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s'étendait jusqu'aux Carmes, et séparé du monastère des Religieuses par un mur. Sur la rue il n'y avait que la largeur d'une porte cochère servant d'entrée à une allée de six pieds de largeur, conduisant, dans le fond, à une petite maison inhabitable destinée à être démolie. Mme de Rohan, très habilement, au lieu d'un loyer quelconque, imposait au marquis d'Hauterive de faire construire sur le terrain loué « une maison logeable », d'une valeur de vingt mille livres au moins en démolissant la masure existante. En outre, par le même acte, Mme d'Hauterive déclarant avoir << une affection particulière pour le prieuré, et voulant se procurer la qualité de bienfaitrice et jouir des prérogatives et privilèges qui en dépendent », fit, avec l'autorisation de son mari, donation entre-vifs aux Religieuses de la somme de 10.000 livres à prendre, après son décès, sur les biens de sa succession. Il fut stipulé que l'on donnerait à l'allée aboutissant à la rue une largeur de dix pieds en reportant le mur séparatif de quatre pieds en arrière, sur le terrain du monastère,

Le marquis Vignier d'Hauterive, fils d'un conseiller d'État intendant de Lorraine, n'avait, au dire de SaintSimon, «< aucune naissance ». Mais c'était un fort galant homme, très assidu auprès des femmes, ayant servi avec distinction, - et d'une grande instruction, car la Gazette rapporte qu'en 1669 il prononça tout un discours en latin, à l'occasion de la consécration d'une église de Carmélites (1). Françoise de Neufville, sœur du maréchal de Villeroy et de la comtesse d'Armagnac, avait épousé en premières noces le comte de Tournon, tué à l'armée en 1644, puis en deuxièmes noces le duc de Chaulnes. Veuve

(1) Mémoires de Saint-Simon (édition de Boislisle), t. VII, p. 44 avec

les notes.

pour la seconde fois en 1653, elle s'enferma d'abord, dit Loret, << en un couvent » (peut-être celui du Cherche-Midi), puis, quatorze ans après, en 1667, âgée alors de quarante-deux ans, elle « s'emmouracha », suivant SaintSimon, de M. d'Hauterive, âgé seulement de vingt-neuf ans, et l'épousa malgré sa famille qui rompit avec elle. Ce mariage d'inclination fit du bruit dans le monde, blâmé par les uns, excusé par les autres. Mme de Sévigné déclara que c'était une « mésalliance éclatante »; BussyRabutin au contraire l'approuva: On en fit des couplets. Cependant, ajoute Saint-Simon, « Hauterive se conduisit avec tant d'égards et de respect avec le maréchal de Villeroy et M. et Mme d'Armagnac, qu'au bout de quelque temps, ils voulurent bien le voir, et l'ont toujours bien. traité toute sa vie. »

Le marquis d'Hauterive, en exécution de son bail, fit tout de suite démolir la vieille petite maison existant sur son terrain, reculer de quatre pieds le mur séparatif du monastère de manière à se faire une allée de dix pieds de largeur, et construire au fond un bâtiment d'habitation. Le plan figuré de Du Bairieu de 1675 mentionne à côté du couvent, la maison que « M. le marquis d'Auterive fait bâtir sur le derrière ». Grand amateur de tableaux et objets d'art, il fit édifier à la suite de son hôtel, derrière la propriété Cousin, une galerie se terminant par un salon donnant sur les jardins des Carmes. Le 24 octobre 1678, Mme de Seneville écrivait au comte de Bussy (1):

...

Notre ami Hauterive a fait faire cet été un salon et un

(1) Correspondance de Bussy-Rabutin, t. IV, p. 227.

cabinet au bout de sa galerie qui rendent sa maison une des plus agréables de Paris.

Le Rôle de répartition des taxes de 1689 mentionne de nouveau l'habitation de M. d'Hauterive entre le monastère de Notre-Dame de Consolation et la maison-brasserie Cousin. Enfin le Livre commode des adresses de Paris de Du Pradel, publié en 1692, signale parmi les Fameux curieux des ouvrages magnifiques: M. le marquis d'Hauterive au Cherche-Midi. Cette indication était justifiée, car il résulte des Comptes des Bâtiments du roi, que la galerie d'Hauterive comprenait nombre de tableaux de maîtres figurant avec honneur maintenant au Musée du Louvre, comme la Kermesse de Rubens, l'Adoration des Trois Rois de Paul Véronèse, Suzanne avec Deux. Vieillards du Tintoret, et autres. Enfin, dans une sorte de Notice sous forme de lettre, rédigée en 1734 par une des religieuses (1), celle-ci proclame que M. et Mme d'Hauterive avaient fait bâtir «< une maison magnifique ornée d'une galerie de peintures d'un prix inestimable ». Puis elle ajoute :

Me la marquise d'Hauterive, qui entrait souvent dans notre maison comme bienfaitrice, ne se lassait pas de témoigner à Mme de Rohan sa gratitude des solides conseils qu'elle donnait à son époux lorsqu'il venait à son parloir. Elle lui faisait tous les ans présent de quelque pièce d'argenterie pour l'église.

Mme de Rohan avait quitté complètement l'abbaye de Malnoue, en y laissant, pour la remplacer, Mme Anne de Bretagne sa tante, et s'était fixée au Cherche-Midi où elle

(1) Arch. nat., L. 1044. Lettre autographe du 15 septembre 1734 de Sœur de Sainte-Marie à Notre-Dame de Consolation, relatant la fondation du couvent.

donnait à ses religieuses de doctes enseignements et l'exemple de l'humilité, comme on le voit par ce curieux passage de la lettre déjà citée :

Notre illustre abbesse s'est fait l'exemple de toutes les vertus, s'humiliant jusqu'à aller à la cuisine laver la vaisselle, se mettre quelque temps un torchon sale sur la tête en guise de voile qu'elle s'estimait indigne de porter, de se faire cracher au visage comme pour se venger de ce qu'on l'avait trouvée belle et bien faite en sa jeunesse, se faire donner la discipline quand elle ne pouvait plus la prendre elle-même...

En même temps, elle rédigeait en grand détail un commentaire rigoureux de la règle de Saint-Benoit, à l'usage des Bénédictines de Notre-Dame de Consolation (1).

En 1679, la pieuse abbesse eut la joie d'accueillir auprès d'elle sa nièce Anne-Marguerite de Rohan, fille du prince de Soubise son frère. La prise d'habit de cette jeune fille donna lieu, le 23 novembre, à une grande cérémonie en présence d'une nombreuse et brillante assemblée. La reine vint elle-même y prendre part en compagnie de Mile d'Orléans, de la Grande Duchesse de Toscane, de Me de Guise, et d'une foule de personnages illustres. On remarquait entre autres le ministre Colbert et le marquis de Seignelay venus sans doute surtout pour entendre le sermon qu'allait prononcer l'abbé Colbert (2). Ce fut la reine qui donna le voile à la jeune novice, et l'arche

me

(1) Cet ouvrage considérable a été publié après sa mort en 1687, sans nom d'auteur suivant sa volonté, sous ce titre : La Règle du Bienheureux Père Saint-Benoist avec les Constitutions pour les Religieuses bénédictines de Notre-Dame de Consolation de la rue du Cherche-Midy.

(2) Probablement Jacques-Nicolas Colbert, docteur de Sorbonne, futur archevêque de Rouen, deuxième fils du ministre, alors jeune abbé, âgé de vingt-cinq ans environ.

vêque de Paris officia. L'abbé Colbert recueillit, dit le Mercure (1) « un applaudissement extraordinaire de la part de tous les assistants parmi lesquels étaient de nombreux prélats. Enfin, «< il y eut dans le dedans du couvent une magnifique collation pour la reine et pour les dames qui avaient été conviées ». Un an après, le 29 décembre 1680 il fut procédé à la profession et la réception des vœux d'Anne de Rohan. Amenée processionnellement par toutes les Sœurs, de sa cellule à la chapelle, elle prononça et signa cet engagement, suivant la formule établie au couvent (2) :

Moi, Sœur, fais vou et promets à Dieu tout-puissant en présence de la Très Sainte Vierge, de notre glorieux Père Saint Benoit, de tous les saints et en particulier de ceux dont les reliques reposent en cette église, de stabilité sous clôture, conversion de mes mœurs, pauvreté, chasteté, et obéissance selon la règle de notre glorieux Saint Benoist et les Constitutions de ce monastère de Notre-Dame de Consolation établi à Saint-Germain des Prés à Paris, sous l'autorité de Monseigneur l'illustrissime et Révérendissime Archevêque de Paris...

Après quoi, l'on mit sur la nouvelle professe le drap mortuaire et la couronne d'épines, et la cérémonie religieuse habituelle eut lieu. Puis un sermon fut fait par le Père Bourdalo ue « avec beaucoup de satisfaction de la compagnie », dit la Gazette de France.

Marie-Éléonore de Rohan travaillait encore à la revision des Constitutions de son couvent, lorsqu'après quelques jours de maladie, elle fut surprise par la mort le

(1) Mercure galant, novembre 1679, p. 278 et suiv. (Renseignement dû à l'obligeance de M. l'abbé Levesque.)

(2) Cérémonies pour la vêture et la profession (Bibl. nat. mss. 14-483)

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