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Ce ne fut guère que deux ou trois ans plus tard que la rue nommée alors provisoirement rue Forezon, en souvenir du propriétaire récalcitrant, fut ouverte à la circulation. Une affiche annonça pour le 21 floréal an XI (11 mai 1803) la mise en adjudication de onze lots de terrain dépendant du ci-devant convent des Carmes, dont neuf sur la rue Forezon et deux sur la rue de Vaugirard (1).

Franchissons maintenant la rue d'Assas, et nous trouvons une grande maison d'encoignure ayant sept fenêtres de façade sur la rue du Cherche-Midi où elle porte le n° 27, bien que sa seule entrée soit sur la rue d'Assas. Jean Duchesne qui la fit construire en resta propriétaire jusqu'à sa mort en 1833. Puis, après lui, sa veuve la conserva ellemême jusqu'à son propre décès en 1843. Mise en vente par les héritiers en 1851, elle fut adjugée le 25 mars, moyennant 120.000 francs, à M. Dufresnoy (Antoine-LubinBenjamin) décédé en 1882, dont les enfants sont restés propriétaires jusqu'à nos jours.

Au rez-de-chaussée, la boutique d'encoignure n'a pas cessé, depuis soixante-quinze ans, d'être occupée par un marchand de vin. L'autre boutique a reçu des destinations diverses.

Parmi les locataires des appartements, aucun nom connu ne nous est apparu.

Nos 29 et 31 (anciennement nos 114 et 115, puis 794 et 795, puis 31 et 33).

La marquise de Charry et le conventionnel Osselin. Dupré. Boulay. Rousseau Saint-Gall. La rue

(1) Arch. nat., F13 981.

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Il y eut là d'abord deux maisons distinctes qui, en 1809, furent réunies aux mains d'une seule personne, et ne firent plus qu'une propriété, puis furent atteintes par l'expropriation et tellement mutilées que le n° 31 a entièrement disparu, et qu'il ne reste plus qu'une étroite parcelle du n° 29 au coin du boulevard Raspail.

On se rappelle qu'en 1790, lors de la dépossession des Religieuses, la maison portant alors le n° 114 (n° 29 plus tard) était encore occupée par une des demoiselles de Dreux, filles du marquis de Dreux-Brézé grand-maître des cérémonies de France, dont nous trouverons l'habitation personnelle au no 37. Ce devait être, en dernier lieu Marie-Marguerite, née en 1763, qui épousa en 1790 le baron d'Aurillac. La maison, assez exiguë, avait quatre fenêtres de face, mais n'était élevée que d'un seul étage carré au-dessus du rez-de-chaussée, et d'un deuxième étage lambrissé. Il n'y avait à chaque étage qu'une seule pièce, donnant à la fois sur la rue et sur la porte cochère et le passage conduisant à l'hôtel de Mar de Conzié (1). Mile de Dreux, locataire sans bail, dut quitter ce logis après son mariage vers la fin de 1790. L'administrateur du Domaine trouva alors à relouer à une autre jeune femme titrée et de noble famille, Charlotte-Félicité de Luppé marquise de Charry. Cette nouvelle occupante allait être l'héroïne d'une singulière aventure tristement terminée (2).

(1) Arch. nat., Q2 118.

(2) Le récit qui va suivre, tiré d'un gros dossier des Archives nationales (W. cartons 298 et 300) était écrit, lorsqu'a paru le 5 juillet dernier,

Née à Versailles en 1767, elle était la fille du comte de Luppé, gentilhomme de la manche des enfants de France, mort en 1770, à l'âge de quarante-cinq ans. Mme de Luppé, deveuue veuve, s'était retirée au couvent du ChercheMidi avec sa petite fille âgée de trois ans. En mai 1788, Charlotte-Félicité avait épousé le marquis de Charry des Gouttes, major au régiment de Lorraine, brave officier très estimé, admis à monter dans les carrosses du roi et à accompagner le souverain à la chasse. Le contrat de mariage fut signé à Versailles par Louis XVI et toute la famille royale, puis, le 11 mai, la jeune marquise de Charry fut présentée officiellement à la Cour par la comtesse de Montmorin.

Malheureusement il y avait incompatibilité de goûts entre les deux époux. Le marquis, nommé en juillet chevalier de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, prenait fort au sérieux les vœux quasi-religieux qu'il avait prononcés, tandis que sa jeune femme, aussi coquette que jolie, ne songeait qu'à s'amuser. Au bout de quelques mois de mariage, dès la fin de 1788, il y eut une séparation amiable. M. de Charry se retira en province, dans un domaine qu'il avait près de Montluçon en s'engageant à servir à sa femme une pension de 1.500 livres, puis, en 1792, il émigra et disparut. La marquise, au contraire, sans s'inquiéter des événements politiques, se fixa à Paris, près de l'ancien couvent où elle avait été élevée, en prenant en location le petit hôtel du n° 114, rue du ChercheMidi. Légère, insouciante, en 1791 elle va voir ses anciens amis de Cour à Bruxelles, puis revient à Paris jouir des distractions de la capitale. En 1792 elle a un cabriolet au

dans la Revue Historia, un très intéressant article de M. Paul Gaulot, sur le même sujet, sous le titre : Conventionnel et marquise.

mois (1), fréquente les théâtres, fait des visites, en reçoit, et ne paraît nullement préoccupée de l'avenir. Cependant, en septembre, elle doit être informée qu'un de ses frères vient d'être massacré à Versailles parmi les prisonniers d'Orléans. Elle en est sans doute attristée mais ne change rien à son train de vie. Bien mieux, en janvier 1793, durant le procès de Louis XVI, il lui prend fantaisie de retourner à Bruxelles «< uniquement pour son plaisir »>, dit-elle, avec une femme de chambre, pour revoir ses bons amis, Mme de Castellane, Mme de Beaumont, le duc et le prince d'Arenberg, - après quoi, en mars, elle rentre tranquillement dans son logis parisien, rue du Cherche-Midi. Elle ramène même avec elle deux individus qui provoquent de la curiosité et des soupçons dans le voisinage : c'est un nommé Grivelet qu'elle dit être valet de chambre du prince d'Arenberg, et un jeune homme désigné tantôt sous le nom de Hiernant, tantôt sous celui de Renaud. On en murmure dans le quartier, et on lui rapporte qu'elle pourrait bien être poursuivie parce qu'elle n'est rentrée en France qu'après l'expiration du délai imparti par la loi aux Français se trouvant à l'étranger. Elle a alors l'idée de consulter à ce sujet un homme de loi qui est, en même temps, député à la Convention et a été rapporteur des décrets sur l'émigration, c'est Nicolas Osselin demeurant rue de Lille, voisin d'un ancien ami de la famille de Luppé, M. de La Gardie, vieil officier retraité, qui lui en a sans doute parlé.

Osselin, né en 1752, avait été avocat au Parlement, puis clerc de notaire, et avait acheté une étude à Paris, mais les syndics de la Compagnie avaient refusé de l'admettre

(1) Arch. nat. (W. 300). Quittance du 10 novembre 1792 à Mme de Charry du prix de « six mois de loyer de son cabriolet >>.

à cause de divers antécédents fâcheux, et, malgré un procès retentissant qu'il avait intenté aux syndics, il avait été définitivement exclu (1). Resté homme de loi ou agent d'affaires, lors de la Révolution il s'était montré ardent patriote, avait été en 1789 l'un des organisateurs de la garde nationale, et y avait déployé une telle rigueur et un si mauvais caractère, que ses collègues refusaient de siéger avec lui. Enfin, en septembre 1792, élu député, il avait pris place parmi les plus violents jacobins, votant la mort du roi sans sursis, poursuivant impitoyablement les Girondins, et provoquant surtout les mesures les plus sévères contre les émigrés.

Tel était l'homme que Mme de Charry imagine, contre toute prudence, d'aller trouver pour lui demander conseil et protection. Or, voici que le farouche Osselin est séduit par les beaux yeux de la marquise et lui propose de se rendre chez elle pour examiner les pièces justificatives de son parfait civisme. Elle accepte; l'étude de l'affaire exige sans doute plusieurs entretiens particuliers qui se prolongent tant et si bien que le conventionnel y reste des nuits entières. Un mois environ se passe ainsi. Mais, vers la fin d'avril, la section Mutius Scævola dont dépend le côté gauche, de la rue du Cherche-Midi, est saisie de graves dénonciations contre Mme de Charry, qu'on accuse surtout de donner asile à un émigré. L'assemblée décide qu'une perquisition sera faite dans la maison du n° 114, et que la citoyenne Charry sera mise en arrestation. Trois commissaires sont délégués à cet effet, et auront à leur tête le citoyen Stanley, horloger de son métier, demeurant rue du Four, membre influent de la Section. Les

(1) Voir l'excellent ouvrage de M. Foiret sur Une Corporation parisienne pendant la Révolution, pp. 19-20 et suiv.

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