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VERS

A madame***, à qui l'on envoyait une toilette.

(1758.)

QUE

UE je regrette l'âge d'or!

L'homme était simple, il était sage.

La beauté n'avait point encor

Appris à se cacher sous un brillant nuage :
De ses grâces, de ses attraits,

La nature faisait les frais.
Que ne revient-il ce bel âge!
Assise sur un gazon frais,
D'un ruisseau la glace argentine
Vous retracerait tous vos traits:
Là Flore, de sa main divine,

Dans vos cheveux semés de fleurs,

Mêlerait ses parfums aux plus vives couleurs :

Des amours la troupe enfantine

Draperait un voile léger,

Que des zéphyrs l'aile badine
Ferait doucement voltiger.

Cette toilette naturelle

Ne déguiserait rien; vous en seriez plus belle.

Mais l'âge d'or est loin de nous.

Un art capricieux a réduit en méthode

Ce don si flatteur et si doux,

Ce don de tout charmer, qui n'est qu'un jeu pour vous, Contre une parure incommode

En vain la nature s'inscrit ;
La laideur inventa la mode,
Et la beauté même y souscrit.

Il faut bien que je me soumette
A ce pouvoir frivole, et pourtant absolu.
Recevez donc une toilette,

Comme un meuble très-superflu.

Vénus en avait une, au moins on nous l'assure: On dit que de s'orner elle prenait grand soin. Je ne sais si Vénus eut besoin de parure;

Mais vous n'en avez pas besoin.

Dans l'art de cacher la nature

Gardez-vous bien de l'imiter.

Lisbette, de Vénus eussiez-vous la ceinture,

On serait trop heureux de vous la voir quitter.

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LE MIROIR DE VÉNUS,

Vers à la même, le jour de sa fête.

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1

Celle à qui, dans ce moment,
Je vais offrir mon hommage;
Mais tu la peins faiblement.
C'est bien là cet enjoûment
Qu'en la voyant on respire;
La perle au brillant émail,
Et la rose et le corail,
Et le séduisant sourire,
Voilà sa bouche en détail;
Cependant on y désire

Un certain air gracieux.
Ces yeux, où brille ma flamme,
Où se peint l'esprit et l'ame,

Me rappellent bien ses yeux;

Mais moins beaux que leurs modèles,

Je n'y trouve pas assez

De ces vives étincelles

Dont tous les cœurs sont blessés.

En tout, les traits sont fidèles ;
Mais le teint manque d'éclat :
Ce velouté délicat,

C'est là ce qu'il fallait rendre.
D'ailleurs tes crayons discrets
Plus loin ne peuvent s'étendre;
Et l'Hymen a des secrets

Que l'Amour seul peut t'apprendre.

Eh bien, lui dit l'Amitié,
Embellis donc mon hommage,

Et d'une si chère image

Dessine l'autre moitié :

Tu vois mieux qu'on ne peut feindre;

Et seul confident jaloux

De ses charmes les plus doux,
C'est à toi seul de les peindre.
- Non, ce n'est qu'à son époux

Qu'en secret je les expose :
Pour ses rivaux et pour vous,
Ces charmes sont lettre close.

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Et quel prodige nouveau Rend donc l'Amour si sévère ? L'Albane a bien peint ta mère Comme elle sortit de l'eau.

Non, Lisbette avec colère Effacerait le tableau.

Retouche du moins le buste,

Et qu'elle soit peinte en beau.

J'y consens, rien n'est plus juste, Reprit l'Amour : essayons. » Il dit, et prend les crayons. Bientôt je l'entends se plaindre Qu'ils n'expriment aucuns traits: Ce coloris tendre et frais Est trop difficile à peindre. A retracer tant d'attraits Le pastel ne peut atteindre. «< Ah! dit l'Amour, je le voi, Tout l'art cède à la nature; Et, plus habile que moi, Elle a, dans cette figure, Mis certain je ne sais quoi, Au-dessus de la peinture.

Moi, qui les avais suivis
Jusqu'au bout de l'aventure,
J'osai dire mon avis :

« Amour, veux-tu de Lisbette
Rendre les traits ingénus?
Crois-moi, dérobe à Vénus
Le miroir de sa toilette.
Qu'à Lisbette il soit donné :

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