages qui se rencontrent toujours dans une maison opulente.

La femme de chambre leur dit tout ce qui se passe; ils sont instruits des secrets du maître, de la maîtresse et des valets.

Ensuite viennent les précepteurs, qui sont aussi des abbés. Dans les maisons de quelque importance, on ne les distingue guère des domestiques. Pendant le cours de l'éducation, on les ménage un peu : dès qu'elle est finie, on leur donne une pension modique, ou on leur fait avoir un bénéfice; puis on les congédie. Le peu d'estime qu'on leur accorde est cause qu'ils négligent leurs élèves; mais comment s'est-on imaginé qu'un mercenaire, pour douze cents francs par an, vous formera un homme, tandis qu'il a là la tâche la plus difficile et la plus incertaine ? D'ailleurs, nemo dat quod non habet; il n'y a qu'un homme supérieur qui puisse réellement donner des senti

ments à un autre être, et réformer son ingrate ou perverse nature.

On voit, sous les noms d'abbés, beaucoup de petits hussards, sans rabat ni calotte, avec un petit habit à la prussienne, des boutons d'or, et chapeau sous le bras, étaler une frisure impertinente et des airs efféminés. Piliers de spectacles et de cafés, ou mauvais compilateurs de futiles brochures, ou faiseurs d'extraits satiriques, on se demande comment ils appartiennent à l'Église; car on ne devrait appeler ecclésiastiques que ceux qui servent les autels. Ils n'en usurpent pas moins ce nom, parce que de temps en temps ils en portent l'habit.

Au grand scandale de la religion, tout cela se souffre; et pourquoi? Je n'en sais rien. Prend l'habit qui veut, et mêm e sans tonsure.

On ne leur permettait pas, il y a vingt-cinq ans, d'aller voir des Laïs; la courtisane qui les dénonçait au commissaire avait cinquante francs, qui lui étaient payés par *****. Cette odieuse inquisition, qui réunissait le double vice de la perfidie et du scandale, a cessé.

VII.

Évêques.

Les évêques violent facilement et sans remords la loi de la résidence, en quittant le poste qui leur est assigné par les saints canons. L'ennui les chasse de leurs diocèses, qu'ils regardent comme un exil. Ils viennent presque tous à Paris, pour y jouir de leurs richesses, et, mêlés dans la foule, y trouver cette liberté qu'ils n'ont pas dans le séjour où la bienséance les force à la gêne de la représentation.

On leur en fait un crime: mais à quoi servirait l'opulence, si elle n'ouvrait à chacun la carrière de ses goûts? Remettez-les à la fortune des apôtres, et vous les verrez sédentaires. On dira :

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