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ODE

CONTRE L'ÉGOÏSME D'UNE FAUSSE PHILOSOPHIE.

(1756.)

QUE

UE l'injure et la violence.
Impunément bravent les lois;
Que le glaive, sans la balance,
Soit l'aveugle arbitre des rois.
Dans ta solitude profonde,
Libre, indépendant, seul au monde,
Goûte obscurément de vrais biens.
C'est Aristippe qui m'invite
A fuir les écueils qu'il évite.
Je l'en crois; je romps mes liens.

De nos regrets sources amères,
Faux biens qui m'avez ébloui,
Gloire, amour, flatteuses chimères,
Votre charme est évanoui.

Je suis libre, et tout à moi-même....
Mais quel accablant anathême
Frappe mon oreille et mon cœur?
Suis-je sacrilége ou perfide?
Vers moi quel fantôme livide
Se traîne abattu de langueur?

De sang, de sueur, de poussière,
Son front vénérable est souillé;

Les pleurs qui baignent sa paupière
Inondent son sein dépouillé.

Dieux! que ses regards m'attendrissent!
Ses bras que les chaînes meurtrissent
A peine en soulèvent le poids.
C'est l'Humanité qui m'appelle,
Et vient à mon ame infidèle
Reprocher l'oubli de ses droits.

« Tu dors au sein de la mollesse,
Exempt de trouble et de danger;
Tu dors, dit-elle, et ta faiblesse
Te rend à moi-même étranger!
Quelle est cette sagesse impie
Qui glace ton ame assoupie?
Vois couler mon sang et mes pleurs :
Regarde où le ciel t'a fait naître;
Et sois heureux, si tu peux l'être,
Dans cet océan de douleurs.

Du haut des rochers où se brise
Un vaisseau battu par les vents,
Quel est l'inhumain qui méprise
Les cris des matelots tremblants?
Et toi, tu détournes la vue!
Ton ame, qui craint d'être émue,
N'ose s'occuper de mes maux !
Être à soi, jouir de soi-même,
D'un sage est-ce là le système?
C'est l'instinct des vils animaux,

Comme eux au soin de la pâture
Bornant ta pensée et tes vœux,
Quand tout gémit dans la nature,
Tu seras tranquille comme eux!

De l'Elbe les rives fumantes,
De sang les deux mers écumantes,
Ce que n'ont point vu tes aïeux,
L'affreux orage de la guerre
Enveloppant toute la terre,
Sont un vain spectacle à tes yeux!

Viens, vois cette ville opulente,
Du Tage superbe ornement,
Pour qui, sous la zone brûlante,
Germent l'or et le diamant.

A ses pieds les vents et les ondes
Des plus beaux climats des deux mondes
Apportent les riches tributs.

L'enfer allume son tonnerre,
Il gronde, éclate, ouvre la terre;
Cherche Lisbonne : elle n'est plus.

Hélas! sur un immense gouffre
C'est peu que vingt peuples errants,
D'un lac de bitume et de soufre
Entendent mugir les torrents:
Du creux de ces voûtes profondes,
Du sein de ces brûlantes ondes,
La mort est trop lente à sortir.
Sur eux la foudre suspendue
Serait trop long-temps attendue;
Ils vont la presser de partir.

Le feu qu'allume une étincelle
A de moins rapides progrès
Que cette guerre universelle
Dans ses formidables apprêts.
Arraché du sein de la terre

Dans le moule affreux du tonnerre

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De l'Elbe les rives fumantes,
De sang les deux mers écumantes,
Ce que n'ont point vu tes aïeux,
L'affreux orage de la guerre
Enveloppant toute la terre,
Sont un vain spectacle à tes yeux!

Viens, vois cette ville opulente,
Du Tage superbe ornement,
Pour qui, sous la zone brûlante,
Germent l'or et le diamant.

A ses pieds les vents et les ondes
Des plus beaux climats des deux mondes
Apportent les riches tributs.

L'enfer allume son tonnerre,
Il gronde, éclate, ouvre la terre;
Cherche Lisbonne : elle n'est plus.

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