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veront sous ses lois un refuge plus sûr que sous le joug d'un maître.

En supposant donc le problême de la propriété résolu en faveur du peuple des campagnes, on demande jusqu'où ce droit de propriété devrait s'étendre pour l'avantage de l'État. A quoi je réponds aussi loin que la faculté d'acquérir.

Hélas! a-t-on besoin de mettre d'autres bornes à la fortune de celui qui ne peut s'enrichir qu'à force de travaux? et plût au ciel qu'il espérât de s'élever jusqu'à la classe du citoyen riche et puissant! Acquérir dans le territoire auquel l'attache sa naissance, est la seule restriction qu'on puisse donner à la loi. Toute limite imposée à l'émulation des hommes rétrécit leur ame et l'attriste; et c'est sur-tout pour l'espérance que la prison la plus vaste est toujours une prison.

Qu'il soit permis au laboureur de se flatter que ses neveux tenteront un riche commerce; que le commerçant à son tour puisse élever, pour la patrie, un jeune guerrier plein d'ardeur; que la carrière de la gloire soit ouverte à ce citoyen, et que du soc de la charrue jusqu'au faîte des honneurs, l'abyme soit comblé, l'intervalle applani; c'est alors que l'État n'est qu'un corps animé par l'intérêt patriotique, et que tout homme est citoyen, parce que les lois sont égales, et que nul n'est exclu d'aucun des avantages que promet la société.

Prima enim pars æquitatis est æqualitas. (SEN. ep. 30.

FIN DES DISCOURS ACADÉMIQUES.

DE

PHILOSOPHIE MORALE.

DE LA GLOIRE.

LA La gloire est l'éclat de la bonne renommée, L'estime est un sentiment tranquille et personnel; l'admiration, un mouvement rapide et quelquefois momentané ; la célébrité, une renommée étendue; la gloire, une renommée éclatante, le concert unanime et soutenu d'une admiration universelle.

L'estime a pour base l'honnête; l'admiration, le rare et le grand dans le bien moral ou physique; la célébrité, l'extraordinaire, l'étonnant pour la multitude; la gloire, le merveilleux.

Nous appelons merveilleux ce qui s'élève ou semble s'élever au-dessus des forces de la nature ainsi la gloire humaine, la seule dont nous parlons ici, tient beaucoup de l'opinion: elle est vraie ou fausse comme elle.

Il y a deux sortes de fausse gloire: l'une est fondée sur un faux merveilleux; l'autre sur un merveilleux réel, mais funeste. Il semble qu'il y

ait aussi deux espèces de vraie gloire, l'une fondée sur un merveilleux agréable, l'autre sur un merveilleux utile au monde; mais ces deux objets n'en font qu'un.

La gloire fondée sur un faux merveilleux, n'a que le règne de l'illusion, et s'évanouit avec elle: telle est la gloire de la prospérité. La prospérité n'a point de gloire qui lui appartienne, elle usurpe celle des talents et des vertus, dont on suppose qu'elle est la compagne : elle en est bientôt dépouillée, si l'on s'aperçoit que ce n'est qu'un larcin; et pour l'en convaincre, il suffit d'un revers: eripitur persona, manet res. On adorait la fortune dans son favori; il est disgracié, on le méprise. Mais ce retour n'est que pour le peuple aux yeux de celui qui voit les hommes en eux-mêmes, la prospérité ne prouve rien; l'adversité n'a rien à détruire.

Qu'avec un esprit souple et une ame rampante, un homme né pour l'oubli, s'élève au sommet de la fortune; qu'il parvienne au comble de la faveur; c'est un phénomène que le vulgaire n'ose contempler d'un oeil fixe: il admire et il se prosterne; mais l'homme sage n'en est point ébloui: en observant ce corps lumineux en apparence, il voit que ce qu'on appelle sa lumière, n'est rien qu'un éclat réfléchi, superficiel et passager.

La gloire fondée sur un merveilleux funeste, fait une impression plus universelle; et, à la

honte des hommes, il faut des siècles pour l'effacer telle est la gloire des talents supérieurs, appliqués au malheur du monde.

Le genre de merveilleux le plus funeste, mais le plus frappant, fut toujours l'éclat des conquêtes. Il va nous servir d'exemple, pour faire voir aux hommes combien il est absurde d'attacher la gloire aux causes de leurs malheurs.

Vingt mille hommes, dans l'espoir du butin, en ont suivi un seul au carnage. D'abord un seul homme à la tête de vingt mille hommes déterminés et dociles, intrépides et soumis, a étonné la multitude. Ces milliers d'hommes en ont égorgé, mis en fuite, ou subjugué un plus grand nombre. Leur chef a eu le front de dire, J'ai combattu, je suis vainqueur; et l'univers a répété, Il a combattu, il est vainqueur : de-là le merveilleux et la gloire des conquêtes.

Savez-vous ce que vous faites, peut-on demander à ceux qui célèbrent les conquérants? vous applaudissez à des gladiateurs, qui, s'exerçant au milieu de vous, se disputent le prix que vous réservez à qui vous portera les coups les plus sûrs et les plus terribles. Redoublez d'acclamations et d'éloges, aujourd'hui ce sont les corps sanglants de vos voisins qui tombent épars dans l'arène; demain ce sera votre tour.

Telle est la force du merveilleux sur les esprits de la multitude. Les opérations productrices sont la plupart lentes et tranquilles; elles ne nous

étonnent point. Les opérations destructives sont rapides et bruyantes; nous les plaçons au rang des prodiges. Il ne faut qu'un mois pour ravager une province, il faut dix ans pour la fertiliser. On admire celui qui l'a ravagée; à peine daignet-on penser à celui qui la rend fertile. Faut-il s'étonner qu'il se fasse tant de grands maux, peu de grands biens?

si

Les peuples n'auront-ils jamais le courage ou le bon sens de se réunir contre celui qui les immole à son ambition effrénée, et de lui dire d'un côté commé les soldats de César :

Liceat discedere, Cæsar,

A rabie scelerum. Quæris terráque marique
His ferrum jugulis. Animas effundere viles,
Quolibet hoste, paras. .

(LUCAN.)

De l'autre côté, comme le Scythe à Alexandre: « Qu'avons-nous à démêler avec toi ? Jamais nous << n'avons mis le pied dans ton pays. N'est-il pas

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permis à ceux qui vivent dans les bois d'igno« rer qui tu es, et d'où tu viens? >>

N'y aura-t-il pas du moins une classe d'hommes assez au-dessus du vulgaire, assez sages, assez courageux, assez éloquents, pour soulever le monde contre ses oppresseurs, et lui rendre odieuse une gloire barbare?

Les gens de lettres déterminent l'opinion d'un siècle à l'autre c'est par eux qu'elle est fixée et transmise en quoi ils peuvent être les arbitres

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