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LE SONGE VÉRIDIQUE,

Vers à madame de V. quelques jours après celui de sa fête.

(1759.)

Vous me l'expliquez ce beau songe

Dont je suis encore enchanté,

Et sous les voiles du mensonge
J'y trouve la réalité.

La nuit, dans un profond silence,
Oui, la nuit même de jeudi,
Je dormais du brûlant midi
J'avais senti la violence.

Tout-à-coup mon ame s'élance,
Je crois m'élever dans les airs,
J'entends de célestes concerts,
Je vois un temple magnifique,
Je m'avance, et sur le portique
Je lis : Le palais de l'Amour.
J'y veux porter un pied timide;
Je ne sais quel garde intrépide
Veille à la porte nuit et jour.
Pour fléchir son humeur rigide,
Las d'user en vain de détour,
Je demande au moins qu'il m'enseigne
Les beaux lieux où l'Amitié règne.

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« C'est, dit-il, près de ce séjour.
Vois-tu ces colonnes d'ivoire;
C'est là le trône de sa gloire :
Elle y tient sa paisible cour. »
Je vais, j'approche; un vestibule
D'un goût noble, simple et correct,
Imprime d'abord le respect.

A l'entrée un pur encens brûle:
Mon cœur s'émeut à cet aspect.

Je demande s'il est possible
D'aller à la divinité

Offrir un cœur tendre et sensible.

« Oui, pour vous elle est accessible,

Me dit d'un air plein de bonté
Sa prêtresse, la Vérité.

Elle m'introduit dans le temple.
La Candeur, la Fidélité,
La Franchise, l'Égalité,

Sont les vertus qu'on y contemple.
La déesse y voit les mortels
A l'envi se donner l'exemple

Du zèle à servir ses autels.

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Leurs voix la célèbrent sans cesse ;
Leurs cœurs lui présentent des vœux :
Comme l'amour elle a ses feux,
Mais tempérés par la sagesse.

Son sanctuaire était orné

De nœuds de fleurs et de guirlandes,
Son autel entouré d'offrandes,

Son front de roses couronné.

Je me prosterne, je l'adore,
Épris de ses charmes secrets,
Même avant d'avoir vu ses traits,
Qu'un voile me cachait encore.

« O divinité que j'implore!
Découvre à mes yeux tant d'attraits. >>
Elle m'exauce, et son visage

Se dévoile dans ce moment.
Jugez de mon ravissement
Quand je reconnus votre image.

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DISCOURS EN VERS

SUR LA FORCE ET LA FAIBLESSE

DE L'ESPRIT HUMAIN,

Lu à l'assemblée publique de l'Académie Française, le 22 décembre 1763, jour de la réception de l'auteur.

QUAND

UAND je compare à ces globes sans nombre,
A ces soleils dans le ciel suspendus,

Le grain de sable informe, aride et sombre,
Où l'homme et l'ours habitaient confondus;
Humilié de la faiblesse humaine,

Laissant errer mes yeux autour de moi,
Je me demande : Est-ce là le domaine
Où la nature avait placé son roi?

Et si l'enceinte où s'épuise ma vue,
Le cercle étroit que décrivent mes yeux,
Et dont j'ai fait la limite des cieux,
N'était encor qu'un point dans l'étendue;
Loin des soleils qu'observa Cassini,
Si l'Éternel a, de ses mains fécondes,
Laissé tomber des millions de mondes,
Les a semés dans l'espace infini;
Dans cet espace immense, inaccessible,
Où te chercher, atôme imperceptible,
Monde terrestre? et nous, ses habitants,
Que sommes-nous dans l'espace et le temps?

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