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LES DOMICILES DE J.-K. HUYSMANS

Presque toute la vie de J.-K. Huysmans s'est écoulée sur le VI arrondissement. Il y est né et il y est mort. Son souvenir est encore vivant autour de ses derniers domiciles. Nous allons les rappeler brièvement.

Huysmans est né le 5 février 1848, au no 11 de l'étroite et curieuse rue Suger, dans une maison à porche bas et à cour humide, qui était déjà vieille à cette époque, et qui est presque croulante aujourd'hui. Le père du romancier était dessinateur-lithographe et originaire de Bréda, en Hollande. C'est sans doute pour mettre en harmonie avec son nom hollandais ses prénoms de Charles-Marie-Georges, que Huysmans les transformera en Jorris Karl, et signera. comme homme de lettres: J.-K. Huysmans.

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Il fait ses études à la pension Hortus, rue du Bac, 94,

où Coppée était passé quelques années auparavant.

Puis il suit les classes du lycée Saint-Louis et les cours. de l'École de droit.

Pendant la guerre de 1870, il fait partie de la mobile, ainsi qu'en témoigne « Sac au dos ».

Il entre ensuite au ministère de l'Intérieur où il restera trente-deux ans. C'est comme fonctionnaire qu'il sera décoré. Il est vrai que c'est comme homme de lettres qu'il recevra la rosette.

Son père meurt le 30 octobre 1872, rue Saint-Sulpice, n° 38.

Ses domiciles successifs, 114, rue de Vaugirard, 73, rue du Cherche-Midi (1) et 11, rue de Sèvres, où il fait son plus long séjour, sont tous dans le quartier de Notre-Dame des Champs.

C'est pendant cette première période de sa vie qu'il publie ses romans naturalistes.

Dans « A vau l'eau » il se peint sous les traits de M. Folantin parcourant tous les restaurants de la rue du Four, de la rue du Vieux-Colombier, de la rue du Dragon, où son jeune appétit a peine à se satisfaire. Il dîne souvent dans un petit bouillon, près de la Croix-Rouge, fréquenté par de vieilles dames sans famille. Un peu plus tard, il déjeune chez un marchand de vins, dont la boutique fait l'angle de la rue du Vieux-Colombier et de la rue Bonaparte, d'où il aperçoit le coin de la rue Saint-Sulpice, terrible coin balayé par le vent de la rue Férou, et occupé, lui aussi, par un marchand de vins qui possède la clientèle assoiffée des organistes ».

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Mais l'estomac difficile du lamentable M. Folantin est toujours mécontent de «< ces vins et de ces pâtures misérables ». « Le VI arrondissement, dit-il, est impitoyable au célibat »>.

Le personnage créé par Huysmans à son image est, comme lui, originaire du quartier. La rue du Four est la rue natale de M. Folantin; son père y a tenu jadis. une petite papeterie. Et quand il promène le soir sa jeunesse mélancolique, c'est dans la rue de Buci, la rue

(1) Nous avons pris cette indication et plusieurs autres dans un article de MM. Céard et de Caldain, de la Revue hebdomadaire, juin 1907: Huysmans intime.

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de l'Égout, la rue du Dragon, la rue neuve Guillemin. Dans « Les sœurs Vatard », les ateliers de satinage et de brochure Debonnaire et Cie, où travaillent Céline et Désirée, sont situés rue du Dragon. Il ne serait pas bien difficile de retrouver leur vrai nom. Huysmans a écrit lui-même plus tard leur véritable adresse. Le livre contient des tableaux impressionnistes de la Gare Montparnasse, de l'avenue du Maine, de la rue de Sèvres et de mainte rue. voisine.

Dans « Là-Bas », livre étrange, nous avons des ascensions aux tours de l'église Saint-Sulpice, où, dans « sa tombe aérienne », demeure le sonneur Carhaix, amoureux de ses cloches. Le chanoine Docre dit sa messe noire, horresco referens, dans la rue Olivier de Serres non loin de la rue de Vaugirard. Huysmans écrit au sujet de la place Saint-Sulpice « Cette place est bien laide, mais qu'elle est provinciale et intime ! » et plus loin : « Sur cette place, comme dans les rues Servandoni, Garancière et Férou, l'on respire une atmosphère faite de silence. bénin et d'humidité douce... c'est caduc et discret... nul bruit, nulle foule, et des arbres ainsi que sur le mail silencieux d'un bourg.

Au no 11 de la rue de Sèvres, Huysmans habite d'abord dès son enfance, avec sa famille, le vieux bâtiment des Prémontrés qui est encore debout, dans la cour à droite, avec son large escalier et ses immenses corridors, sur lesquels s'ouvrent les anciennes cellules des moines, avec << ses superbes caves taillées en ogive, pareilles à des nefs d'églises » (1). Puis il transporte ses pénates en face, dans le bâtiment moderne, au fond et à gauche dans la cour,

(1) J.-K. HUYSMANS, De Tout. Le n° 11 de la rue de Sèvres. Chez Stock, 1902.

tout en haut; l'appartement a un petit balcon sur cette cour. Il y reste jusqu'en 1900.

A cette époque l'évolution de ses idées est terminée. Il est venu à la religion, peu à peu, par le chemin des artistes: par l'amour des légendes mystiques, du plain-chant, des cathédrales gothiques et de la liturgie bénédictine.

Dans cette seconde période de sa vie, il est plus amoureux que jamais du vieux Paris. Il croque encore plus d'une fois des aspects du quartier Saint-Sulpice. Il envoie plus d'une invective aux fabricants d'objets religieux, ses ennemis particuliers. D'ailleurs son mysticisme ne l'a point rendu moins virulent. Il demeure romancier naturaliste. La sincérité presque cynique de ses peintures du monde extérieur, l'amertume de son pessimisme, son ironie cinglante, ses gouailleries d'artiste, s'allient bien curieusement avec ses sentiments religieux. Ce contraste donne à son talent la physionomie la plus singulière et la plus piquante.

Après un séjour à Chartres, où il écrit la Cathédrale, Huysmans se fixe au monastère de Ligugé en Poitou, et bientôt se fait bâtir une maison à côté des bénédictins qui l'ont accueilli. Mais les moines sont dispersés. Il revient alors à Paris. Il réside quelque temps en dehors de notre arrondissement, rue Monsieur, no 20, chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, hors la clôture d'un des derniers couvents qui subsistent aujourd'hui sur la rive gauche. Puis il va occuper à deux pas de la rue Monsieur, au no 60 de la rue de Babylone, un petit appartement au 4o étage, où il demeure depuis le mois d'octobre 1902 jusqu'au mois d'avril 1904. Je l'y ai vu deux fois, aimable et accueillant pour les gens les plus modestes, avec ses yeux fûtés, son front dégarni et sa petite barbiche blanche, roulant dans

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