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Et c'est à lui, sur-tout, que la gloire elle-même
Doit s'offrir à côté de la vertu qu'il aime,

Le poursuivre, l'atteindre au-delà du trépas,
Et chercher, au tombeau, qui ne la cherchait pas.

Élevé dans son sein, tu semblais né pour elle,
O toi, qu'aurait pour fils adopté Marc-Aurèle,
Prince en qui, dès l'enfance, à l'ombre du repos,
Germait l'ame d'un sage et le cœur d'un héros,
Jeune Brunswick. Autour de ces foyers antiques,
Dont l'honneur et la foi sont les dieux domestiques,
Tu n'avais qu'à choisir un modèle à ton gré :
D'exemples immortels je te vois entouré.

Ferdinand (1) t'apprendra quel mouvement rapide
Imprime à tout un peuple un seul homme intrépide,
Et comment son courage, étonnant l'univers,

Fait sortir les succès du milieu des revers.

Ce roi qui, tour-à-tour ambitieux et juste,

Aux beaux jours de César joint les vieux ans d'Auguste,
Ce génie à-la-fois si sage et si hardi,

Frédéric (2), dans un art par lui-même agrandi,
Instruira ta jeunesse. Henri (3) sera ton guide;
Henri, de la vertu l'ami le plus solide;
Henri, guerrier sensible et modeste vainqueur,
Qui maîtrisa toujours la fortune et son cœur.
Enfin, si moins épris de ce calme stoïque,
Tu préfères l'éclat d'une ardeur héroïque,

(1) On se souvient de la révolution que fit dans l'armée hanovrienne, en 1758, le changement de général, lorsque le prince Ferdinand de Brunswick se mit à la tête de cette armée.

(2) Le feu roi de Prusse, oncle du prince Léopold de Brunswick.

(3) Le prince Henri de Prusse, oncle du prince Léopold de Bruns

wick.

Charles (1) à ta valeur offre un modèle heureux.
Tu l'as vu, ce héros aimable et généreux,
Redouté, mais chéri de ses rivaux de gloire,
Comme dans un tournoi disputer la victoire,
Et couvert de poussière, et de sang inondé,
Applaudir, dans l'arène, aux exploits de Condé.

Hélas! c'était à lui qu'eût ressemblé son frère.
Fier et doux, simple et grand, son brillant caractère,
Sur des bords étrangers, dans des camps ennemis,
Eût trouvé des rivaux, et laissé des amis.

pour fixer la gloire et désarmer l'envie,

Que de liens puissants l'attachaient à la vie !

Jeune, heureux, cher au monde !.. et ces noeuds sont brisés!
Et tant de biens si chers, il les a méprisés!
Pourquoi? Lorsque César, sur les mers de l'Épire,
S'expose à la tempête, il y va d'un empire,
De l'empire du monde; et toi, plus généreux,
Où vas-tu, Léopold? Sauver deux malheureux!

Non, ce n'est point ici cette illustre carrière,
Où, tenant dans ses mains la trompette guerrière,
L'attend la Renommée, avec ses yeux ouverts,
Et ses voix, dont le bruit va remplir l'univers :
Il est seul. Mais l'Oder a franchi ses rivages,
Et, chargé de débris, il poursuit ses ravages.
Sur les flots mugissants ces débris dispersés,
Dans les plaines au loin les hameaux renversés,
Les troupeaux submergés dans l'étable écroulée,
La moisson sur le fleuve encore amoncelée,
Et le lit où le pauvre, oubliant son labeur,
Du ciel, au moins en songe, espérait la faveur,

(1) Le prince de Brunswick régnant, frère de Léopold. On sait avec quelle noblesse et quelle loyauté il a fait la guerre.

Et le berceau flottant, où la faible innocence
Voit sans effroi la mort si près de la naissance,
Où dort peut-être encore, au bruit sourd du torrent,
Cet enfant suspendu sur son sein dévorant....

O Dieu !... Tout s'épouvante; et loin du bord funeste
La fuite a des hameaux dispersé ce qui reste.

Deux hommes seuls encor, de tant d'infortunés,
Luttent contre les flots, par les flots entraînés;
Et le triste habitant de la rive opposée
Au plus grand des périls voit leur vie exposée.
Frémissant, consterné, prêt à les voir périr,
Chacun cherche des yeux qui les va secourir;
Mais qui peut du torrent dompter la violence?
Des plus hardis rameurs le courage balance;
Lorsqu'un jeune homme arrive, et les mains pleines d'or
Enfants, qui veut me suivre ? Il en est temps encor.
Une barque, et volons au secours de nos frères.
La barque se présente à ses vœux téméraires :
Il y monte; et, rompant le nœud qui la retient,
Il crie aux malheureux que cet espoir soutient :
Amis, je viens à vous; redoublez de courage.
Alors, fendant le fleuve, et défiant sa rage,
Sur le dos de la vague on le voit suspendu;
Dans le fond de l'abyme on le croit descendu;
Il remonte; et le flot que la rame sillonne,
Étonné d'obéir, autour de lui bouillonne.

A l'audace, à l'ardeur, à l'intrépidité,
Qu'inspire à ce mortel la simple humanité,
On s'écrie, en tremblant d'espérance et de joie.
Est-ce un ange, un sauveur que le ciel leur envoie?
C'est Léopold, c'est lui, c'est ce jeune héros.
Et la barque à l'instant disparaît sous les flots.

Un lamentable cri frappe le ciel et l'onde.

Tous les yeux, attachés sur la vague profonde,
Redemandent Brunswick au terrible élément.
Dans des sillons d'écume il paraît un moment;
Il nage, il se débat, il s'épuise, il succombe.

Ah! que du moins les flots le rendent à la tombe.
Avec un saint respect sur le bord recueillis,
Que ses restes sacrés y soient ensevelis.

Et vous,

que des vertus la mémoire intéresse, Accourez, éloquente et sensible jeunesse,

Venez tous rendre grâce, au nom des malheureux,
A celui qui daigna vivre et mourir pour eux;
Venez tous révérer au nom de la nature,
Celui qui de l'orgueil abjurant l'imposture,
Et de ses devoirs d'homme occupé constamment,
S'exerça dès l'enfance à ce grand dévoûment.
Dites par quelle aimable et tendre inquiétude,
Fuyant de son palais la froide solitude,

Il venait dans la foule, ami sage et discret,
A l'indigent timide arracher son secret;
Dites, à son aspect, quel rayon de lumière
Semblait du laboureur éclairer la chaumière;
Dites, à son aspect, quelle noble chaleur
Du soldat, sous la tente, animait la valeur;
Et, de l'humanité religieux organes,

Puissiez-vous, au tombeau, faire entendre à ses mânes
Les regrets dont pour lui tous les cœurs sont émus!
Léopold est pleuré comme Germanicus.

Voyez ce deuil profond, ce silence, ces larmes,
Ces soldats, d'un air morne, appuyés sur leurs armes,
Ces héros recueillis dans leur sombre douleur;
Frédéric méditant ce qu'eût fait sa valeur,

Frédéric attendri, fixant un œil de père

Sur ce tombeau, qu'un peuple en gémissant révère;

Quel spectacle! Et jamais un plus illustre prix
A-t-il, enfants du Pinde, enflammé vos esprits?

Pour chanter Léopold, Philippe (1) vous rassemble.
Ah! qui l'honore ainsi, sans doute lui ressemble;
Et celui qui de fleurs veut couvrir son tombeau,
Ne voit pas sans envie un dévoûment si beau.
Loin de nous désormais, loin des temps où nous sommes
Ce dur mépris des grands pour le reste des hommes.
L'humanité sacrée a recouvré ses droits.
Les peuples ne sont plus étrangers à leurs rois;
Et je crois ne plus voir, dans cet âge prospère,
Que d'heureuses tribus, dont le chef est le père.

(1) Monseigneur comte d'Artois, aujourd'hui Monsieur.

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