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J. J. ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE,

A M. D'ALEMBERT,

DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE,

DE L'ACADÉMIE royale des sciences de paris, de celle de PRUSSE,
DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES,

DE L'ACADÉMIE ROYALE DES BELLES-LETTRES DE SUÈDE,
ET DE L'INSTITUT DE BOLOGNE;

SUR SON ARTICLE

GENÈVE,

DANS LE VII VOLUME DE L'ENCYCLOPÉDIE,

ET PARTICULIÈREMENT

SUR LE PROJET D'ÉTABLIR UN THEATRE DE COMÉDIE

EN CETTE VILLE.

Dii meliora piis, erroremque hostibus illum.

PRÉFACE.

J'AI tort si j'ai pris en cette occasion la plume sans nécessité. Il ne peut m'être ni avantageux ni agréable de m'attaquer à M. d'Alembert. Je considère sa personne; j'admire ses talents; j'aime ses ouvrages; je suis sensible au bien qu'il a dit de mon pays: honoré moimême de ses éloges, un juste retour d'honnêteté m'oblige à toutes sortes d'égards envers lui; mais les égards ne l'emportent sur les devoirs que pour ceux dont toute la morale consiste en apparences. Justice et vérité, voilà les premiers devoirs de l'homme. Humanité, patrie, voilà ses premières affections. Toutes les fois que des ménagements particuliers lui font changer cet ordre, il est coupable. Puis-je l'être en faisant ce que j'ai dû? Pour me répondre il faut avoir une patrie à servir, et plus d'amour pour ses devoirs que de crainte de déplaire aux hommes.

Comme tout le monde n'a pas sous les yeux l'Encyclopédie, je vais transcrire ici de l'article Genève le passage qui m'a mis la plume à la main. Il auroit dû l'en faire tomber, si j'aspirois à l'honneur de bien écrire ; mais j'ose en rechercher un autre, dans lequel je ne crains la concurrence de personne. En lisant ce passage isolé, plus d'un lecteur sera surpris du zèle qui l'a pu dicter: en le lisant dans son article, on trouvera que la comédie, qui n'est pas à Genève, et qui pourroit y être, tient la huitième partie de la place qu'occupent les choses qui y sont.

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On ne souffre point de comédie à Genève : ce n'est

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roit-il

<< pas qu'on y désapprouve les spectacles en eux-mêmais on craint, dit-on, le goût de parure, de * dissipation et de libertinage que les troupes de comé« diens répandent parmi la jeunesse. Cependant ne sepas possible de remédier à cet inconvénient " par des lois sévères et bien exécutées sur la conduite « des comédiens? Par ce moyen Genève auroit des spec«<tacles et des mœurs, et jouiroit de l'avantage des uns «<et des autres; les représentations théâtrales forme<< roient le goût des citoyens, et leur donneroient une « finesse de tact, une délicatesse de sentiment qu'il est « très difficile d'acquérir sans ce secours : la littérature « en profiteroit sans que le libertinage fît des progrès; « et Genève réuniroit la sagesse de Lacédémone à la politesse d'Athènes. Une autre considération, digne « d'une république si sage et si éclairée, devroit peut« être l'engager à permettre les spectacles. Le préjugé « barbare contre la profession de comédien, l'espèce << d'avilissement où nous avons mis ces hommes si né

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cessaires au progrès et au soutien des arts, est certai« nement une des principales causes qui contribuent << au déréglement que nous leur reprochons; ils cherchent à se dédommager, par les plaisirs, de l'estime * que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un comé« dien qui a des mœurs est doublement respectable; << mais à peine lui en sait-on gré. Le traitant qui insulte « à l'indigence publique et qui s'en nourrit, le courtisan qui rampe et qui ne paye point ses dettes; voilà # l'espèce d'hommes que nous honorons le plus. Si les

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