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N'effrayaient l'orateur d'un saint zèle animé.
Il prenait sous sa garde un empire opprimé;
Et seul, an nom du ciel, au nom de la nature,
Jusqu'à l'ame d'un roi, qu'assiégeait l'imposture,
Il faisait retentir les cris des malheureux;

Ou lui-même, en victime, il se livrait pour eux.

Dans nos jours plus sereins, par les mœurs tempérée,
Et sons de justes lois tranquille et révérée,
L'éloquence n'a plus ces dangers à courir.

A l'ombre de la paix son laurier peut fleurir.
Au pied de la concorde elle a posé ses armes;
Et plus douce, elle veut dominer par ses charmes.
Qu'elle soit donc l'oracle et l'amour des humains;
Que leurs nœuds mutuels soient serrés par ses mains.
Puisse-t-elle étouffer la haine et la vengeance,
Aux tyrans des esprits inspirer l'indulgence,
Détromper le faux zèle, ou du moins le calmer,
Persuader à tous le besoin de s'aimer!

Telle est de Fénélon l'éloquence touchante.

Né pour rendre meilleur ce monde qu'il enchante,
C'est à lui d'exercer l'empire de l'amour;
D'une clarté pareille aux rayons d'un beau jour,
C'est à lui d'embellir la vérité qu'il aime;
De prêter un doux charme à la sagesse même;
De placer la vertu sur un trône de fleurs;
D'attirer sous ses lois, d'engager tous les cœurs.
Génie ami du bien, ame sensible et tendre,
Comme un élément pur sa chaleur va s'épandre :
C'est l'astre du printemps qui, sans rien consumer,
Doit verser sa lumière et doit tout animer.

Mais si la vérité, dans les écrits des sages,
Veut briller sans éclairs, ainsi que sans nuages,
Est-ce avec moins de calme et de sérénité

Qu'elle doit luire aux yeux de l'austère équité ;
Et si l'art d'émouvoir devient l'art de séduire,
Dans le temple des lois fallait-il l'introduire ?
Du haut de la tribune où, libre spectateur,
Tout un peuple en tumulte assiége l'orateur,
Qu'une voix lamentable, une voix effrayante
Trouble, intimide, appaise une foule ondoyante;
C'est là que les esprits, avec art maîtrisés,
Peuvent, comme les flots, être émus ou brisés,
Et que des passions l'utile véhémence

Règne, comme les vents, sur une mer immense :
L'orateur, comme un dieu, préside à leur combat,
Les pousse ou les retient, les enfle ou les abat.
Mais où règne la loi tout est calme et paisible:
Le juge a déposé le droit d'être sensible;
Sa volonté captive a perdu son pouvoir :
Il faut donc l'éclairer, et non pas l'émouvoir.
Ainsi du moins pensait l'aréopage antique :
Il avait défendu qu'une voix pathétique
Vint remuer son ame et troubler sa raison.
D'une Circé nouvelle il craignit le poison,
Et brisa prudemment la coupe enchanteresse
Qui dans ses sens émus aurait porté l'ivresse.
Oui, qu'on assure aux lois d'aussi fermes soutiens,
Sage Athène; et dès-lors tous nos voeux sont les tiens.
Pour ressembler aux dieux, ton sénat vénérable
Méritait de jouir d'un calme inaltérable (1).

Mais du milieu d'un monde où, rivale des lois,
L'opinion préside et recueille les voix,

Où la brigue a souvent tant d'adresse et de force,
Où le crédit présente une si douce amorce,

(1) Encore fut-il plus d'une fois corrompu lui-même.

Où l'orgueil suppliant est si souple et si bas,
Où l'intrigue rampante a semé tant d'appâts,
Qu'un juge, encor brûlant des feux de la jeunesse,
Plein des illusions qui l'obsèdent sans cesse,
Vienne à son tribunal opiner sur le sort

Du juste et de l'injuste, et du faible et du fort,
Et dans un seul instant, et d'un seul mot résoudre,
Si la loi doit punir, si la loi doit absoudre;

Au crédit qui l'obsède, aux pleurs qui l'ont déçu,
Au choc des passions que son ame a reçu,
Ne faut-il opposer qu'une raison tranquille,
Des plus grands intérêts contre-poids inutile?

Ah! trop faible jouet de mille affections,
Voulez-vous le sauver de leurs séductions,
Et de son équité raffermir la droiture?
Laissez à l'éloquence exalter la nature,
Et de l'enthousiasme allumez le flambeau :
Soudain l'amour du vrai, de l'honnête et du beau,
Le zèle ardent du bien, l'attrait puissant du juste,
La honte d'avilir un ministère auguste,

L'horreur de s'abreuver des pleurs de l'innocent,
L'horreur de l'immoler au coupable puissant,
L'intérêt courageux qu'inspire la faiblesse,
La pitié, qui d'une ame annonce la noblesse,
La gloire, à qui le ciel, voyant l'homme abattu,
Commanda de venir relever la vertu,

Le dirai-je? la peur du reproche et du blâme,
Ensemble et de concert, vont agir sur une ame;
Et voilà quels ressorts il est beau de mouvoir.

Heureux cet âge d'or, où l'amour du devoir
N'avait à redouter ni l'erreur ni le vice!
La vérité, si chère au monde encor novice,
Pour gagner
les esprits n'eut qu'à briller sur eux :

Les cœurs, simples comme elle, en étaient amoureux.
Mais quand des passions vint l'effroyable règne,
Lorsqu'on vit l'imposture arborer leur enseigne,
L'opinion la suivre, et la faible équité
Embrasser, en pleurant, sa sœur, la vérité;
Alors un dieu, touché de les voir délaissées,
Par la fraude et l'injure impunément blessées,
Un dieu prit leur défense; et ce fut là, dit-on,
Que de ses traits de flamme il foudroya Python,
Python, symbole affreux des passions rampantes,
Que l'éloquence atteint de ses flèches brûlantes,
Quand de leur souffle impur la noire exhalaison
Dérobe la justice aux yeux de la raison,
Et que la vérité, dans sa splendeur première,
S'élance du nuage, et répand sa lumière.

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DISCOURS EN VERS

SUR L'HISTOIRE;

Lu, en partie, à l'Académie Française, le 17 mai 1777. dans une séance particulière que l'empereur honorait de sa présence, et depuis dans l'assemblée publique du 19 janvier 1778, pour la réception de M. l'abbé Millot.

SUR le Nil autrefois, quand la main de la parque
Du faîte des grandeurs renversait un monarque,
Au milieu de son peuple, à la face des cieux,
Les sages de Memphis, les organes des dieux,
Interrogeaient sa vie, et marquaient sa mémoire
Ou du sceau de la honte, ou du sceau de la gloire.

O combien la nature a perdu de ses droits!
Mais le ciel a permis, pour l'exemple des rois,
Que pour eux, sur la terre, il fût encore un juge.
Ni la mort ni l'oubli ne leur sert de refuge.
La vérité pénètre au-delà du tombeau,

Et dans la nuit des temps fait briller son flambeau.
C'est alors que, pareils à des oiseaux funèbres,
Les crimes révélés invoquent les ténèbres;
Mais produits au grand jour de la postérité,
Un vengeur les condamne à l'immortalité.
Ce vengeur est l'HISTOIRE; et son devoir suprême
Veut que l'homme, semblable à la vérité même,
Sans détour, sans faiblesse, au-dessus des égards

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