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LES PAUVRES DE PARIS

AU ROL

ÉPITRE

SUR L'INCENDIE DE L'HOTEL-DIEU EN 1772.

Tu te souviens, grand roi, de ce jour d'allégresse,
Où tu vis de ton peuple éclater la tendresse,
Quand du bord du tombeau par nos vœux rappelé,
Tu rendis l'espérance à l'État désolé,

Et qu'à la douleur sombre où tombait cet empire,
Succéda de l'amour le plus touchant délire;
Tu t'en souviens: jamais peut-il être oublié,
Ce beau jour, qu'à Louis Titus eût envié?

Eh bien, dans ces transports où l'ame se déploie,
Au milieu des éclats de la publique joie,
En traversant ces murs étincelants de feux,
En entendant le ciel retentir de nos vœux,
Qui t'attendrit le plus? ou l'élite brillante
Des citoyens heureux d'une ville opulente,
Ou ce peuple accourant, à flots amoncelés,
Au-devant des coursiers à ton char attelés?

Ah! de ce peuple obscur, qui n'a rien à prétendre,

L'amour bien plus naïf, est aussi bien plus tendre !
Et de cet amour pur les gages solennels,

Firent couler des pleurs de tes yeux paternels.

C'est au nom de ces pleurs que ce peuple t'implore.
Son asyle est détruit; la cendre en fume encore;
Mais, s'il ose à tes pieds l'avouer en secret,
Il l'a vu consumer, et l'a vu sans regret.

Quoi! de la piété ce monument célèbre !...
Ce monument n'était qu'une prison funèbre,
Du pauvre languissant sépulcre anticipé,
Des ombres de la mort toujours enveloppé.

Permets que l'indigence, à souffrir destinée,
T'apprenne à quel supplice elle était condamnée.
O toi, qui fus bon, même envers tes ennemis,
Regarde tes sujets, tes enfants, et frémis.
Dans un lit de douleur, où leurs cris se répondent,
Où d'un souffle mortel les vapeurs se confondent,
Viens les voir entassés, les mourants sur les morts,
L'un d'un affreux délire éprouvant les transports,
L'autre, qu'un feu plus lent auprès de lui consume,
Ceux dont le cœur se glace, ou dont le sang s'allume,
Tous respirant un air qui, chargé de poison,
Est d'un gouffre empesté l'horrible exhalaison.
Sur son lit, près de lui, dans ses bras, à toute heure,
Chacun d'eux voit mourir, en attendant qu'il meure,
Cherche en vain dans ses maux un pénible sommeil,
Ou ne dort qu'en rêvant aux horreurs du réveil.

Tel est, grand roi, tel est ce refuge effroyable.
De nos calamités c'est la plus incroyable;
Mais Paris, qui la voit, l'atteste en gémissant.
Tu l'ignorais. Jamais ton cœur compatissant

N'eût souffert ces horreurs dont frémit la nature,
Dont l'Europe s'indigne, et dont le Ciel murmure.
Il a permis enfin que ces murs ténébreux

Fussent, pour nous venger dévorés

par

les feux;

Et le pauvre, échappé de cet affreux repaire,
Du milieu des débris, tend les bras vers son père.

Accorde à nos douleurs un asyle, où du moins,
Ton sujet, en mourant, puisse bénir tes soins.
Un roi juste suffit à l'opulent paisible;
Mais le pauvre a besoin d'un roi tendre et sensible.
Tu l'es; nous le savons. Fais-nous donc respirer.
Que sans horreur du moins nous puissions expirer.
Nous bénirons le règne où le ciel nous fit naître;
Et nos derniers soupirs seront pour notre maître.

Hélas! un bruit affreux se répand: on nous dit
Que d'un zèle aveuglé l'erreur et le crédit
Nous condamne à rentrer dans ces prisons infectes;
Que sa voix à la cour rend nos plaintes suspectes;
Qu'à prolonger nos maux ce faux zèle attaché,

Craint, s'ils sont moins cruels, qu'on en soit peu touché,
Et dit, qu'en nous voyant dans un plus doux asyle,
On n'aurait plus pour nous qu'une pitié stérile.
Charité meurtrière! à quel prix, juste Dieu!
Tu nous vendrais tes dons dans ce funeste lieu !
Eh quoi! pour émouvoir notre douce patrie,
Faut-il donc l'art cruel des tyrans d'Etrurie,

Et sans l'affreux tourment pár Mézance inventé (1),
Le pauvre, trop heureux, sera-t-il rebuté?

Non, Français, cette crainte est pour vous une injure,
Vos cœurs en sont blessés, l'humanité l'abjure,

(1) Mézance, roi d'Étrurie, faisait attacher un vivant avec un mort.

La piété publique aujourd'hui la dément.

Ne vois-tu pas, grand roi, Paris dans ce moment,
A pleines mains sur nous répandre ses largesses?
Mais quand nous périrons au milieu des richesses,
Qu'aura servi le zèle ? Et d'un air infecté
L'opulent citoyen sera-t-il respecté ?

Et la contagion de nos murs exhalée,
Et dans l'eau salutaire une peste mêlée,
Et d'un impur limon tout un peuple abreuvé,
Et tout ce peuple enfin justement soulevé
Du danger volontaire où sans cesse on l'expose,
Ne font-ils pas trembler la voix qui t'en impose?
Cruels! de la nature épargnez les bienfaits.

Une eau saine, un air pur, sont des dons qu'elle a faits
Au riche, à l'indigent, à tout ce qui respire.

Rends-nous ces biens, grand roi. Que ton aimable empire
Par un crime public cesse d'être souillé.

De défense et d'appui le pauvre est dépouillé :
Ses larmes, et ton cœur, font sa seule espérance.
Entends nos faibles voix, cède aux vœux de la France,
Et proscris cet abus, pire que les fléaux,
D'entasser les vivants dans de vastes tombeaux.

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