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ÉPITRE

A MADEMOISELLE GUIMARD,

Sur les aumônes qu'elle avait faites dans les grands froids de l'hiver de 1768.

EST-IL bien vrai, jeune et belle damnée,
Que du théâtre embelli par tes pas,

Tu vas chercher, dans de froids galetas,
L'humanité plaintive, abandonnée;
Que cette main, qu'on baise nuit et jour,
Verse en secret les tributs de l'amour
Sur l'indigence à languir condamnée ?
Quoi! cette Hébé, de roses couronnée,
Qu'environnait un essaim d'étourdis,
En sœur du pot s'en va, dans un taudis,
Te soulager, famille infortunée!
Elle est, pour toi, l'ange du paradis ;
Et tu la crois au moins prédestinée.
Au lieu des jeux, des amours, et des ris,
Qui voltigeaient sous ses riches lambris,
Quelle est sa cour? des marmots en guenille,
Un bon vieillard, une mère, une fille :
A ses genoux je les vois attendris;

Les yeux en pleurs, je crois tous les entendre
Bénir le ciel qui la fit belle et tendre.
Tendre! oui, Guimard, sans tes jolis péchés,
Cent malheureux expiraient dans les larmes ;

Et leur salut est le prix de tes charmes.
Oh! que du ciel les desseins sont cachés!
Rien n'est plus beau que de vivre en ermite,
Chacun le sait; cependant il est clair

Que si Guimard eût été carmélite,
Cent malheureux seraient morts cet hiver.
C'est donc ce cœur si faible et si fragile
Que pour exemple, au prône, on citera!
O charité! vertu de l'évangile!

Quoi! ton modèle est donc à l'Opéra !

Mais quel dommage, hélas! dans la coulisse
La vertu même est, dit-on, comme un vice,
Chère Guimard, ton curé te loûra;
En te louant, il t'excommunîra.

A son dîner, un dévot moliniste, Pour tous ses goûts indulgent moraliste, Blâme les tiens, te damne en digérant, Et jette à peine un œil indifférent Sur le malheur d'un voisin janséniste. Tu ne connais Molina ni Quesnel; Mais l'indigent, mais le faible pupille, Dans ton corset trouve un cœur maternel. Ame céleste! et du ciel on t'exile! Oui, de tes dons Dieu ne fait aucun cas. Jamais au ciel on ne monte en cadence. Tu fais le bien; mais tu danses: tes pas Sont applaudis ainsi que tes appas. Depuis David, Dieu ne veut plus qu'on danse.

Si tu mourais (car ce n'est plus le temps
Où le plaisir rajeunissant les belles,
Leur assurait un éternel printemps;

Les grâces même aujourd'hui sont mortelles):

Si tu mourais, on verrait ton cercueil
Environné de mille amours en deuil
Pleurant leur mère; une foule attendrie
De malheureux, à qui tu rends la vie,
Suivraient aussi ce funèbre convoi;
Mais ton curé, ni même son vicaire,
Ni du bas-chœur la troupe mercenaire,
Ne marcheraient en hurlant devant toi:
D'encens bénit sans être parfumée,
Hors du bercail tu serais inhumée.

Que fais-je, hélas! j'attriste les plaisirs.
Aime et jouis; suis tes goûts, ton caprice,
De tes amants couronne les désirs;

Mais au malheur tends une main propice.
Comme un ruisseau qui roule sur les fleurs,
Laisse couler ta brillante jeunesse.

Après avoir régné sur tous les cœurs,

Dans cinquante ans un grand-carme à confesse
Fera ta paix. Un songe séduisant,

Une erreur tendre, une douce folie,
Peut s'effacer; mais jamais Dieu n'oublie
Qu'on fut sensible et qu'on fut bienfaisant.

ODE

A LA LOUANGE DE VOLTAIRE,

Prononcée par mademoiselle Clairon, au pied de sa statue, en 1772.

Tu le poursuis jusqu'à la tombe,

Noire envie ; et pour l'admirer,
Tu dis: Attendons qu'il succombe,
Et qu'il vienne enfin d'expirer.
Alors, pardonnant à son ombre,
Tu jetteras dans la nuit sombre
Des cris de douleur superflus;
Et, croyant nous faire un outrage,
Tu diras: L'honneur de votre áge,
Votre seule gloire n'est plus.

Ainsi, toujours envenimée,
Parmi les fleurs que tu répands
Sur une cendre inanimée,
Se glissent encor tes serpents.
Quoi! d'une généreuse estime
L'offrande pure et légitime
Est-elle interdite aux vivants?
Hélas! pour des cendres éteintes,
Que sont nos regrets et nos plaintes,
Qu'un vain bruit perdu dans les vents.

Hâtons-nous de lui rendre hommage,

Français; et plaignons nos neveux
De n'avoir de lui qu'une image,
Insensible objet de leurs vœux.
Rendons-le témoin de sa gloire :
Justes garants de sa mémoire,
Devançons un lent souvenir.
Il respire, il peut nous entendre;
Parlons de lui, sans plus attendre,
Comme en parlera l'avenir.

Quel moment! si de cette fête
Un cri renversant les apprêts,
Venait tout-à-coup en cyprès
Changer le laurier sur sa tête!
Hélas! il est sur le penchant,
Ce bel astre dont le couchant
Brille des couleurs de l'aurore.
Il nous a donné de beaux jours;
Mais sous l'horizon qu'il colore
Il va se plonger pour toujours.

Grâces, vertus, raison, génie,
Dont il fut l'organe divin;
Tendre Vénus, sage Uranie,
Qu'il n'implora jamais en vain;
Beaux-arts, dont il fut idolâtre;
Dieux du Lycée et du théâtre,
Venez, descendez parmi nous.
Digne de la Grèce et de Rome,
Ce jour, qui célèbre un grand homme,
Doit être une fête pour vous.

O Voltaire à quelle distance
Tu vois, de ton char radieux,
Ramper l'imbécille démence

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