Page images
PDF
EPUB

telles ou telles productions justement méprisées, ce qui peut s'y rencontrer d'esprit ; le titre du Recueil auroit alors du sens, puisque le volume contiendroit réellement l'esprit, et tout l'esprit de tel écrivain. Il est vrai qu'on seroit quelquefois obligé de faire le volume bien petit; mais on pourroit remédier à cela en mettant ensemble l'esprit de plusieurs auteurs. Quelle idée de nous donner un Esprit de Marivaux, de Fontenelle, de Montesquieu! Ils n'en ont que trop dans leurs ouvrages, et ce n'est pas la peine de l'extraire. Donneznous l'esprit des sots écrivains : ce sont eux qu'il faut mettre à l'alambic.

Au reste, on a comparé le Génie de Bossuet au Recueil des Pensées de Pascal, et cette comparaison est assez juste; mais les Pensées de Pascal ne sont pas un ouvrage, elles ne sont que les pierres d'attente du grand édifice qu'il se proposoit d'élever; ces morceaux, au contraire, sont détachés des ouvrages auxquels Bossuet a mis la dernière main ; ce sont, en quelque sorte, les ruines de ses magnifiques compositions; l'éditeur a détruit pour recomposer, mais il a nécessairement rassemblé ces riches décombres sur des plans moins vastes et moins heureux. Cependant, semblables aux débris des chefs-d'œuvre de l'architecture, ces ruines brillantes ainsi réunies, conservent un caractère imposant de grandeur et de majesté; quelques-unes même de ces pensées obtiennent peut-être, par leur isolement, plus d'éclat et d'effet; une foule de traits admirables que Bossuet a semés dans ses ouvrages avec cette profusion, et, pour ainsi dire, avec cet abandon qui lui est propre, et qui se trouvent enchâssés et cachés dans l'artifice de sa composition, ressortent, et brillent ici dans un plus grand jour : entraîné par le torrent irrésistible de son éloquence, le lecteur ne peut pas tou

jours faire attention à la profondeur des idées que l'orateur lui présente dans une succession si rapide. C'est dans ce Recueil que l'on voit particulièrement et à loisir combien Bossuet étoit un grand penseur : Pascal, La Bruyère, La Rochefoucault, ne pénètrent pas plus avant, soit dans le secret des passions, soit dans les causes des événemens; ils n'ont pas sondé d'un coup d'œil plus perçant et plus sûr les ténébreux mystères de la nature humaine, et ils ne renferment pas l'expression d'une vérité neuve et frappante dans un tour plus concis, plus énergique et plus vif. Le mérite de la pensée n'est pas moins éminent dans Bossuet que celui du style: où sont ceux qui le lui contestent, et qui veulent que toute sa gloire consiste dans la pompe et l'harmonie des phrases? Qu'ils lisent ce Recueil, et qu'ils se taisent!

Parmi tant de morceaux qu'on ne peut assez admirer, il s'en est glissé un qui me paroît d'un goût moins pur, et que je dois relever, parce qu'il me semble qu'on l'a loué avec trop d'emphase dans quelques journaux; tout n'est pas également bon dans les meilleurs écrivains. Il s'agit ici de la Mort sujet que Bossuet a traité si souvent, et presque toujours avec la plus rare éloquence. Ecoutons l'orateur :

«La vie humaine, dit-il, est semblable à un chemin » dont l'issue est un précipice affreux. On nous en » avertit dès le premier pas; mais la loi est portée : il » faut avancer foujours; je voudrois retourner sur mes » pas: Marche, marche! Un poids invincible, une » force invincible, nous entraînent; il faut sans cesse » avancer vers le précipice. Mille traverses, mille » peines nous fatiguent et nous inquiétent dans la » route encore si je pouvois éviter ces précipices affreux! Non, non; il faut marcher, il faut courir

» telle est la rapidité des années. On se console pour

tant, parce que de temps en temps on rencontre » des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, » des fleurs qui passent. On voudroit s'arrêter: Marche, » marche! Et cependant on voit tomber derrière soi » tout ce qui avoit passé : fracas effroyable, etc. »

Cette allégorie, qui se soutient dans tout l'espace d'une grande page, me semble beaucoup trop longue; je crois aussi que cette apostrophe: Marche, marche! manque trop de noblesse; cependant elle paroîtroit moins choquante, si l'orateur n'avoit pas cru devoir la répéter quelques lignes après; mais quand on l'entend s'écrier une seconde fois : Marche, marche! on sent que son goût et son style n'étoient point encore épurés lorsqu'il écrivoit ce morceau. En effet, ce passage, qui est tiré d'un de ses Sermons, appartient à sa première manière. Bossuet ne put entièrement se soustraire, dans sa jeunesse, à la contagion du mauvais goût dont la chaire étoit alors infectée. Ce n'est pas que les Sermons n'annonçassent bien l'auteur des Oraisons Funèbres; mais ces derniers discours furent la véritable époque de sa gloire littéraire; de cette gloire qu'aucune autre du même genre ne peut effacer, et qui seule auroit suffi pour illustrer tout un siècle. C'est de l'Eloge Funèbre de la reine d'Angleterre, qu'il faut dater ce que l'on peut appeler le bon temps de Bossuet.

L'éditeur a misen tête de son Recueil l'Eloge historique de cet orateur, par M. d'Alembert. Cet Eloge est écrit avec mesure, comme presque tous ceux de cet académicien, qui avoit plus de finesse et d'esprit que de talent et de style. M. d'Alembert louant Bossuet, quel contraste! Le nom de M. d'Alembert, en tête d'un Recueil des Pensées de Bossuet, quel assemblage! On peut remarquer dans cet Eloge quelques traits d'une malice froide

et piquante; mais, en général, l'ironie y ressemble si fort à la sincérité, qu'il est douteux que Bossuet eût été mieux loué, même par un panégyriste de bonne foi l'éditeur a pu s'y tromper. Y.

II.

Sur un Recueil intitulé: Morale des Patriarches et des Prophètes.

Les livres sont faits pour les hommes. Ils doivent être accommodés à leurs besoins. On ne doit pas s'imaginer qu'il suffise de leur parler de la morale et de l'EcritureSainte pour les rendre meilleurs. C'est une erreur pieuse qui a souvent de très - mauvaises conséquences. Telle instruction est poison ou remède, selon les temps et les mœurs; et il y a une manière de présenter la vérité qui l'expose au mépris. Vous avez beau dire que votre sujet est très édifiant, si vous ennuyez vous n'édifiez personne. C'est bien pis si vous êtes ridicule. Vous tendez un piége à la foi renaissante. Vous oubliez que le siècle n'est pas propre à goûter une compilation sans esprit.

Conçoit-on bien qu'un homme qui veut proposer en exemple la morale des hébreux, n'imagine pas de meilleur moyen que de copier nuement le texte des histoires où leurs crimes sont rapportés avec une fidélité si admirable? Ainsi, au chapitre de la Morale des Juges, vous trouvez l'histoire du lévite d'Ephraïm, avec toutes ses horreurs, sans qu'aucune réflexion vienne aider l'esprit fatigué à tirer quelqu'instruction d'un si effroyable spectacle; et ce compilateur appelle cela un

traité de morale pour la jeunesse, et il n'a pas compris que l'historien sacré a dû exposer les choses de cette manière, mais que le moraliste doit suivre une toute autre méthode, puisque son devoir est de développer aux hommes les importantes leçons qu'on peut puiser dans les malheurs mêmes qui souillent l'histoire.

Je dis que l'impiété d'un sophiste sans morale n'a rien de plus dangereux que cette imbécillité d'un zèle sans lumières. Et c'est une plus vive souffrance pour celui qui aime la vérité, de la voir avilie par l'ignorance qu'attaquée par la haîne.

Le retour des idées religieuses dans notre patrie est un germé précieux qui demande une culture habilement ménagée. On doit rendre grâces aux hommes supérieurs qui veulent bien s'y appliquer. L'abus de l'esprit a perverti le siècle, c'est au bon esprit à le guérir; mais les sots ne doivent pas s'en mêler, ils n'ont jamais converti personne. Malherbe disoit à un capucin qui lui parloit du bonheur éternel d'une manière basse et indigne du sujet : Taiséz-vous, vous m'en dégoûteriez.

Et sans doute la vérité a besoin du secours de la parole, puisque nous sommes tous appelés à nous éclairer les uns les autres. Ceux qui veulent qu'elle triomphe d'elle-même, et sans les ornemens du discours, n'entendent ni ce que c'est que l'éloquence, ni cé que c'est que la nature humaine. Si nous étions de purs esprits, nous la verrions sans ombre, et nous l'aimerions sans partage. Mais, composés comme nous le sommes, elle ne peut nous être transmise que sous le voile des signes sensibles: il importe donc que ces signes nous affectent agréablement, et qu'ils préparent notre esprit à l'attention qu'il lui doit accorder pour la connoître.

« PreviousContinue »