Que je presse, en pleurant sur un objet aimé? Et si rien n'est ému dans cette urne glacée, Pourquoi si tendrement la tiendrais-je embrassée? Je ne sens point un cœur sous le mien palpitant; On ne me répond point; mais peut-être on m'entend. Il me semble, aux accents de ma bouche plaintive, Qu'une ombre qui m'échappe est au moins attentive; Qu'invisible et présente, elle voit mes douleurs, Recueille mes soupirs, et jouit de mes pleurs.
La nature a mêlé ce charme involontaire Aux regrets d'un époux errant et solitaire, Aux regrets d'un amant que consume l'ennui : Une ombre seule au monde est encor tout pour lui. Dans le calme des bois, au sein des nuits funèbres, Il l'appelle. Il croit donc qu'au milieu des ténèbres Près de lui, pour l'entendre, elle vient quelquefois Dans la grotte où l'écho s'attendrit à sa voix ? Ah! du moins, dans son ame elle se plaît à lire.
Mais des vives douleurs n'est-ce point un délire? On le dit; et bientôt soi-même on se dément. Qui de nous dans le calme et le recueillement
Seul, au fond de ce temple, où de nos grands modèles S'offrent à nos regards les images fidèles,
pas senti son ame entre eux se balancer, Et vers le plus chéri doucement s'élancer? O toi dont les écrits, où la bonté respire, Donnent à la vertu tant de charme et d'empire, Fénélon, quand mes yeux attachés sur tes yeux Se mouillaient devant toi de pleurs délicieux, Et que mon cœur ému, cherchant à se répandre, T'adresse le tribut le plus vrai, le plus tendre, Le tribut de l'amour, et ce culte si doux Que l'ange de la paix recevrait parmi nous;
Suis-je insensé? parlé-je à la toile, à l'argile? Je parle à cet esprit qui fend d'une ailé agile Les champs de la lumière, et, comme elle épandu, Sur ces murs quelquefois tient son vol suspendu. Au plaisir d'être aimé s'il est sensible encore,
Ce Lycée est un temple où sans cesse on l'adore : Il doit s'y plaire. Et toi (1), dont les travaux divers Ont durant soixante ans étonné l'univers, L'aurais-tu déposée au terme de la vie, Cette gloire qui fit le tourment de l'envie; Et d'un monde par toi si long-temps éclairé Ton indigne. tombeau t'aurait-il séparé?
Quoi! tandis que tes vers enchantent nos oreilles ; Que nos plus doux plaisirs sont le fruit de tes veilles; Que d'une voix enfin tous les cœurs attendris Du grand art' d'émouvoir te décernent le prix; Qu'instruits par tes leçons, des rois couverts de gloire T'accompagnent en pompe au temple de mémoire, Et sur un monument à jamais affermi,
graver de leur main le nom de leur ami; Tu ne l'entendrais pas ce concert de louange, Ce cri des nations qui t'honore et te venge! Vous, qui deviez former des accords si touchants, Suspendez votre lyre, interrompez vos chants,
Enfants du Pinde (2): au sein d'une nuit vaste et sombre, Vos sons perdus jamais n'iront flatter son ombre. Aux pleurs des malheureux, aux éloges des rois, Voltaire est insensible; il n'entend plus nos voix. Elle fut donc bien vaine, hélas! cette espérance, De consoler son ombre et d'acquitter la France, Lorsque par l'univers notre zèle avoué
(1) Le buste de Voltaire était exposé aux yeux de l'assemblée. (2) L'éloge de Voltaire était le sujet du prix de poésie.
Promit la palme à qui l'aurait le mieux loué!
Et toi, Molière (1), et toi, lorsqu'un siècle plus juste Au buste de Voltaire associant ton buste,
Consacre parmi nous ton génie et le sien,
Est-il vrai que pour toi la gloire n'est plus rien; Et qu'en vain mis au rang des mortels les plus sages, Tu ne sauras jamais, sur les sombres rivages, Combien de tes affronts ta patrie a gémi, Combien de tes succès l'imposture a frémi? Ah! le lâche envieux et le fourbe hypocrite Peuvent donc avec joie insulter le mérite! Vivant, il est en proie à ses diffamateurs; Mort, il n'a plus d'amis ni de consolateurs. Aux traits de l'impudence et de la calomnie Le ciel aura livré la vertu, le génie;
Ils auront vu l'orgueil dédaigneux et jaloux Leur faire de la vie épuiser les dégoûts, Et de leurs ennemis, renouvelés sans cesse, Encourager l'audace et payer la bassesse; Et lorsque la justice arrivant sur leurs pas Vient venger leur mémoire, ils ne l'entendraient pas ! Cessons d'injurier le ciel et la nature;
Et, quand l'homme a vécu pour la race future, Croyons que de sa gloire il va jouir en paix. Pour la postérité les grands hommes sont faits. Ils ont semé pour elle, et chez elle ils recueillent. Comme leurs bienfaiteurs les siècles les accueillent; Et présents d'âge en âge à ce beau souvenir, Leur espace est le monde, et leur temps l'avenir.
(1) Le buste de Molière était aussi exposé dans la salle en face de celui de Voltaire.
Quand la raison le seconde ; Mais bien souvent dans ce monde La raison même est un tort.
Votre vie est consumée En de pénibles travaux, Et vos sublimes cerveaux Sont enivrés de fumée. Vous ne flattez ni l'orgueil Ni la stupide opulence; D'un parvenu d'importance Vous dédaignez le coup-d'oeil : Plus d'ode gratulatoire,
Plus d'épître adulatoire
Pour les favoris du sort. Aussi quel est le rapport D'un art si peu méritoire? De la gloire. De la gloire ! Pauvres gens, vous avez tort.
D'épurer les mœurs publiques Vous recherchez les moyens ! Vous voulez, censeurs stoïques, Des courtisans veridiques,
Des ministres citoyens!
Vous jugez avec audace
L'homme en faveur, l'homme en place :
S'il ne fait pas ce qu'il doit,
Dans vos regards il ne voit
Qu'un froid respect qui le glace.
Vous paraissez engoués
D'un mérite qui l'efface, Et devant lui, face à face, Sully, Colbert, sont loués.
« PreviousContinue » |