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Et vous, sur qui le faste aura plus d'influence,
Vous en faites aux rois un devoir de décence:
Les abus sont vos droits, et vous les défendez.
Malheur au souverain que vous persuadez!

C'est donc vous que j'observe avec inquiétude.
D'éclairer vos noirceurs je ferai mon étude.
Pour miner lentement des desseins vertueux,
Je vous verrai creuser vos sentiers tortueux;
Je saurai démêler vos complots et vos trames;
Je porterai le jour jusqu'au fond de vos ames.
Et ne présumez pas qu'à des temps reculés
Je confie, en mourant, vos crimes révélés;
C'est votre âge et le mien que vous aurez pour juge.
Je vois de près la tombe où sera mon refuge :
Dix lustres sont déja retranchés de mes jours;
Mais ma haine vous reste, elle vivra toujours.

Oui, c'est pour vous punir que je veux me survivre.
Mes yeux fermés, mon ombre est prête à vous poursuivre.
Dans peu,
demain peut-être on verra mes écrits
Produire au jour vos noms déshonorés, proscrits;

Vos enfants les liront, vous les lirez vous-mêmes
Ces reproches sanglants, ces cruels anathêmes;

Et le peuple, en montrant l'homme injuste et sans foi,
Dira Voilà le traître. Il a trompé son roi.

DISCOURS

SUR L'ESPÉRANCE DE SE SURVIVRE,

Lu dans la séance de l'Académie Française, le 4 mars 1779, jour de la réception de M. Ducis à la place de Voltaire.

L'HOMME

'HOMME laisse à la tombe une cendre insensible.
Mais ce souffle divin, cette ame incorruptible,
Semblable à la vapeur que dissipent les vents,
Sera-t-elle à jamais étrangère aux vivants?

Croirai-je à ce Léthé dont l'eau dormante et noire,
Du monde où l'on n'est plus absorbant la mémoire,
Déroberait au juste un éloge touchant,

Et du blâme vengeur sauverait le méchant?

Loin de moi cette aveugle et fatale assurance.
Le néant, qui du crime est l'affreuse espérance,
L'oubli, qui de la gloire éteindrait le flambeau,
Ne nous attendent point au-delà du tombeau.

Et si la mort rompait tous les nœuds de la vie,
Quelle gloire, au-delà, serait digne d'envie?
D'où naîtrait dans nos cœurs, pour un long souvenir,
Cette ardeur qui s'allume au nom de l'avenir?
Aux plus fiers des tyrans d'où viendrait cette crainte,
De livrer à l'opprobre une poussière éteinte?
D'où viendrait aux héros ce mépris du trépas,
Pour mériter la gloire et n'y survivre pas?

Non, non, l'homme survit à sa honte, à sa gloire.

Turenne, à qui la mort arrachait la victoire,
Vit le deuil de son camp immobile et muet;
Condé du haut des cieux entendit Bossuet.

Ah! lorsque d'une voix si sublime et si tendre,
Bossuet à Condé croyait se faire entendre,
Et qu'un peuple, témoin d'un hommage si beau,
Croyait voir le grand homme évoqué du tombeau;
Était-ce un vain prestige? ou son ombre appelée
Planait-elle en effet sur ce grand mausolée?

J'en crois, dans tous les cœurs, la voix qui me répond; J'en crois ce sentiment unanime et profond,

Qui dans tous les climats, comme dans tous les âges,
Enflamme les héros et console les sages.

Leur pays trop ingrat les a-t-il rebutés;
Dans des temps malheureux sont-ils persécutés;
L'avenir se présente à leur ame abattue :
Socrate le contemple en buvant la ciguë;
Caton mourant le voit, charmé de ses vertus,
Se ranger tout entier du parti de Brutus.
Et toi, Colomb, et toi, victime de l'envie,
Quel espoir te soulage au terme de la vie?
Devant quel tribunal seront-ils présentés,
Ces fers injurieux que tes mains ont portés?
Pour qui, dans ce tombeau, veux-tu qu'on les dépose?
Sur la postérité ton ame se repose:

Elle sera ton juge, et le juge des rois

Qui de ce prix infâme ont payé tes exploits.

Hélas! puisse de même, au comble de l'outrage,
Se sentir revêtu de force et de courage,

Le citoyen (1) flétri par l'absurde fureur

(1) Olavidès. Il était alors dans les liens de l'inquisition.

D'un zèle mille fois plus affreux que l'erreur!
Au pied d'un tribunal que la lumière offense,
Accusé sans témoins, condamné sans défense,
Pour avoir méprisé d'infâmes délateurs

En peuplant les déserts d'heureux cultivateurs;
Qu'il regarde ces monts où fleurit l'industrie,
Et fier de ses bienfaits, qu'il plaigne sa patrie.
Le temps la changera comme il a tout changé :
D'une indigne prison Galilée est vengé.

Mais que sert aux mourants la vérité tardive,
Si jusqu'au sein des morts jamais sa voix n'arrive;
Et si pour l'innocent et pour le criminel

Règne autour de la tombe un silence éternel?

Un Dieu, sans doute, un Dieu punit et récompense;
Et pourquoi l'un des prix que ce Dieu nous dispense
N'est-il pas
le plaisir et si pur et si doux

De savoir quels regrets nous laissons après nous ?
Quoi! des larmes d'un fils privera-t-il un père?

Des larmes d'un époux l'épouse la plus chère?
Un roi, des vœux d'un peuple heureux par ses bienfaits?
Un héros, du triomphe ou des fruits de la paix?

Il a mis dans nos cœurs ce désir de revivre;

Ah! sans doute il permet que la vertu s'y livre. L'homme est faible, et la gloire en lui tendant la main,

Du devoir, sous ses pas, adoucit le chemin,

Lui fait fouler aux pieds les serpents de l'envie,

L'arme contre la mort du mépris de la vie.
Mais s'il se voit privé de cet heureux appui,

Quel monument durable attendez-vous de lui?

Naître, vivre, et mourir, sont un instant qui passe ;
Et qu'une ame timide en mesure l'espace,
Aux bornes d'un instant tout sera limité:

Rien de grand, sans l'espoir de l'immortalité.

Trompeuse illusion! préjugé populaire !

Me répond tristement un sage atrabilaire :
L'homme crédule et vain se prend à ces appáts,
L'homme habile et puissant les sème sur nos pas,
Les tyrans aux héros ont jete cette amorce.
Les tyrans? Éprouvons leur courage et leur force,
Et voyons si pour eux tout doit s'anéantir.
Qu'un Tibère, un Commode entende retentir
Jusqu'à son lit de mort cet affreux cri de joie :

« Qu'il meure, et des vautours que son corps soit la proie;
Qu'il meure dans l'opprobre; et, rebut des tombeaux,
Qu'il soit trainé, meurtri, déchiré par lambeaux... »
Il frémit. Mais pour lui qu'auraient-ils de terrible
Ces vautours appelés à cette fète horrible,

Si son ame exhalée avec un long soupir
D'un sommeil éternel espérait s'assoupir?
Il craint, non les vautours affamés de pâture,
Mais cette longue horreur qu'il laisse à la nature;
Et le pressentiment de la postérité

Venge déja sur lui tout un siècle irrité.

Dans une heure, il verra sa dépouille insultée;
Dans mille ans, sa mémoire en tout lieu détestée;
Tandis que Marc-Aurèle entendra l'avenir,

Par d'éloquentes voix, à jamais le bénir (1).

Ah! laissons aux méchants cette crainte accablante.
Laissons cette espérance utile et consolante

A l'ami qui, pleurant l'ami qu'il a perdu,
Se flatte au moins encor qu'il en est entendu !
Et pour qui ce besoin n'est-il pas invincible,
De penser que des morts tout n'est pas insensible?
Est-ce une froide cendre, un marbre inanimé

(1) Thomas était présent à cette lecture.

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