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l'élégance et le coloris : qualités qu'il eût été peutêtre impossible de concilier avec la gêne de traduire en vers un poëme qui demandait l'exactitude la plus fidèle.

Il fit plus encore, et dans la crainte d'avoir affaibli les grâces de l'original, il voulut du moins y suppléer par un nouveau degré de force et de lumière. Il donna donc à l'Anti-Lucrèce un frontispice aussi éclatant que solide, le parallèle raisonné de la doctrine d'Épicure et des anciens. matérialistes, avec celle de son auteur: exposé fidèle et frappant, où l'on voit l'erreur se détruire elle-même, et tomber confondue aux pieds de la religion pour en assurer le triomphe.

Ce service rendu aux lettres lui obtint les suffrages d'une académie qui doit, messieurs, sa naissance à la vôtre, et qui soutient avec tant d'éclat la gloire de son origine; société savante et laborieuse que l'on croit voir, le flambeau à la main, errant sur les débris du monde, lutter sans cesse contre le temps, pour lui arracher la vérité qu'il s'efforce d'ensevelir.

Après avoir partagé ces travaux avec autant de succès que de zèle, M. de Bougainville fut chargé du soin d'en rédiger l'histoire. Les volumes qu'il en a donnés attestent la variété et l'étendue de ses connaissances, l'exactitude, la netteté, facilité de son esprit, la précision et la pureté de son style.

la

Mais un soin plus touchant pour lui fut d'ho

norer, par des éloges, la mémoire des hommes recommandables que la mort enlevait à sa compagnie. Et qui mieux que lui pouvait s'acquitter d'un emploi qui demande un cœur droit, un discernement juste, une plume éloquente, une ame également au-dessus des bassesses de l'envie et de celles de l'adulation?

Dans ces éloges il s'est peint lui-même : on y voit par-tout le goût du vrai, l'amour du bien, une sensibilité délicate pour le mérite et la vertu, quelquefois même la franchise d'un bon citoyen, qui, dans les grandes choses, dédaigne les petits égards; espèce de courage qu'on doit regarder comme l'héroïsme des gens de lettres.

Avec le mème zèle qu'il loua les talents, il loua ceux qui les avaient aimés. Dans l'éloge qu'il a fait de M. le cardinal de Rohan, c'est la vérité qui peint la vertu, mais la vertu avec tous ses attraits, parée des grâces de l'esprit, unie à tous les dons de plaire, décorée de tout l'éclat des dignités et de la naissance, telle enfin qu'elle se montre aux hommes, quand elle veut rentrer dans tous ses droits. Je vous rappelle, messieurs, une perte sensible; mais vous en êtes dédommagés : le plus doux de vos voeux est rempli, le même nom revit dans vos fastes; les muses reposent sous le méme ombrage.

Tant qu'il y aura des grands dignes de l'être, jamais les muses ne manqueront d'appui. L'amour des lettres est, de tous les goûts, le plus naturel

aux belles ames: il tient à l'amour de la gloire et à l'amour de l'humanité. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir dans tous les siècles éclairés, et singulièrement dans le nôtre, les rois, les peuples se disputer la possession des hommes de génie. Cet honneur, que plusieurs d'entre vous, messieurs, ont si modestement reçu, est comme un droit acquis aux hommes éloquents et aux sages. La nature leur a donné l'empire de l'opinion, leur voix est celle de la renommée; et de tout le bruit qu'auront fait dans leur temps les plus belles actions des mortels, la postérité n'entendra que le témoignage des gens de lettres, placés d'âge en âge comme autant d'échos qui retentissent dans l'avenir. Ce n'est point en passant de bouche en bouche, que les faits, que les noms dignes de mémoire peuvent échapper aux outrages de la barbarie et du temps. Il faut, pour les en garantir, qu'un historien vrai les écrive, qu'un digne orateur les célèbre, qu'un poëte inspiré les chante, qu'un philosophe les apprécie. Eux seuls se soutiennent par eux-mêmes au-dessus du vaste abyme de l'oubli, et rien n'y surnage qu'avec eux et par eux.

Cette vérité, messieurs, si flatteuse pour les lettres, semble avoir frappé votre illustre fondateur. Tandis que, occupé des plus grandes vues, il repoussait la guerre au-dehors, enchaînait la discorde au-dedans, affermissait le trône de son roi, et consommait, à force de courage, de con

stance et d'habileté, le grand dessein de ramener l'Etat à l'unité de pouvoir et d'obeissance; ce ministre, à qui la flatterie compare tous ceux qu'elle veut louer, comptait au nombre de ses projets celui de fonder cette académie. Il était bien juste qu'après le soin de mériter sa gloire, il n'en eût pas de plus pressant que celui de l'éterniser.

Plus le témoignage des lettres lui devait être avantageux, plus il voulut le rendre imposant; et pour donner aux talents plus d'autorité, il en fit un corps honorable. Il sentit combien il était important qu'une classe d'hommes sur la foi desquels les siècles se jugent l'un l'autre, qu'une société dispensatrice de la louange et du blàme, et qui donne ou refuse à son gré la plus belle des récompenses, la gloire et l'immortalité, eùt dans sa constitution même un caractère de dignité qui lui imposât la loi d'être juste. C'est dans cette vue qu'il vous réunit; et ce fut dès-lors, messieurs, que les lettres formèrent un état dans l'ordre public; époque mémorable pour elles. Mais leur titre le plus glorieux fut la protection immédiate de nos rois accordée à l'académie.

Les muses affligées autour du tombeau de Séguier, ne savaient plus quel serait leur appui. Louis XIV les voit, les appelle, leur tend une main triomphante, et les invite à venir s'asseoir au pied du trône, à l'ombre des lauriers. Quelle faveur plus signalée! mais aussi quel en sera le prix ! Je n'ai garde de vouloir honorer les lettres

aux dépens de la renommée de ce grand roi : il la mérita tout entière. Mais c'était aux lettres à

la perpétuer.

En vain la nature semblait avoir exprès choisi son règne et ses États, pour y faire naître les arts et le génie dans tous les genres; en vain ce monarque lui-même, par son discernement dans le choix des hommes, par son habileté dans l'emploi des talents, avait su mettre en valeur l'ouvrage de la nature, et en seconder les efforts; sa mémoire l'eût suivi de près au tombeau, si les lettres ne l'en avaient sauvée. Ce roi fit fleurir l'éloquence et la poésie; l'éloquence et la poésie le feront revivre à jamais; et le marbre et l'airain qui nous le rappellent, seront réduits en poudre, lorsque les écrits où sa gloire est vivante feront l'entretien et l'admiration de tous les peuples de l'univers.

Oublions toutefois l'intérêt qu'ont eu les grands hommes à protéger les lettres, et n'en considérons que le charme et l'attrait. Quelle jouissance plus douce pour celui qui les encourage, que de développer les germes du génie? La nature a-telle des productions plus rares? Est-il un spectacle plus digne d'une ame élevée et sensible, que de voir la poésie animer ses tableaux, l'éloquence déployer ses ressorts, l'histoire percer la nuit des temps, la philosophie lever le voile de la nature, de nouvelles générations d'idées éclore du sein d'un petit nombre d'hommes, et se ré

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